Assassinées
au nom de l’honneur
Dans l’ombre du conflit israëlo-palestinien se cache un tourment moins connu, les « crimes d’honneur ». Le
père de Faten Habash pleurait lorsqu’il promettait que sa fille
ne serait plus
battue, qu’elle ne serait plus menacée de mort et qu’elle serait
libre
d’épouser l’homme qu’elle aimait, même s’il est musulman.
Tout ce qu’il
demandait, c’était que Faten retourne à la maison. Hassan
Habash a même donné
sa parole à une tribu de bédouins traditionnellement
appelée pour négocier des
sujet d’honneur dans la famille, un engagement considéré
comme sacro-saint dans
la société palestinienne. Mais le week-end suivant,
après avoir regardé passer
des scouts par le balcon de sa maison à Ramallah, la
Palestinienne chrétienne
âgée de 22 ans a été conduite dans une
pièce et matraquée à mort à coup de
barre de fer. Son père a été arrêté
pour le meurtre. « Il
m’avait donné sa parole qu’elle ne serait pas
menacée » dit Ibrahim Abou
Dahouq, le médiateur bédouin, « il pleurait et
la priait de revenir à la
maison et disait même qu’il lui était égal qu’elle
était partie parce qu’un
mariage serait pour lui un honneur. Nous n’aurions jamais cru que
l’amour
pouvait mener à une mort aussi laide ». Deux
jours plus tard, un autre rituel de meurtre a été
dévoilé à quelques kilomètres
de là, à Jérusalem. Maher
Shakirat a sommé trois de ses soeurs de venir discuter d’une
question familiale
après que l’une d’entre elles, Rudaina, fut jeté dehors
par son mari suite à
une histoire alléguée. Maher a écouté les
démentis de Rudaina, puis ses sœurs.
Ensuite, il a forcé les trois femmes à boire un agent de
blanchiment avant
d’étrangler Rudaina qui était enceinte de huit mois. Les
autres sœurs ont
essayé de se sauver, mais Maher a rattrapé et
étranglé Amani, âgée de 20 ans.
La troisième, Leïla, a pu s’échapper, mais a
été empoisonnée par l’agent de
blanchiment. Maher,
un chauffeur de bus âgé de 30 ans, est actuellement en
fuite, mais ses parents
ont été arrêtés, le père parce qu’il
est soupçonné d’avoir commandité le
meurtre et la mère en tant que complice. Pendant
sa garde à vue, on a demandé à Amin, le
père de Rudaina, pourquoi ses filles
avaient été tuées. « Parce qu’elles ont
déshonoré la famille » a-t-il
répondu. « Une femme marié qui va avec un
autre homme n’est pas
bonne ». Les
meurtres de Faten Habash et des sœurs Shakirat le mois dernier, sont
les
derniers connus des crimes « d’honneur » brutaux
qui ont secoué la
société palestinienne ces dernières semaines. Ces
décès ont incité une demande
de modification des lois héritées de la domination
jordanienne et qui
considèrent toutes les femmes comme des
« mineurs » sous l’autorité
de leurs parents masculins, et qui condamnent à six mois de
prison maximum les
coupables de « crimes d’honneur ». Mais
cette demande a rencontré la résistance du parlement
palestiniens, où les
parlementaires religieux arguent qu’une telle réforme
mènera à un effondrement
moral de la société palestinienne. Selon
le Ministère Palestinien des Affaires des Femmes, 20 filles et
femmes ont été
assassinées l’année dernière dans des crimes
« d’honneur » et une
cinquantaine se sont suicidées (souvent sous la contrainte) pour
avoir apporté
la « honte » sur la famille suite à des
relations sexuelles hors du
mariage, refuser un mariage ou tenter de divorcer. 15 autres femmes ont
survécues à des tentatives de meurtre. Crimes dissimulésLe
ministère indique que des douzaines d’autres meurtres sont
dissimulés tous les
ans. « Nous avons l’exemple d’une femme de 26 ans pour
laquelle le
certificat de décès note morte de
vieillesse », nous dit Maha Abou Dayyeh
Shamas, directrice de la WCLAC. « Une autre raison
très courante sur les
certificats de décès, c’est « est
tombée dans le puit ». Et nous
constatons que ces femmes ont été
étranglées avant d’être jetées dans le
puit. ». Le
meurtre de Faten Habash est peu commun puisqu’il a été
commis au sein de la
minorité chrétienne de Palestine. Son désir
d’épouser un jeune musulman, Samer
Hamis, a fâché sa famille si bien que le couple a
décidé de fuir en Jordanie.
Le père de Faten a appeler le prêtre de la famille pour
arrêter sa fille, parce
que, bien qu’elle avait 22 ans, toutes les femmes sont
considérées comme des
mineurs sous l’autorité de leurs parents masculins. Les
autorités
palestiniennes ont renvoyé Faten chez elle, où elle a
été battue et le bassin
brisé après qu’elle ait été jetée ou
qu’elle ait essayée de s’échapper par la
fenêtre de la maison. Elle a passé six semaines à
l’hôpital. Elle a cherché la
protection dans une tradition antique, connue sous le nom de Tanebeh,
celle
d’une famille de bédouins pour régler ce genre de
conflits. Abou Dahouq, avocat
de la tribu Dawakuk, a été en pourparlers avec la famille
Habash. Selon
Dahouq « Faten croyait avoir eu une garantie de
sécurité ». Deux
jours plus tard, elle était assassinée. « Cette
famille n’a aucun honneur, aucune façon, aucune
éthique » dit Dahouq,
« et la fille était aussi honorable qu’elle pouvait
l’être. Tout ce
qu’elle voulait c’était épouser l’homme qu’elle aimait.
Je pense que des
personnes de son église ont aussi une part de
responsabilité dans ce meurtre.
Elles ont dit à la famille que leur fille leur faisait honte, de
sorte qu’elle
ont une responsabilité dans ce crime ». Le
père Ibrahim Hijazin, prêtre de la famille, refuse de
parler du meurtre de
Faten si ce n’est pour dire qu’il a appelé les autorités
palestiniennes pour
lui empêcher de passer en Jordanie. Et il ajoute que d’autres
familles auraient
réagi comme la sienne. « Il
n’y a pas de mariage inter-confessionnel parmi les arabes. Les
catholiques ici
sont chrétiens par la foi et musulmans par la culture, et dans
cette communauté
on interdit que des chrétiens épousent des musulmans. Ce
n’est pas bon. C’est
une mentalité tribale. Je ne l’accepte pas, mais c’est la
culture »
ajoute-t-il. Sans consentementZuhaira
Kamal, Ministre Palestinienne des Affaires aux Femmes, a demandé
une
modification de la loi pour permettre à des femmes de plus de 18
ans de se
marier sans le consentement d’un parent masculin et une réforme
de la vieille
législation palestinienne qui permet de libérer les
tueurs après quelques mois
de prison. Mais
le Parlement Palestinien a refusé cette réforme.
« Ils sont très
traditionnels sur cette question » dit Abou Dayyeh Shamas,
« ils
disent que ce sont nos traditions, qu’un homme dans un moment de
colère peut
être amené à faire des choses comme ça. Ils
donnent comme message à la
communauté qu’on peut tuer sans être puni. Nous avons
beaucoup de plaintes de
femmes parce que leurs maris les trompent. Nous demandons au Parlement
Palestinien s’il pense qu’on devrait permettre à ces femmes de
tuer leurs
maris. Ils ne peuvent pas répondre à cette
question ». Bien
que les crimes d’honneur aient une longue histoire dans la
société palestinienne,
les groupes pour les droits des femmes disent que l’augmentation de ces
meurtres ne peut pas être séparée de la violence
résurgente des quatre
dernières années du conflit israélo-palestinien. « Les
choses se décomposent en raison de la modification du rapport
entre hommes et
femmes. Un grand nombre de femmes sont la source principale de revenus
dans la
famille, tandis que leur mari ne font rien », explique Abou
Dayyeh Shamas,
« c’est le baiser de la mort pour la famille ». « Les
hommes sentent qu’ils ont perdu leur dignité et ils veulent
d’une façon ou
d’une autre la retrouver avec l’honneur de la famille. Nous avons
noté que les
cas récents sont beaucoup plus violent en nature :
tentatives de meurtres,
viols, incestes. Il y a une quantité incroyable
d’incestes ». Amira
Abou Hanhan Qaoud a assassiné sa fille, Rafayda, parce qu’elle
est tombée
enceinte après avoir été violée par ses
deux frères. « Ma fille est tombée
est s’est cassée le genoux. Je l’ai portée à
l’hôpital, et là le docteur m’a
dit qu’elle était enceinte. Alors je l’ai tuée. C’est
aussi simple que
ça » dit Qaoud sur son palier à Ramallah.
Qaoud a attendu que le bébé
naisse puis l’a donné pour qu’il soit adopté. Elle est
ensuite allé voir sa
fille avec une lame de rasoir et lui a demandé de se couper les
veines. Rafaya
a refusé, aussi sa mère lui a mis un sac en plastique sur
la tête, lui a coupé
les veines, et lui a tapé sur la tête avec un bâton.
Les
frères, Fahdi et Ali, ont été condamnés
à dix ans de prison pour viol. Qaoud a
fait deux ans de prison pour le meurtre de sa fille. Elle a
retiré de sa maison
toutes les photos de ses enfants et refuse de parler du meurtre, disant
qu’elle
veut maintenant oublier. Les
répercussions du meurtre de Faten Habash sont encore
présentes. L’homme qu’elle
a aimé est surveillé et protégé
après avoir reçu des menaces de la famille
Habash. Le
médiateur bédouin dit que la famille Habash a
déshonoré sa tribu en ne tenant
pas sa parole comme quoi Faten ne serait pas menacée.
« Ce n’est pas un
crime contre la fille, c’est un crime contre notre famille »
dit Dahouq. « Puisqu’ils
n’ont pas tenu parole, nous avons le droit d’exercer des
représailles. Il y
aura une réaction puisqu’ils ont trahi leur religion et nous ont
trahi ». Chris McGreal, « The Cardian », 30 juin 2005 |