La vie en état de siège :
L’impact sur les femmes des postes de contrôle, des bouclages et des couvre-feux


Extrait du rapport d'Amnesty International - Mars 2005
 

« Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. »

Article 12-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).


Ces dernières années, l’armée israélienne a imposé des restrictions sans précédent aux déplacements des Palestiniens dans les territoires occupés, le privant non seulement de leur liberté de mouvement mais aussi d’autres droits fondamentaux, notamment le droit au travail, à l’éducation et aux soins médicaux.

Selon le Comité des droits de l’homme des Nations unies : « L’imposition des restrictions autorisées en vertu du paragraphe 3 de l’article 12 doit être compatible avec le respect des autres droits garantis dans le Pacte et avec les principes fondamentaux de l’égalité et de la non-discrimination. Ainsi, il y aurait clairement violation du Pacte si les droits consacrés aux paragraphes 1 et 2 étaient restreints en raison de distinctions quelconques, fondées par exemple sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la naissance ou toute autre situation. »

Le droit international humanitaire exige des États qu’ils respectent les droits fondamentaux de la population d’un territoire occupé. Le point central de la règle internationale relative à l’occupation belligérante est que l’occupation est transitoire, d’une durée limitée, et que l’un de ses objectifs principaux est de permettre aux habitants d’un territoire occupé de mener une vie aussi « normale » que possible.

Tant en Israël que dans les territoires occupés, l’État est tenu de respecter les règles du droit international relatif aux droits humains, et plus particulièrement les traités internationaux auxquels il est partie, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Convention des femmes, CEDAW), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Israël a constamment nié qu’il était tenu d’appliquer, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les traités internationaux relatifs aux droits humains qu’il a ratifiés et a également toujours refusé d’appliquer la Quatrième Convention de Genève. Il est toutefois le seul État à défendre cette position. Les mécanismes des traités et la communauté internationale ont réaffirmé à plusieurs reprises qu’il était tenu de respecter la quatrième Convention de Genève et les traités internationaux relatifs aux droits humains.

En 2003, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a confirmé que « même dans une situation de conflit armé, les droits de fondamentaux doivent être respectés » et que « les droits économiques, sociaux et culturels essentiels, en tant que normes minimales relatives aux droits de l’homme, sont garantis en vertu du droit international coutumier et sont également prescrits par le droit international humanitaire. En outre, l’applicabilité des règles de droit humanitaire n’empêche pas en soi l’application du Pacte ou la responsabilité de l’État en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 pour les actes de ses représentants. »

Les restrictions draconiennes à la liberté de mouvement des Palestiniens sont disproportionnées et discriminatoires en ce qu’elles sont imposées à tous les Palestiniens parce qu’ils sont palestiniens et qu’elles ne s’appliquent pas aux colons israéliens qui vivent illégalement dans les territoires occupés. Bien que les autorités israéliennes affirment que de telles mesures sont toujours prises pour garantir la sécurité des Israéliens, les restrictions imposées dans les territoires occupés ne visent pas précisément des individus considérés comme représentant une menace. Elles sont générales et s’appliquent de manière indiscriminée, ce qui les rend illégales. Ces mesures ont un impact négatif sur la vie de millions de Palestiniens qui n’ont commis aucune infraction.

Un système de plus en plus élaboré de bouclages – ce terme désigne l’interdiction des déplacements à l’intérieur des villes et villages ou entre les agglomérations des territoires occupés par l’installation de postes de contrôle et de barrages routiers – impose à quelque 3,5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens une forme d’assignation à résidence quasi-permanente à leur domicile, ou dans leur ville ou leur village. Les bouclages sont la cause principale du quasi-effondrement de l’économie palestinienne ainsi que de l’augmentation de la pauvreté et du chômage. Les Palestiniens sont de plus en plus coupés de leur famille et privés d’accès à leur terre et à leur travail ainsi qu’à l’éducation et aux soins médicaux, entre autres services essentiels.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) a déclaré, en mai 2003 : « [Le Comité] continue d’être vivement préoccupé par les conditions de vie déplorables des Palestiniens dans les territoires occupés, qui, en raison de la poursuite des bouclages, des couvre-feux prolongés, des barrages routiers et des points de contrôle de sécurité, souffrent d’une entrave à la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels consacrés dans le Pacte, en particulier l’accès au travail, à l’eau, aux soins de santé, à l’éducation et à l’alimentation. »

Les villes et villages des territoires occupés sont encerclés par des centaines de postes de contrôle et de barrages que les Palestiniens ne peuvent franchir sans un permis spécial délivré par l’armée israélienne. Lorsqu’ils sont possibles, des trajets de quelques kilomètres prennent parfois plusieurs heures. Les Palestiniens sont contraints à de longs détours par ce qu’on appelle des « routes de contournement » pour éviter de passer à proximité des colonies israéliennes ou des routes utilisées par les colons. L’expansion des colonies israéliennes et des routes réservées aux colons dans les territoires occupés a multiplié les zones interdites aux Palestiniens. Depuis 2002, la construction par Israël d’un mur/barrière de 600 kilomètres de long à l’intérieur de la Cisjordanie a rendu encore plus difficiles les déplacements des Palestiniens. Bien que les autorités israéliennes prétendent que ce mur/barrière vise à empêcher l’entrée de Palestiniens susceptibles de mener des attaques en Israël, il est édifié à plus de 80 p. cent à l’intérieur de la Cisjordanie plutôt qu’entre celle-ci et Israël. Il encercle des villes et villages palestiniens, isolant les familles et les communautés les unes des autres et séparant les Palestiniens de leurs terres, de leur travail, de leur école, de l’hôpital et d’autres services essentiels.

Ces restrictions draconiennes aux déplacements ont eu des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la population palestinienne des territoires occupés. Le taux de chômage a considérablement augmenté et la baisse des revenus a été telle que plus de la moitié de la population vit désormais en-dessous du seuil de pauvreté et dépend, dans la plupart des cas, d’une aide extérieure.

Nous exposons plus loin certaines conséquences directes et visibles des restrictions qui privent physiquement les femmes d’accès au travail, à la santé et à l’éducation. Il existe toutefois une série d’autres répercussions moins visibles. La situation actuelle offre aux hommes de nouvelles possibilités de renforcer leur contrôle sur les déplacements des femmes, soit délibérément soit dans la volonté de les protéger. C’est ainsi que des hommes se chargent parfois des courses ou d’autres tâches pour éviter à leurs parentes les longs détours pénibles pour contourner les barrages qui encerclent les villes et les villages ou le risque d’être victime des tirs des soldats israéliens chargés des bouclages et des couvre-feux. La conséquence, intentionnelle ou non, en est que les femmes ont moins d’occasions de sortir de chez elles ou de leur ville ou village.

Les restrictions à l’accès aux soins médicaux

Aux termes de l’article 38-2 de la Quatrième Convention de Genève, Israël, en qualité de puissance occupante, est tenu de veiller à ce que les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza reçoivent « un traitement médical et des soins hospitaliers, dans la même mesure » que les citoyens israéliens. La convention prévoit également qu’Israël doit :

Non seulement Israël a constamment négligé son devoir dans ce domaine, mais, ces dernières années, il a restreint de plus en plus l’accès des Palestiniens aux soins médicaux, ce qui a eu dans bien des cas des conséquences mortelles.

Les femmes contraintes d’accoucher à des postes de contrôle

« […] les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de sept ans bénéficieront, dans la même mesure que les ressortissants de l’État intéressé, de tout traitement préférentiel. »

« Les blessés et les malades, ainsi que les infirmes et les femmes enceintes seront l’objet d’une protection et d’un respect particuliers. »

Articles 38-5 et 16 de la Quatrième Convention de Genève.


Le 26 août 2003, Rula Ashtiya s’est vu refuser le passage par des soldats israéliens et a été contrainte d’accoucher sur un chemin de terre à côté du poste de contrôle de Beit Furik. Son bébé est mort quelques minutes plus tard. Cette femme, profondément traumatisée, a eu du mal à évoquer ce qu’elle avait subi quand elle a rencontré des délégués d’Amnesty International quelques semaines plus tard. Rula Ashtiya, vingt-neuf ans, qui était dans son huitième mois de grossesse, a commencé à avoir des contractions à l’aube. Son mari, Daoud, a appelé l’ambulance et on lui a indiqué qu’il devait se rendre au poste de contrôle de Beit Furik, situé entre son village et la ville de Naplouse, où l’ambulance qui ne pouvait pas franchir le barrage l’attendrait de l’autre côté. Rula et Daoud se sont dirigés vers le poste de contrôle à quelques minutes de Salem, leur village. Il faisait déjà jour et, vu l’état de Rula, ils ne s’attendaient pas à rencontrer de problème pour franchir le barrage. Toutefois, les soldats israéliens leur ont refusé le passage.

Rula Ashtiya a fait le récit suivant : « On a pris un taxi et on est descendus avant le poste de contrôle, car les voitures ne sont pas autorisées à s’en approcher. Nous avons continué à pied, j’avais très mal. Au barrage, il y avait plusieurs soldats qui buvaient du thé ou du café et qui n’ont pas fait attention à nous. Daoud s’est approché pour leur parler et l’un d’eux l’a menacé de son arme. Il leur a parlé en hébreu, j’avais mal et je sentais que j’étais sur le point d’accoucher. Je l’ai dit à Daoud qui a traduit en hébreu pour les soldats, mais ils ne nous ont pas laissés passer. Je me suis allongée par terre dans la poussière et je me suis traînée derrière les blocs de béton à côté du barrage pour avoir un peu d’intimité. J’ai accouché dans la poussière comme un animal. J’ai pris ma petite fille dans mes bras, elle a bougé un peu, mais elle est morte quelques minutes plus tard. »

Daoud a déclaré : « J’ai supplié les soldats de nous laisser passer, je leur ai parlé en hébreu, je connais l’hébreu parce que j’ai travaillé en Israël. Ils ont compris ce que je leur disais, mais ils ne nous ont pas laissés passer. Après la naissance du bébé, Rula s’est mise à hurler, et un peu après elle a crié que le bébé était mort. Elle pleurait. J’ai éclaté en sanglots et j’ai couru vers les voitures de l’autre côté du poste de contrôle sans me préoccuper des soldats, je suis allé chercher un taxi et je suis revenu vers Rula. Je me sentais tellement mal de la voir dans cet état, elle tenait le bébé dans ses bras, il était couvert de sang et le cordon était par terre, dans la poussière, toujours attaché, j’ai dû le couper avec une pierre, je n’avais rien d’autre pour le couper. Puis j’ai pris Rula dans mes bras ; elle tenait le bébé, je l’ai portée jusqu’à la voiture et nous sommes allés à l’hôpital. Rula et moi, nous souffrons encore beaucoup. »

Une semaine plus tard, Suzanne Alan, vingt-cinq ans, s’est trouvée dans la même situation dans une autre région de Cisjordanie, à proximité de Jérusalem-Est. Le matin du 12 septembre, cette femme, son mari, Ashraf, et leurs trois enfants, étaient en visite chez les parents d’Ashraf dans un village proche de Jérusalem, quand elle a commencé à avoir des contractions. Ils se sont dirigés vers un hôpital de Jérusalem, mais on leur a refusé le passage au barrage d’Al Ram qu’ils ont essayé de contourner pendant près de trois heures. Suzanne a accouché d’un garçon au bord de la route, à l’arrière d’un taxi. Une ambulance l’a ensuite emmenée à l’hôpital. Par chance, Suzanne Alan et son bébé n’ont souffert d’aucune complication.

Au début de décembre 2004, pendant deux nuits consécutives, deux femmes qui se rendaient à l’hôpital de Naplouse ont accouché dans des ambulances à un poste de contrôle à l’entrée de la ville. Randa Jabeeti, une habitante du village de Fundaq, non loin de Qalqiliya, a accouché dans l’ambulance après avoir été retardée et fouillée au barrage. Bayan Hussein-Ali, originaire d’Al Hatab, un village proche de Naplouse, a également été retenue au poste de contrôle. L’ambulance n’ayant pas été autorisée à franchir le barrage, il a fallu appeler un autre véhicule de Naplouse dans lequel cette femme a été transférée de l’autre côté du barrage selon la procédure dite « dos à dos ». Cette méthode, généralement utilisée pour le transport de marchandises lorsqu’il est nécessaire de franchir des postes de contrôle israéliens, est souvent le seul moyen permettant à des malades d’accéder à l’hôpital ou de le quitter quand les soldats israéliens refusent de laisser passer les ambulances. Les soldats n’ont pas autorisé le mari de Bayan Hussein Ali à l’accompagner en affirmant qu’il n’avait pas de permis pour entrer à Naplouse, distante de quelques kilomètres seulement. Une fois transférée dans la seconde ambulance de l’autre côté du poste de contrôle, cette femme a accouché à côté du barrage.

Le trajet de quinze kilomètres entre son village et l’hôpital de Naplouse s’est transformé en tragédie pour Maysoom Saleh Nayef al Hayek, vingt-trois ans, enceinte de son premier enfant. Au poste de contrôle, des soldats israéliens ont tiré sur la voiture de la famille : le mari de Maysoom a été tué, elle-même et son beau-père blessés. Elle est finalement arrivée à l’hôpital où elle a accouché dans l’ascenseur. Cette femme a fait le récit suivant aux délégués d’Amnesty International :

« J’ai commencé à avoir des contractions le 25 février 2002, peu après minuit. J’ai réveillé mon mari, Mohammed, et nous sommes allés au domicile de ses parents pour appeler une ambulance. Comme la communication téléphonique ne passait pas, mon mari a pris la voiture de son frère et nous sommes partis pour l’hôpital de Naplouse. Mon beau-père nous a accompagnés. Environ un quart d’heure plus tard, nous sommes arrivés au barrage de Huwara, à l’entrée de Naplouse, où les soldats israéliens nous ont retenus. Ils ont fait descendre mon mari de voiture et ont vérifié ses papiers. Ensuite, je suis sortie ainsi que mon beau-père et nous avons présenté nos papiers. La voiture a ensuite été entièrement fouillée. Nous avons dit aux soldats que je devais arriver à l’hôpital dès que possible parce que j’étais sur le point d’accoucher et que j’avais très mal. Ils ont d’abord refusé puis m’ont ordonné de découvrir mon ventre pour vérifier que je disais bien la vérité. Tout cela a pris près d’une heure puis nous avons été autorisés à repartir. Nous avions parcouru quelques centaines de mètres quand j’ai entendu des coups de feu nourris à l’avant de la voiture qui s’est arrêtée. J’ai vu que mon mari avait été touché à la gorge et à la partie supérieure du corps, il était affalé sur le volant et saignait abondamment. Mon beau-père qui était sur le siège avant avait également été blessé à la partie supérieure du corps. Je me suis accroupie à l’arrière de la voiture et, pour me protéger, j’ai mis sur ma tête le sac contenant les vêtements pour le bébé. J’ai été blessée à l’épaule par des éclats et des débris de verre provenant de la vitre cassée. Les tirs ont duré environ cinq minutes. J’ai appelé mon mari et mon beau-père, mais ils n’ont pas répondu. J’ai compris que c’était grave ; j’avais peur, les contractions se rapprochaient et j’avais de plus en plus mal. Je pleurais et je me suis mise à crier. Des soldats m’ont sortie de la voiture, ils m’ont fait déshabiller pour m’examiner, puis ils m’ont laissée par terre, je saignais à cause de mes blessures et j’étais sur le point d’accoucher. Je leur ai demandé en vain de me donner quelque chose pour me couvrir. Jusqu’à aujourd’hui, je ressens de la honte et de la colère. Ils ont examiné mon mari et mon beau-père et ils ont dit qu’il fallait le transférer dans un hôpital israélien. Ensuite, ils ont appelé une ambulance de Naplouse pour moi.

« L’ambulance est arrivée et je suis partie avec mon beau-père. J’ai accouché d’une fille dans l’ascenseur à mon arrivée à l’hôpital Rafidiya de Naplouse. Je l’ai appelée Fida, c’est mon seul enfant. Ma mère, qui se trouvait à l’hôpital auprès de ma sœur qui avait accouché la même nuit, m’a dit que mon mari était mort. Mon beau-père, âgé de soixante-six ans, était grièvement blessé, il avait été touché par balles aux poumons et il est resté quarante jours dans le coma. Je suis restée dix jours à l’hôpital puis je suis allée chez ma mère où je vis toujours avec ma fille. Je ne suis pas retournée chez les parents de mon mari car ils considèrent que je suis responsable de la mort de leur fils. »

Quand elle a commencé à aller mieux, quelques mois après avoir subi cette épreuve, Maysoom al Hayek a déposé une plainte contre l’armée israélienne par l’intermédiaire d’une organisation israélienne de défense des droits humains. Elle a fait cette démarche sur les conseils d’une assistante sociale travaillant pour une organisation de femmes palestiniennes qui l’a encouragée à canaliser de manière constructive sa colère et sa honte.

Amnesty International considère que la pratique des soldats israéliens consistant à retenir aux postes de contrôle les femmes sur le point d’accoucher ou à leur refuser le passage, les privant ainsi de soins médicaux nécessaires et urgents, constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant.

La peur, l’anxiété et les autres conséquences pour les femmes enceintes

Les cas exposés plus haut ne sont que des exemples parmi d’autres. De très nombreuses Palestiniennes ont été confrontées à des épreuves similaires au cours des quatre années écoulées. La perspective de subir un tel supplice terrifie les femmes enceintes. Les membres du personnel de santé affirment que la peur de ne pas arriver à l’hôpital à temps pour accoucher est devenue une source importante d’anxiété et de crainte pour les Palestiniennes dans l’ensemble des territoires occupés. Cette anxiété s’accroît à la fin de la grossesse.

« Depuis septembre 2002, les nombreux couvre-feux et bouclages ont provoqué une crise grave dans l’accès aux soins médicaux. Les femmes enceintes et celles qui doivent accoucher sont particulièrement vulnérables. Du fait de cette situation, des femmes ont de nouveau accouché à domicile, bien qu’il s’agisse souvent d’une décision improvisée plutôt que d’un choix, imposée par les centaines de postes de contrôle qui isolent les villages des villes et celles-ci les unes des autres. Des femmes ont décidé d’accoucher à domicile en s’efforçant de trouver une sage-femme ; d’autres ont subi des épreuves horribles en essayant de franchir les barrages, et certaines ont réussi à arriver à la maternité. Quel que soit l’endroit où elles ont fini par accoucher, l’anxiété est devenue partie intégrante de la naissance d’un enfant pour toute la famille […]»

La situation est particulièrement grave pour les femmes qui vivent dans des villages ou des régions rurales, en raison des barrages de l’armée israélienne qui isolent les villes où se trouvent les hôpitaux des villages environnants. Même si le village est à quelques kilomètres de la ville, le trajet peut prendre plusieurs heures et tout déplacement est impossible la nuit. Durant les incursions de l’armée ou lorsque celle-ci impose un couvre-feu, il est difficile, voire impossible, de se rendre à l’hôpital, même pour les habitants de la ville. En théorie, les ambulances devraient être autorisées à circuler même en cas de couvre-feu, et à franchir les postes de contrôle avec des malades, mais il faut établir au préalable une coordination avec l’armée et les retards sont monnaie courante. Il arrive que l’armée refuse catégoriquement le passage ; dans d’autres cas, les ambulances sont contraintes à de longs détours par des routes secondaires ou doivent attendre, et les malades doivent souvent être transférés d’une ambulance à l’autre, de part et d’autre du poste de contrôle.

Les femmes n’ont que peu de possibilité de choisir l’endroit où elles vont accoucher. Celles qui ont de la famille en ville peuvent s’installer chez leurs proches avant la date prévue pour l’accouchement de façon à être à proximité de l’hôpital. La plupart des femmes n’ont toutefois pas cette possibilité, soit qu’elles n’aient pas de famille en ville, soit qu’elles aient d’autres enfants et qu’il leur soit impossible de les emmener avec elles ou de quitter leur domicile pendant plusieurs semaines. Qui plus est, en cas de naissance prématurée, de tels arrangements ne règlent rien.

Dans la nuit du 21 décembre 2003, Lamis Qassem, vingt-cinq ans, a commencé à avoir des contractions dans son septième mois de grossesse. Elle a accouché de jumelles dans l’ambulance avant d’arriver à l’hôpital ; elle avait été retenue par un soldat israélien pendant plus d’une heure dans un froid glacial au poste de contrôle de Deir Ballut. L’un des bébés est mort dans l’ambulance et l’autre quelques heures après son arrivée à l’hôpital. Selon les médecins, les jumelles qui pesaient environ 1 500 grammes auraient survécu si elles étaient nées à l’hôpital, les premières minutes de soins pouvant être déterminantes dans un tel cas.

Le personnel de santé déplore qu’un nombre croissant de femmes qui pourraient accoucher normalement choisissent un accouchement provoqué ou une césarienne de peur de ne pas pouvoir rejoindre l’hôpital si elles ont des contractions la nuit ou si elles doivent accoucher pendant une incursion militaire, un couvre-feu ou un bouclage. Avant la multiplication des bouclages et des barrages routiers ces dernières années, la grande majorité des Palestiniennes accouchaient à l’hôpital. C’est toujours le cas, mais le pourcentage de femmes qui accouchent à domicile a augmenté. Dans le passé, des femmes choisissaient délibérément d’accoucher à domicile, mais aujourd’hui, elles préfèrent ne pas envisager cette possibilité, car elles craignent de ne pas arriver à temps à l’hôpital en cas de complications.

Les membres du personnel de santé qui encourageaient les femmes à accoucher à domicile pensent que cela est devenu plus difficile dans les circonstances actuelles.

Selon Rita Giacaman, professeur adjoint et coordinatrice de programme et de recherche à l’Institut de santé publique et communautaire de l’université de Birzeit : « La perspective de donner naissance devrait être une joie pour une femme enceinte, mais les femmes n’attendent plus ce moment avec impatience. Au contraire, elles ont peur que les choses se passent mal et qu’elles-mêmes ou leurs bébés meurent. Elles craignent même des complications mineures qui ne seraient pas un problème en temps normal. Il en résulte une tendance à surmédicaliser l’accouchement et les femmes pensent qu’elles doivent être en mesure de décider du moment où elles pourront accoucher en toute sécurité. La césarienne ou l’accouchement provoqué leur apparaissent comme la seule garantie en la matière. L’état de siège a réduit les possibilités de choix dans ce domaine : les femmes subissent des césariennes non justifiées car elles ont peur et ne peuvent plus prendre la décision d’accoucher à domicile. En même temps, elles se préoccupent moins des soins anténataux et postnataux auxquels elles n’ont pas accès à cause de l’état de siège ou parce qu’elles ont peur des incursions de l’armée, ou encore du fait de la tension résultant de l’augmentation de la pauvreté et du danger pour leur famille et pour elles-mêmes, raisons pour lesquelles elles ne font pas de leur santé une priorité(15). »

Le 15 février 2005, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, s’est déclaré préoccupé par le fait que « les Palestiniennes souffrent massivement de malnutrition, tout particulièrement celles qui sont enceintes ou qui allaitent ». Dans son rapport à la Commission de la condition de la femme du Conseil économique et social (ECOSOC), il a évoqué les conclusions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) selon lesquelles « lors d’un programme de visites à domicile durant la période considérée – octobre 2003 – septembre 2004 – 69,7 p. cent des 1 768 femmes enceintes examinées durant le dernier mois de leur grossesse étaient anémiées».

Autres sujets de préoccupation relatifs à l’accès aux soins médicaux

Les sujets de préoccupation exposés plus haut s’appliquent aussi à d’autres problèmes de santé non liés à l’accouchement. De nombreuses femmes négligent de plus en plus leur santé en raison de l’augmentation de la pauvreté, car, vu les difficultés auxquelles elles sont confrontées, elles-mêmes ou leur entourage ne sont pas en mesure de donner l’importance requise à leur situation personnelle et privilégient le bien-être de leurs enfants et des autres membres de leur famille.

Par ailleurs, les restrictions aux déplacements, le refus de passage ou l’attente aux barrages, ainsi que les bouclages et couvre-feux entraînent toute une série de complications pour les personnes qui ont besoin de soins médicaux, notamment les femmes ; cela va, dans certains cas, jusqu’à la mort des malades.

« Les restrictions imposées par Israël à la liberté de mouvement des Palestiniens des territoires occupés ont fortement réduit leur possibilité d’accès aux services de santé de base […] Depuis le déclenchement de l’Intifada en septembre 2000, la situation s’est encore détériorée et les violations des droits des malades ont atteint un niveau sans précédent. »

Durant les trente-sept années d’occupation israélienne, le développement du système de santé palestinien a été très limité. Les Palestiniens doivent avoir recours aux hôpitaux israéliens ou se rendre à l’étranger pour certains traitements. C’est ainsi que les hôpitaux de la bande de Gaza ne sont pas en mesure de diagnostiquer et de soigner correctement les patients atteints de cancers, et notamment les femmes souffrant d’un cancer du sein. Selon Médecins pour les droits humains – Israël, le taux de survie pour ce type de cancer n’est que de 30 à 40 p. cent dans la bande de Gaza contre 70 à 75 p. cent en Israël.

Alors qu’il est de plus en plus difficile aux Palestiniens d’obtenir un laissez-passer pour entrer en Israël, beaucoup sont obligés de partir pour l’étranger. Dans les deux cas, ils doivent obtenir l’autorisation de l’armée israélienne pour quitter la Cisjordanie et la bande de Gaza. Mais ceux qui sont autorisés à partir se trouvent souvent dans l’impossibilité de le faire du fait du bouclage des frontières imposé par Israël. Les malades qui habitent la bande de Gaza sont dans une situation particulièrement difficile en raison des bouclages fréquents et prolongés de la frontière entre Gaza et l’Égypte, seul point de passage pour quitter la bande de Gaza.

Témoignage de N. A., Palestinienne de trente-huit ans, originaire de Khan Yunis, dans la bande de Gaza, recueilli le 12 janvier 2005 : « Je suis partie le 8 décembre 2004 pour aller me faire soigner à Alexandrie, en Égypte. Aujourd’hui, j’ai fini mon traitement et je veux rentrer dans ma ville et retrouver ma famille, mais malheureusement le bouclage me prive de mon droit fondamental de rentrer normalement chez moi. J’ai quatre enfants qui vont à l’école, le plus jeune a cinq ans. C’est la première fois que je suis séparée d’eux, je me fais beaucoup de souci et j’ai peur. Je veux simplement rentrer chez moi et retrouver ma famille. »

Israël a rouvert la frontière entre Gaza et l’Égypte le 20 janvier 2005, mais uniquement pour les Palestiniens qui rentraient à Gaza ; il n’était pas possible de sortir de la bande de Gaza.