La vie en
état
de siège :
L’impact sur les femmes
des postes de contrôle, des bouclages et des couvre-feux
Extrait
du rapport d'Amnesty International - Mars 2005
« Quiconque se
trouve légalement
sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et
d’y choisir
librement sa résidence. »
Article 12-1 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Ces
dernières années, l’armée israélienne a
imposé des restrictions sans
précédent aux déplacements des Palestiniens dans
les territoires occupés, le
privant non seulement de leur liberté de mouvement mais aussi
d’autres droits
fondamentaux, notamment le droit au travail, à
l’éducation et aux soins
médicaux.
Selon le Comité
des droits de l’homme des Nations
unies : « L’imposition des restrictions autorisées en
vertu du paragraphe 3
de l’article 12 doit être compatible avec le respect des autres
droits garantis
dans le Pacte et avec les principes fondamentaux de
l’égalité et de la
non-discrimination. Ainsi, il y aurait clairement violation du Pacte si
les
droits consacrés aux paragraphes 1 et 2 étaient
restreints en raison de
distinctions quelconques, fondées par exemple sur la race, la
couleur, le sexe,
la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine
nationale ou
sociale, la naissance ou toute autre situation. »
Le droit international
humanitaire exige des États
qu’ils respectent les droits fondamentaux de la population d’un
territoire
occupé. Le point central de la règle internationale
relative à l’occupation
belligérante est que l’occupation est transitoire, d’une
durée limitée, et que
l’un de ses objectifs principaux est de permettre aux habitants d’un
territoire
occupé de mener une vie aussi « normale » que
possible.
Tant en Israël que
dans les territoires occupés,
l’État est tenu de respecter les règles du droit
international relatif aux
droits humains, et plus particulièrement les traités
internationaux auxquels il
est partie, notamment la Convention sur l’élimination de toutes
les formes de
discrimination à l’égard des femmes (Convention des
femmes, CEDAW), le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (PIDESC), le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et
la
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de
discrimination raciale. Israël a constamment nié qu’il
était tenu d’appliquer,
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les traités
internationaux relatifs
aux droits humains qu’il a ratifiés et a également
toujours refusé d’appliquer
la Quatrième Convention de Genève. Il est toutefois le
seul État à défendre
cette position. Les mécanismes des traités et la
communauté internationale ont
réaffirmé à plusieurs reprises qu’il était
tenu de respecter la quatrième
Convention de Genève et les traités internationaux
relatifs aux droits humains.
En 2003, le Comité
des droits économiques, sociaux et
culturels des Nations unies a confirmé que «
même dans une situation de
conflit armé, les droits de fondamentaux doivent être
respectés » et que «
les droits économiques, sociaux et culturels essentiels, en tant
que normes
minimales relatives aux droits de l’homme, sont garantis en vertu du
droit
international coutumier et sont également prescrits par le droit
international
humanitaire. En outre, l’applicabilité des règles de
droit humanitaire
n’empêche pas en soi l’application du Pacte ou la
responsabilité de l’État en
vertu du paragraphe 1 de l’article 2 pour les actes de ses
représentants. »
Les restrictions
draconiennes à la liberté de
mouvement des Palestiniens sont disproportionnées et
discriminatoires en ce
qu’elles sont imposées à tous les Palestiniens parce
qu’ils sont palestiniens
et qu’elles ne s’appliquent pas aux colons israéliens qui vivent
illégalement
dans les territoires occupés. Bien que les autorités
israéliennes affirment que
de telles mesures sont toujours prises pour garantir la
sécurité des
Israéliens, les restrictions imposées dans les
territoires occupés ne visent
pas précisément des individus considérés
comme représentant une menace. Elles
sont générales et s’appliquent de manière
indiscriminée, ce qui les rend
illégales. Ces mesures ont un impact négatif sur la vie
de millions de
Palestiniens qui n’ont commis aucune infraction.
Un système de plus
en plus élaboré de bouclages – ce
terme désigne l’interdiction des déplacements à
l’intérieur des villes et
villages ou entre les agglomérations des territoires
occupés par l’installation
de postes de contrôle et de barrages routiers – impose à
quelque 3,5 millions
d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens une forme d’assignation
à
résidence quasi-permanente à leur domicile, ou dans leur
ville ou leur village.
Les bouclages sont la cause principale du quasi-effondrement de
l’économie
palestinienne ainsi que de l’augmentation de la pauvreté et du
chômage. Les
Palestiniens sont de plus en plus coupés de leur famille et
privés d’accès à
leur terre et à leur travail ainsi qu’à
l’éducation et aux soins médicaux, entre
autres services essentiels.
Le Comité des
droits économiques, sociaux et
culturels (DESC) a déclaré, en mai 2003 : « [Le
Comité] continue
d’être vivement préoccupé par les conditions de vie
déplorables des
Palestiniens dans les territoires occupés, qui, en raison de la
poursuite des
bouclages, des couvre-feux prolongés, des barrages routiers et
des points de
contrôle de sécurité, souffrent d’une entrave
à la jouissance de leurs droits
économiques, sociaux et culturels consacrés dans le
Pacte, en particulier
l’accès au travail, à l’eau, aux soins de santé,
à l’éducation et à
l’alimentation. »
Les villes et villages
des territoires occupés sont
encerclés par des centaines de postes de contrôle et de
barrages que les
Palestiniens ne peuvent franchir sans un permis spécial
délivré par l’armée
israélienne. Lorsqu’ils sont possibles, des trajets de quelques
kilomètres
prennent parfois plusieurs heures. Les Palestiniens sont contraints
à de longs
détours par ce qu’on appelle des « routes de contournement
» pour éviter de
passer à proximité des colonies israéliennes ou
des routes utilisées par les
colons. L’expansion des colonies israéliennes et des routes
réservées aux
colons dans les territoires occupés a multiplié les zones
interdites aux
Palestiniens. Depuis 2002, la construction par Israël d’un
mur/barrière de
600 kilomètres de long à l’intérieur de la
Cisjordanie a rendu encore plus
difficiles les déplacements des Palestiniens. Bien que les
autorités
israéliennes prétendent que ce mur/barrière vise
à empêcher l’entrée de
Palestiniens susceptibles de mener des attaques en Israël, il est
édifié à plus
de 80 p. cent à l’intérieur de la Cisjordanie
plutôt qu’entre celle-ci et
Israël. Il encercle des villes et villages palestiniens, isolant
les familles
et les communautés les unes des autres et séparant les
Palestiniens de leurs
terres, de leur travail, de leur école, de l’hôpital et
d’autres services
essentiels.
Ces restrictions
draconiennes aux déplacements ont eu
des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la
population palestinienne
des territoires occupés. Le taux de chômage a
considérablement augmenté et
la baisse des revenus a été telle que plus de la
moitié de la population vit
désormais en-dessous du seuil de pauvreté et
dépend, dans la plupart des cas,
d’une aide extérieure.
Nous exposons plus loin
certaines conséquences
directes et visibles des restrictions qui privent physiquement les
femmes
d’accès au travail, à la santé et à
l’éducation. Il existe toutefois une série
d’autres répercussions moins visibles. La situation actuelle
offre aux hommes
de nouvelles possibilités de renforcer leur contrôle sur
les déplacements des
femmes, soit délibérément soit dans la
volonté de les protéger. C’est ainsi que
des hommes se chargent parfois des courses ou d’autres tâches
pour éviter à
leurs parentes les longs détours pénibles pour contourner
les barrages qui
encerclent les villes et les villages ou le risque d’être victime
des tirs des
soldats israéliens chargés des bouclages et des
couvre-feux. La conséquence,
intentionnelle ou non, en est que les femmes ont moins d’occasions de
sortir de
chez elles ou de leur ville ou village.
Aux termes de l’article
38-2 de la Quatrième
Convention de Genève, Israël, en qualité de
puissance occupante, est tenu de
veiller à ce que les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande
de Gaza
reçoivent « un traitement médical et des soins
hospitaliers, dans la même
mesure » que les citoyens israéliens. La
convention prévoit également
qu’Israël doit :
Non seulement
Israël a constamment négligé son devoir dans ce
domaine,
mais, ces dernières années, il a restreint de plus en
plus l’accès des
Palestiniens aux soins médicaux, ce qui a eu dans bien des cas
des conséquences
mortelles.
Les femmes contraintes
d’accoucher à des postes de
contrôle
« […] les
femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de sept ans
bénéficieront,
dans la même mesure que les ressortissants de l’État
intéressé, de tout
traitement préférentiel. »
« Les
blessés et les malades, ainsi que les infirmes
et les femmes enceintes seront l’objet d’une protection et d’un respect
particuliers. »
Articles 38-5 et 16 de la
Quatrième Convention de Genève.
Le 26
août 2003, Rula Ashtiya s’est vu refuser le passage par des
soldats israéliens et a été contrainte d’accoucher
sur un chemin de terre à
côté du poste de contrôle de Beit Furik. Son
bébé est mort quelques minutes
plus tard. Cette femme, profondément traumatisée, a eu du
mal à évoquer ce
qu’elle avait subi quand elle a rencontré des
délégués d’Amnesty International
quelques semaines plus tard. Rula Ashtiya, vingt-neuf ans, qui
était dans son
huitième mois de grossesse, a commencé à avoir des
contractions à l’aube. Son
mari, Daoud, a appelé l’ambulance et on lui a indiqué
qu’il devait se rendre au
poste de contrôle de Beit Furik, situé entre son village
et la ville de Naplouse,
où l’ambulance qui ne pouvait pas franchir le barrage
l’attendrait de l’autre
côté. Rula et Daoud se sont dirigés vers le poste
de contrôle à quelques
minutes de Salem, leur village. Il faisait déjà jour et,
vu l’état de Rula, ils
ne s’attendaient pas à rencontrer de problème pour
franchir le barrage.
Toutefois, les soldats israéliens leur ont refusé le
passage.
Rula Ashtiya a fait le
récit suivant : « On a pris
un taxi et on est descendus avant le poste de contrôle, car les
voitures ne
sont pas autorisées à s’en approcher. Nous avons
continué à pied, j’avais très
mal. Au barrage, il y avait plusieurs soldats qui buvaient du
thé ou du café et
qui n’ont pas fait attention à nous. Daoud s’est approché
pour leur parler et
l’un d’eux l’a menacé de son arme. Il leur a parlé en
hébreu, j’avais mal et je
sentais que j’étais sur le point d’accoucher. Je l’ai dit
à Daoud qui a traduit
en hébreu pour les soldats, mais ils ne nous ont pas
laissés passer. Je me suis
allongée par terre dans la poussière et je me suis
traînée derrière les blocs
de béton à côté du barrage pour avoir un peu
d’intimité. J’ai accouché dans la
poussière comme un animal. J’ai pris ma petite fille dans mes
bras, elle a
bougé un peu, mais elle est morte quelques minutes plus tard.
»
Daoud a
déclaré : « J’ai supplié les soldats de
nous laisser passer, je leur ai parlé en hébreu, je
connais l’hébreu parce que
j’ai travaillé en Israël. Ils ont compris ce que je leur
disais, mais ils ne
nous ont pas laissés passer. Après la naissance du
bébé, Rula s’est mise à
hurler, et un peu après elle a crié que le
bébé était mort. Elle pleurait. J’ai
éclaté en sanglots et j’ai couru vers les voitures de
l’autre côté du poste de
contrôle sans me préoccuper des soldats, je suis
allé chercher un taxi et je suis
revenu vers Rula. Je me sentais tellement mal de la voir dans cet
état, elle
tenait le bébé dans ses bras, il était couvert de
sang et le cordon était par
terre, dans la poussière, toujours attaché, j’ai dû
le couper avec une pierre,
je n’avais rien d’autre pour le couper. Puis j’ai pris Rula dans mes
bras ;
elle tenait le bébé, je l’ai portée jusqu’à
la voiture et nous sommes allés à
l’hôpital. Rula et moi, nous souffrons encore beaucoup. »
Une semaine plus tard,
Suzanne Alan, vingt-cinq ans,
s’est trouvée dans la même situation dans une autre
région de Cisjordanie, à
proximité de Jérusalem-Est. Le matin du 12 septembre,
cette femme, son mari,
Ashraf, et leurs trois enfants, étaient en visite chez les
parents d’Ashraf
dans un village proche de Jérusalem, quand elle a
commencé à avoir des
contractions. Ils se sont dirigés vers un hôpital de
Jérusalem, mais on leur a
refusé le passage au barrage d’Al Ram qu’ils ont essayé
de contourner pendant
près de trois heures. Suzanne a accouché d’un
garçon au bord de la route, à
l’arrière d’un taxi. Une ambulance l’a ensuite emmenée
à l’hôpital. Par chance,
Suzanne Alan et son bébé n’ont souffert d’aucune
complication.
Au début de
décembre 2004, pendant deux nuits
consécutives, deux femmes qui se rendaient à
l’hôpital de Naplouse ont accouché
dans des ambulances à un poste de contrôle à
l’entrée de la ville. Randa
Jabeeti, une habitante du village de Fundaq, non loin de Qalqiliya, a
accouché
dans l’ambulance après avoir été retardée
et fouillée au barrage. Bayan Hussein-Ali,
originaire d’Al Hatab, un village proche de Naplouse, a
également été retenue
au poste de contrôle. L’ambulance n’ayant pas été
autorisée à franchir le
barrage, il a fallu appeler un autre véhicule de Naplouse dans
lequel cette
femme a été transférée de l’autre
côté du barrage selon la procédure dite « dos
à dos ». Cette méthode, généralement
utilisée pour le transport de marchandises
lorsqu’il est nécessaire de franchir des postes de
contrôle israéliens, est
souvent le seul moyen permettant à des malades d’accéder
à l’hôpital ou de le
quitter quand les soldats israéliens refusent de laisser passer
les ambulances.
Les soldats n’ont pas autorisé le mari de Bayan Hussein Ali
à l’accompagner en
affirmant qu’il n’avait pas de permis pour entrer à Naplouse,
distante de
quelques kilomètres seulement. Une fois transférée
dans la seconde ambulance de
l’autre côté du poste de contrôle, cette femme a
accouché à côté du barrage.
Le trajet de quinze
kilomètres entre son village et
l’hôpital de Naplouse s’est transformé en tragédie
pour Maysoom Saleh Nayef al
Hayek, vingt-trois ans, enceinte de son premier enfant. Au poste de
contrôle,
des soldats israéliens ont tiré sur la voiture de la
famille : le mari de
Maysoom a été tué, elle-même et son
beau-père blessés. Elle est finalement
arrivée à l’hôpital où elle a
accouché dans l’ascenseur. Cette femme a fait le
récit suivant aux délégués d’Amnesty
International :
« J’ai
commencé à avoir des contractions le 25
février 2002, peu après minuit. J’ai
réveillé mon mari, Mohammed, et nous
sommes allés au domicile de ses parents pour appeler une
ambulance. Comme la
communication téléphonique ne passait pas, mon mari a
pris la voiture de son
frère et nous sommes partis pour l’hôpital de Naplouse.
Mon beau-père nous a
accompagnés. Environ un quart d’heure plus tard, nous sommes
arrivés au barrage
de Huwara, à l’entrée de Naplouse, où les soldats
israéliens nous ont retenus.
Ils ont fait descendre mon mari de voiture et ont vérifié
ses papiers. Ensuite,
je suis sortie ainsi que mon beau-père et nous avons
présenté nos papiers. La
voiture a ensuite été entièrement fouillée.
Nous avons dit aux soldats que je
devais arriver à l’hôpital dès que possible parce
que j’étais sur le point
d’accoucher et que j’avais très mal. Ils ont d’abord
refusé puis m’ont ordonné
de découvrir mon ventre pour vérifier que je disais bien
la vérité. Tout cela a
pris près d’une heure puis nous avons été
autorisés à repartir. Nous avions
parcouru quelques centaines de mètres quand j’ai entendu des
coups de feu
nourris à l’avant de la voiture qui s’est arrêtée.
J’ai vu que mon mari avait
été touché à la gorge et à la partie
supérieure du corps, il était affalé sur
le volant et saignait abondamment. Mon beau-père qui
était sur le siège avant
avait également été blessé à la
partie supérieure du corps. Je me suis
accroupie à l’arrière de la voiture et, pour me
protéger, j’ai mis sur ma tête
le sac contenant les vêtements pour le bébé. J’ai
été blessée à l’épaule par
des éclats et des débris de verre provenant de la vitre
cassée. Les tirs ont
duré environ cinq minutes. J’ai appelé mon mari et mon
beau-père, mais ils
n’ont pas répondu. J’ai compris que c’était grave ;
j’avais peur, les
contractions se rapprochaient et j’avais de plus en plus mal. Je
pleurais et je
me suis mise à crier. Des soldats m’ont sortie de la voiture,
ils m’ont fait
déshabiller pour m’examiner, puis ils m’ont laissée par
terre, je saignais à
cause de mes blessures et j’étais sur le point d’accoucher. Je
leur ai demandé
en vain de me donner quelque chose pour me couvrir. Jusqu’à
aujourd’hui, je
ressens de la honte et de la colère. Ils ont examiné mon
mari et mon beau-père
et ils ont dit qu’il fallait le transférer dans un hôpital
israélien. Ensuite,
ils ont appelé une ambulance de Naplouse pour moi.
« L’ambulance est
arrivée et je suis partie avec mon
beau-père. J’ai accouché d’une fille dans l’ascenseur
à mon arrivée à l’hôpital
Rafidiya de Naplouse. Je l’ai appelée Fida, c’est mon seul
enfant. Ma mère, qui
se trouvait à l’hôpital auprès de ma sœur qui avait
accouché la même nuit, m’a
dit que mon mari était mort. Mon beau-père,
âgé de soixante-six ans, était
grièvement blessé, il avait été
touché par balles aux poumons et il est resté
quarante jours dans le coma. Je suis restée dix jours à
l’hôpital puis je suis
allée chez ma mère où je vis toujours avec ma
fille. Je ne suis pas retournée
chez les parents de mon mari car ils considèrent que je suis
responsable de la
mort de leur fils. »
Quand elle a
commencé à aller mieux, quelques mois
après avoir subi cette épreuve, Maysoom al Hayek a
déposé une plainte contre
l’armée israélienne par l’intermédiaire d’une
organisation israélienne de
défense des droits humains. Elle a fait cette démarche
sur les conseils d’une
assistante sociale travaillant pour une organisation de femmes
palestiniennes
qui l’a encouragée à canaliser de manière
constructive sa colère et sa honte.
Amnesty International
considère que la pratique des
soldats israéliens consistant à retenir aux postes de
contrôle les femmes sur
le point d’accoucher ou à leur refuser le passage, les privant
ainsi de soins
médicaux nécessaires et urgents, constitue un traitement
cruel, inhumain et
dégradant.
La peur,
l’anxiété et les autres conséquences pour
les femmes enceintes
Les cas exposés
plus haut ne sont que des exemples
parmi d’autres. De très nombreuses Palestiniennes ont
été confrontées à des
épreuves similaires au cours des quatre années
écoulées. La perspective de
subir un tel supplice terrifie les femmes enceintes. Les membres du
personnel
de santé affirment que la peur de ne pas arriver à
l’hôpital à temps pour
accoucher est devenue une source importante d’anxiété et
de crainte pour les
Palestiniennes dans l’ensemble des territoires occupés. Cette
anxiété s’accroît
à la fin de la grossesse.
« Depuis
septembre 2002, les
nombreux couvre-feux et bouclages ont provoqué une crise grave
dans l’accès aux
soins médicaux. Les femmes enceintes et celles qui doivent
accoucher sont
particulièrement vulnérables. Du fait de cette situation,
des femmes ont de
nouveau accouché à domicile, bien qu’il s’agisse souvent
d’une décision
improvisée plutôt que d’un choix, imposée par les
centaines de postes de
contrôle qui isolent les villages des villes et celles-ci les
unes des autres.
Des femmes ont décidé d’accoucher à domicile en
s’efforçant de trouver une
sage-femme ; d’autres ont subi des épreuves horribles en
essayant de franchir
les barrages, et certaines ont réussi à arriver à
la maternité. Quel que soit
l’endroit où elles ont fini par accoucher,
l’anxiété est devenue partie
intégrante de la naissance d’un enfant pour toute la famille […]»
La situation est
particulièrement
grave pour les femmes qui vivent dans des villages ou des
régions rurales, en
raison des barrages de l’armée israélienne qui isolent
les villes où se
trouvent les hôpitaux des villages environnants. Même si le
village est à
quelques kilomètres de la ville, le trajet peut prendre
plusieurs heures et
tout déplacement est impossible la nuit. Durant les incursions
de l’armée ou
lorsque celle-ci impose un couvre-feu, il est difficile, voire
impossible, de
se rendre à l’hôpital, même pour les habitants de la
ville. En théorie, les
ambulances devraient être autorisées à circuler
même en cas de couvre-feu, et à
franchir les postes de contrôle avec des malades, mais il faut
établir au
préalable une coordination avec l’armée et les retards
sont monnaie courante.
Il arrive que l’armée refuse catégoriquement le passage ;
dans d’autres cas,
les ambulances sont contraintes à de longs détours par
des routes secondaires
ou doivent attendre, et les malades doivent souvent être
transférés d’une
ambulance à l’autre, de part et d’autre du poste de
contrôle.
Les femmes n’ont que peu
de possibilité de choisir
l’endroit où elles vont accoucher. Celles qui ont de la famille
en ville
peuvent s’installer chez leurs proches avant la date prévue pour
l’accouchement
de façon à être à proximité de
l’hôpital. La plupart des femmes n’ont toutefois
pas cette possibilité, soit qu’elles n’aient pas de famille en
ville, soit
qu’elles aient d’autres enfants et qu’il leur soit impossible de les
emmener
avec elles ou de quitter leur domicile pendant plusieurs semaines. Qui
plus
est, en cas de naissance prématurée, de tels arrangements
ne règlent rien.
Dans la nuit du 21
décembre 2003, Lamis Qassem,
vingt-cinq ans, a commencé à avoir des contractions dans
son septième mois de
grossesse. Elle a accouché de jumelles dans l’ambulance avant
d’arriver à
l’hôpital ; elle avait été retenue par un soldat
israélien pendant plus d’une heure
dans un froid glacial au poste de contrôle de Deir Ballut. L’un
des bébés est
mort dans l’ambulance et l’autre quelques heures après son
arrivée à l’hôpital.
Selon les médecins, les jumelles qui pesaient environ 1 500
grammes auraient
survécu si elles étaient nées à
l’hôpital, les premières minutes de soins
pouvant être déterminantes dans un tel cas.
Le personnel de
santé déplore qu’un nombre croissant
de femmes qui pourraient accoucher normalement choisissent un
accouchement
provoqué ou une césarienne de peur de ne pas pouvoir
rejoindre l’hôpital si
elles ont des contractions la nuit ou si elles doivent accoucher
pendant une
incursion militaire, un couvre-feu ou un bouclage. Avant la
multiplication des
bouclages et des barrages routiers ces dernières années,
la grande majorité des
Palestiniennes accouchaient à l’hôpital. C’est toujours le
cas, mais le
pourcentage de femmes qui accouchent à domicile a
augmenté. Dans le passé, des
femmes choisissaient délibérément d’accoucher
à domicile, mais aujourd’hui,
elles préfèrent ne pas envisager cette
possibilité, car elles craignent de ne
pas arriver à temps à l’hôpital en cas de
complications.
Les membres du personnel
de santé qui encourageaient
les femmes à accoucher à domicile pensent que cela est
devenu plus difficile
dans les circonstances actuelles.
Selon Rita Giacaman,
professeur adjoint et
coordinatrice de programme et de recherche à l’Institut de
santé publique et
communautaire de l’université de Birzeit : « La
perspective de donner
naissance devrait être une joie pour une femme enceinte, mais les
femmes
n’attendent plus ce moment avec impatience. Au contraire, elles ont
peur que
les choses se passent mal et qu’elles-mêmes ou leurs
bébés meurent. Elles
craignent même des complications mineures qui ne seraient pas un
problème en
temps normal. Il en résulte une tendance à
surmédicaliser l’accouchement et les
femmes pensent qu’elles doivent être en mesure de décider
du moment où elles
pourront accoucher en toute sécurité. La
césarienne ou l’accouchement provoqué
leur apparaissent comme la seule garantie en la matière.
L’état de siège a
réduit les possibilités de choix dans ce domaine : les
femmes subissent des
césariennes non justifiées car elles ont peur et ne
peuvent plus prendre la
décision d’accoucher à domicile. En même temps,
elles se préoccupent moins des
soins anténataux et postnataux auxquels elles n’ont pas
accès à cause de l’état
de siège ou parce qu’elles ont peur des incursions de
l’armée, ou encore du
fait de la tension résultant de l’augmentation de la
pauvreté et du danger pour
leur famille et pour elles-mêmes, raisons pour lesquelles elles
ne font pas de
leur santé une priorité(15). »
Le 15 février
2005, le secrétaire général des Nations
unies, Kofi Annan, s’est déclaré préoccupé
par le fait que « les
Palestiniennes souffrent massivement de malnutrition, tout
particulièrement
celles qui sont enceintes ou qui allaitent ». Dans son
rapport à la
Commission de la condition de la femme du Conseil économique et
social
(ECOSOC), il a évoqué les conclusions de l’Organisation
mondiale de la santé
(OMS) selon lesquelles « lors d’un programme de visites
à domicile durant la
période considérée – octobre 2003 – septembre 2004
– 69,7 p. cent des 1 768
femmes enceintes examinées durant le dernier mois de leur
grossesse étaient
anémiées».
Autres sujets de
préoccupation relatifs à l’accès aux
soins médicaux
Les sujets de
préoccupation exposés plus haut
s’appliquent aussi à d’autres problèmes de santé
non liés à l’accouchement. De
nombreuses femmes négligent de plus en plus leur santé en
raison de
l’augmentation de la pauvreté, car, vu les difficultés
auxquelles elles sont
confrontées, elles-mêmes ou leur entourage ne sont pas en
mesure de donner
l’importance requise à leur situation personnelle et
privilégient le bien-être
de leurs enfants et des autres membres de leur famille.
Par ailleurs, les
restrictions aux déplacements, le
refus de passage ou l’attente aux barrages, ainsi que les bouclages et
couvre-feux entraînent toute une série de complications
pour les personnes qui
ont besoin de soins médicaux, notamment les femmes ; cela va,
dans certains
cas, jusqu’à la mort des malades.
« Les restrictions
imposées par
Israël à la liberté de mouvement des Palestiniens
des territoires occupés ont
fortement réduit leur possibilité d’accès aux
services de santé de base […] Depuis
le déclenchement de l’Intifada en septembre 2000, la situation
s’est encore
détériorée et les violations des droits des
malades ont atteint un niveau sans
précédent. »
Durant les trente-sept
années
d’occupation israélienne, le développement du
système de santé palestinien a
été très limité. Les Palestiniens doivent
avoir recours aux hôpitaux israéliens
ou se rendre à l’étranger pour certains traitements.
C’est ainsi que les hôpitaux
de la bande de Gaza ne sont pas en mesure de diagnostiquer et de
soigner
correctement les patients atteints de cancers, et notamment les femmes
souffrant d’un cancer du sein. Selon Médecins pour les droits
humains – Israël,
le taux de survie pour ce type de cancer n’est que de 30 à 40 p.
cent dans la
bande de Gaza contre 70 à 75 p. cent en Israël.
Alors qu’il est de plus
en plus difficile aux
Palestiniens d’obtenir un laissez-passer pour entrer en Israël,
beaucoup sont
obligés de partir pour l’étranger. Dans les deux cas, ils
doivent obtenir
l’autorisation de l’armée israélienne pour quitter la
Cisjordanie et la bande
de Gaza. Mais ceux qui sont autorisés à partir se
trouvent souvent dans
l’impossibilité de le faire du fait du bouclage des
frontières imposé par
Israël. Les malades qui habitent la bande de Gaza sont dans une
situation
particulièrement difficile en raison des bouclages
fréquents et prolongés de la
frontière entre Gaza et l’Égypte, seul point de passage
pour quitter la bande
de Gaza.
Témoignage de N.
A., Palestinienne de trente-huit
ans, originaire de Khan Yunis, dans la bande de Gaza, recueilli le 12
janvier
2005 : « Je suis partie le 8 décembre 2004 pour aller
me faire soigner à
Alexandrie, en Égypte. Aujourd’hui, j’ai fini mon traitement et
je veux rentrer
dans ma ville et retrouver ma famille, mais malheureusement le bouclage
me
prive de mon droit fondamental de rentrer normalement chez moi. J’ai
quatre
enfants qui vont à l’école, le plus jeune a cinq ans.
C’est la première fois
que je suis séparée d’eux, je me fais beaucoup de souci
et j’ai peur. Je veux
simplement rentrer chez moi et retrouver ma famille. »