Alors que les
projecteurs médiatiques sont braquées sur le
démentellement des colonies de Gaza, un petit tour en
Cisjordanie, autre partie de la Palestine occupée, et en
particulier à Hébron, où la population continue de
subir la violence quotidienne du racisme et du colonialisme. |
Hebron,
Al Khalil en arabe, est,
parait-il, une des plus vieille ville du monde. C'est aussi une des
villes de Cisjordanie la plus touchée par l'occupation et la
colonisation. Régulièrement, Hébron est
mentionné dans les actualités pour des affrontements et
échanges de tirs, des morts et des blessés.
Située à moins de 40 kilomètres au sud de Jérusalem, il faut, selon l'état de la circulation, entre 30 et 40 minutes à peine pour aller de la porte de Damas, à Jérusalem, au centre d'Hébron, lorsque l'on est israélien, occidental ou résident de Jérusalem. Pour un résident d'Hébron par contre, lorsque par chance les territoires ne sont pas "fermés", il faut compter entre deux et trois heures. La route rapide reliant les deux villes est, en effet, interdite aux résidents de Cisjordanie. Un aspect parmi d'autre de l'apartheid et du colonialisme au quotidien. Cet apartheid au quotidien, tout comme le "mur de séparation" qui se construit au nord du pays, donne un caractère prophétique à un passage d'un texte de Rosa Luxemburg écrit au lendemain de la première boucherie mondiale. Dénonçant les divers nationalismes qui, comme "des cadavres putréfiés surgissent de leur tombe centenaire", la grande militante internationaliste, juive née en Pologne et qui donnera sa vie pour la classe ouvrière allemande, écrit "des sionistes édifient déjà leur ghetto palestinien". Le long de la route, le paysage défile : check-points et contrôles militaires peu avant l'entrée à Jérusalem, collines arides typiques de cette région de Cisjordanie, villages pavionnaires de colons protégés par des murs et des soldats, camp de réfugiés, et enfin, l'arrivée à Hébron. Le centre d'Hébron donne
l'impression d'un immense chantier, comme si tous les immeubles
étaient encore en construction. Cette partie, la ville moderne,
est contrôlée par l'Autorité Palestinienne (zone
H1). Non
loin de ce qui fait office de station de bus et de taxi, à
côté de magasins en dur, on trouve de très nombreux
étalages de marchands, à même la route, vendant des
fruits, des légumes, des habits, des jouets, un peu de tout,
à proximité des gaz d'échappement. Pour la plupart
ces marchands ne sont pas des vendeurs ambulants, mais
possédaient un magasin en dur dans la vieille ville, lieu
où l'occupation a rendu tout commerce impossible.
Cette rue, qui conduit à
l'entrée de la vieille ville, était avant la rue la plus
commercante et la plus animée d'Hébron. Il y règne
désormais un silence sinistre qui contraste si violemment avec
l'animation du centre de la ville moderne. C'est, entre autre, de ces
magasins fermés que viennent les nombreux étalages que
l'on trouve dans la ville moderne.
Plus on s'approche de l'entrée de
la vieille-ville et plus on saisit par la désolation et le
silence sinistre du lieux. C'est comme une ville morte, une ville
vidée de ses habitants, sans circulation, sans cris d'enfants ou
de commerçants, sans vie ou presque. Cette rue est une sorte de
no-man's land, puisqu'au bout, on entre, après un premier
check-point, dans la vieille-ville. Car si la ville moderne
d'Hébron est sous le contrôle de l'Autorité
Palestinienne, la vieille-ville, elle est toujours sous le
contrôle de l'armée israélienne, en zone H2. En
effet, Hébron est la seule ville de Cisjordanie où des
colons se sont installés au coeur même de la ville. Ils
sont environ 400 à y vivre, protégés par
près de 3.000 soldats. Les checks-points aux entrées de
la vieille-ville, qui, selon les moments, laissent ou non entrer dans
cette partie de la ville, et la haine des colons qui y vivent
(même au sein de la droite israélienne, on désigne
parfois les colons d'Hébron comme étant des "fous"),
rendent effectivement toute activité économique
palestinienne dans cette zone extrêmement précaire.
Entourée de check-points, avec des
contrôles d'identité et des soldats armés aux
portes de cette zone, on ne peut s'empêcher en entrant dans la
vieille ville d'avoir l'impression d'entrer dans un ghetto, ou
même, les territoires palestiniens de Cisjordanie étant
eux-même enclavés par des check-points, d'entrer dans un
ghetto au coeur même du ghetto. La
population palestinienne qui y vit est particulièrement
touchée par le chômage et la misère.
Sur les devantures de magasins arabes
fermés (mais qui servent encore d'habitation), des
étoiles de David peintes par des colons. Ces images ne
peuvent qu'en rappeler d'autres pour toute personne venant d'Europe,
images d'autres ghettos, des images de Berlin par exemple dans les
années 30. A cette époque, ces étoiles
étaient accompagnées de phrases comme "Deutschland
erwache ! Kauft nicht bei Juden" (Allemagne, réveille-toi,
n'achète pas chez les Juifs). Elles symbolisaient alors la haine
antisémite. Ici, les colons qui peignent ces étoiles
indiquent "nous sommes ici chez nous" et dans le meilleur des cas,
sous-entendent "les Arabes dehors !". Dans le meilleur des cas, parce
que les graffitis qui accompagnent ces étoiles, écrits en
hébreux, en russe ou en anglais, sont le plus souvent encore
plus haineux et plus clairs : "Mort aux Arabes", "Nous allons violer
toutes les femmes arabes", et même "les Arabes dans les chambres
à gaz"...
On pourrait se demander : "Comment des
Juifs peuvent-ils reprendre des slogans qui font si cruellement
référence à la barbarie nazie ?". Ce serait
oublier qu'aucun peuple n'est immunisé contre la haine raciste,
que le fascisme, né de la décomposition du capitalisme,
n'est en rien une spécificité allemande ou italienne,
qu'il existe aussi une extrême-droite juive et que tout Etat est
porteur de barbarie nationaliste. Car si les colons d'Hebron ne sont
bien sûr en rien représentatifs de la population
israélienne, ils ne sont pas une simple bande d'abrutis
racistes, mais bien un instrument de la politique coloniale de l'Etat
israélien. Protégés par l'armée, ces colons
racistes, militants parfois dans des groupes officiellement interdits
en Israël (comme la Ligue de Défense Juive), n'agissent pas
que sur initiative individuelle, mais avec le soutien militaire de
l'appareil d'Etat israélien. Rien de spécifiquement
israélien, bien sûr, des freikorps envoyés par la
République de Weimar contre le prolétariat de Munich aux
talibans entrainés par la CIA en Afghanistan, en passant par les
barbouzes de l'impérialisme français en Afrique, il est
fréquent que les démocraties bourgeoises utilisent des
groupuscules fascisants pour défendre leurs
intérêts.
Au rez-de-chaussée, des habitations
palestiniennes ; à l'étage, des colons. Des grillages ont
été suspendus pour protéger les Palestiniens des
jets de pierres et d'autres objets lancés par les colons, qui
jettent maintenant des ordures qui moisissent au-dessus de cette
ruelle.
Nouveau check-point à la sortie de la vieille-ville. Tout comme l'entrée, la sortie y est aléatoire. Contrôle rapide des passeports par des soldats en armes. En sens inverse, un vieillard tente de passer avec une charette de marchandises : il est refoulé, ou plutôt il pourrait passer, mais sans sa charette. On arrive ainsi devant le Caveau des Patriarches, où Abraham serait enterré, lieu symbolique des mythologies juive et musulmane, puisqu'Abraham aurait eu deux fils, Israël (fondateur du peuple juif) et Ismaël (fondateur du peuple arabe). Cette mosquée est donc aussi une synagogue, et les deux lieux de culte sont maintenant séparés par un mur. La haine raciste des colons ne se limite pas à des slogans écrits sur les murs. Le 25 février 1994, peu après l'assassinat de trois Palestiniens à Terkoumia, à l'ouest de la ville, c'est le massacre du Caveau des patriarches. Brauch Goldstein, militant de l'extrême-droite israélienne, entre dans la mosquée, tire, assassine 29 musulmans et en blesse 125. L'année suivante, en 1995, un monument de marbre est érigé dans la colonie de Kiryat Arba à la mémoire de l'assassin terroriste. Une cérémonie rassemblant plusieurs centaines de colons est ainsi organisée par des mouvements racistes israéliens pour commémorer le meurtrier. Des orateurs du groupe raciste Kach affirment par exemple : "Nous allons montrer à ceux qui pensaient que Golstein était un cas isolé qu'ils se trompent" et même "Nous devons continuer sur la voie qu'il a tracé. C'est un modèle qui doit être suivi. Une mosquée est un lieu idéal pour tuer des Arabes". Comme partout dans le monde, le racisme, qui commence par des slogans, des appels à la haine, qui parfois est banalisé par des blagues stupides, se termine dans un bain de sang. Et les tueries comme à Shfaram plus de 10 ans après sont là pour montrer que ce racisme anti-arabe, dans cette région du monde, continue de tuer. Après être repassés par les check-points, retour dans la ville nouvelle et ses rues bruyantes. Les femmes, à plus de 80%, portent le hidjab, et on peut, parfois, croiser ces ombres, entièrement voilées et masquées dans leur prison de tissu, à la mode saoudienne. Dans la vieille-ville, de toute façon, il est fortement déconseillé, pour une femme arabe, de se montrer sans hidjab. C'est ainsi que se dessine les différentes chaines de l'oppression : les territoires palestiniens "autonomes" de Cisjordanie, entourés de chek-points, de colonies et de routes interdites aux Palestiniens, sont déjà une prison à ciel ouvert. Les zones, comme la vieille-ville d'Hébron, entourées d'autres chek-points, et où la population est soumise au harcélement et à la haine quotidienne des colons d'extrême-droite, est une prison dans la prison. Et au coeur de cette prison, il y a d'autres prisons, celles où sont enfermées les femmes, derrière les portes des domiciles familiaux et les barreaux de tissu des hidjabs. Répondant aux appels à la
haine raciste des colons, d'autres appels à la haine sont
lancées depuis les minarets de certaines mosquées de la
ville, appelant à la mobilisation derrière le drapeau
vert de l'islam politique. Ici, comme à Gaza, des milices
existent pour faire respecter la "loi islamique", s'en prenant en
particulier aux femmes qui osent se montrer un peu trop libres et
indépendantes. A l'apartheid raciste de l'Etat d'Israël se
superpose un autre apartheid, séparant non pas les peuples, mais
les sexes, au racisme étatique s'ajoute le sexisme
religieux. Pour les femmes, la vie s'organise ainsi, entre les
contrôles militaires et le contrôle familial, entre les
lois racistes et les lois religieuses et patriarcales.
"Il ne faut pas parler de ça... Le plus important, c'est la libération nationale"... sous-entendent les nombreux discours de militants et même de militantes pro-palestiniens d'Europe. Ainsi si Faten, Yousra, Rudaina, Amany et tant d'autres jeunes femmes auraient été tuées à un check-points ou assassinées par des colons racistes, on pourrait les pleurer, mais il ne faudrait pas en parler parce qu'elles n'ont pas été tuées en tant que Palestiniennes, mais en tant que femmes ? La violence sexiste, la violence exercée contre un être humain parce qu'elle est née femme serait-elle plus acceptable que la violence exercée contre un être humain parce qu'il est né arabe ? Faut-il choisir entre l'oppression coloniale et l'oppression machiste ? Entre la prison coloniale et la prison islamiste ? Entre la barbarie raciste et la barbarie sexiste ? Car il n'y a pas que le "mur de séparation", ce mur de l'apartheid, qui ici, dans une de ces régions du monde où l'humanité vit toute l'atrocité de l'oppression impérialiste, rend la lecture de Rosa Luxemburg d'une étonnante actualité, elle qui, aux lendemains de la première boucherie mondiale, indiquait déjà quelle était la question à poser : socialisme ou barbarie ! Car, "c'est seulement dans une telle société que seront extirpées les racines de la haine chauvine et de l'asservissement des peuples. C'est alors seulement que la terre ne sera plus souillée par l'holocauste d'êtres humains, c'est alors seulement qu'on pourra dire : cette guerre a été la dernière !" Utopique ? Peut-être, comme pouvaient être jugées utopiques les appels de Karl Liebknecht et de Lénine en 1914, et pourtant, trois ans plus tard, le monde sera secoué par Octobre 1917 ! Et dans ce pays arriéré, les ouvriers et les moudjiks ont non seulement imposé la paix, mais ont proclamé l'égalité entre hommes et femmes jusque dans les campagnes reculées de l'Asie Centrale, et les secousses de ces journées qui ont ébranlé le monde se sont senties jusqu'au Machrek avec la féministe Hoda Charaaoui qui jette son voile en public à la gare du Caire dans les années 20. Il n'existe aucune fatalité qui imposerait que les femmes de Palestine et des autres régions du Moyen-Orient soient opprimées, comme il n'existe aucune loi naturelle qui imposerait que cette partie du monde soit éternellement victime des guerres, de l'impérialisme et du racisme. A la sortie de la vieille-ville, un jeune soldat de Tsahal, ne montrant aucun intérêt à mon passeport, me demande "que penses-tu de la situation ?". Je lui répond, finissant quelques mots comme "cette région pourrait être magnifique s'il n'y avait ni racisme ni occupation". Sans chercher à justifier la politique israélienne, il dit simplement, "oui, ce pays pourrait être beau", avec un regard triste et fatigué, comme s'il se demandait ce qu'il foutait là. Il a certainement autre chose à faire que de gâcher sa jeunesse à l'armée, sûrement une copine à embrasser à Haïfa ou à Tel-Aviv. Et dans les rues d'Hébron, ici ou là, résonne, plus fort que les prêches des imans, le refrain d'une chansons à la mode, disant "je viens vers toi habibi, personne ne peut interdire d'aimer". En Palestine comme en France, malgré le racisme, l'occupation, et le patriarcat on rêve d'amour. En Palestine, comme en France, comme ailleurs dans le monde, on aspire à une vie libre et heureuse, à la paix et à l'égalité... "La vie est belle. Que
les générations futures la nettoient de tout
mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent
pleinement "
(Léon Trotsky)
Photo : militantes communistes en Irak. |