Assassinées au nom de l’honneur


The Gardian, 30 juin 2005
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Dans l’ombre du conflit israëlo-palestinien se cache un tourment moins connu, les « crimes d’honneur ».

Le père de Faten Habash pleurait lorsqu’il promettait que sa fille ne serait plus battue, qu’elle ne serait plus menacée de mort et qu’elle serait libre d’épouser l’homme qu’elle aimait, même s’il est musulman. Tout ce qu’il demandait, c’était que Faten retourne à la maison. Hassan Habash a même donné sa parole à une tribu de bédouins traditionnellement appelée pour négocier des sujet d’honneur dans la famille, un engagement considéré comme sacro-saint dans la société palestinienne. Mais le week-end suivant, après avoir regardé passer des scouts par le balcon de sa maison à Ramallah, la Palestinienne chrétienne âgée de 22 ans a été conduite dans une pièce et matraquée à mort à coup de barre de fer. Son père a été arrêté pour le meurtre.

« Il m’avait donné sa parole qu’elle ne serait pas menacée » dit Ibrahim Abou Dahouq, le médiateur bédouin, « il pleurait et la priait de revenir à la maison et disait même qu’il lui était égal qu’elle était partie parce qu’un mariage serait pour lui un honneur. Nous n’aurions jamais cru que l’amour pouvait mener à une mort aussi laide ».

Deux jours plus tard, un autre rituel de meurtre a été dévoilé à quelques kilomètres de là, à Jérusalem.

Maher Shakirat a sommé trois de ses soeurs de venir discuter d’une question familiale après que l’une d’entre elles, Rudaina, fut jeté dehors par son mari suite à une histoire alléguée. Maher a écouté les démentis de Rudaina, puis ses sœurs. Ensuite, il a forcé les trois femmes à boire un agent de blanchiment avant d’étrangler Rudaina qui était enceinte de huit mois. Les autres sœurs ont essayé de se sauver, mais Maher a rattrapé et étranglé Amani, âgée de 20 ans. La troisième, Leïla, a pu s’échapper, mais a été empoisonnée par l’agent de blanchiment.

Maher, un chauffeur de bus âgé de 30 ans, est actuellement en fuite, mais ses parents ont été arrêtés, le père parce qu’il est soupçonné d’avoir commandité le meurtre et la mère en tant que complice.

Pendant sa garde à vue, on a demandé à Amin, le père de Rudaina, pourquoi ses filles avaient été tuées. « Parce qu’elles ont déshonoré la famille » a-t-il répondu. « Une femme marié qui va avec un autre homme n’est pas bonne ».

Les meurtres de Faten Habash et des sœurs Shakirat le mois dernier, sont les derniers connus des crimes « d’honneur » brutaux qui ont secoué la société palestinienne ces dernières semaines. Ces décès ont incité une demande de modification des lois héritées de la domination jordanienne et qui considèrent toutes les femmes comme des « mineurs » sous l’autorité de leurs parents masculins, et qui condamnent à six mois de prison maximum les coupables de « crimes d’honneur ».

Mais cette demande a rencontré la résistance du parlement palestiniens, où les parlementaires religieux arguent qu’une telle réforme mènera à un effondrement moral de la société palestinienne.

Selon le Ministère Palestinien des Affaires des Femmes, 20 filles et femmes ont été assassinées l’année dernière dans des crimes « d’honneur » et une cinquantaine se sont suicidées (souvent sous la contrainte) pour avoir apporté la « honte » sur la famille suite à des relations sexuelles hors du mariage, refuser un mariage ou tenter de divorcer. 15 autres femmes ont survécues à des tentatives de meurtre.

Crimes dissimulés

Le ministère indique que des douzaines d’autres meurtres sont dissimulés tous les ans. « Nous avons l’exemple d’une femme de 26 ans pour laquelle le certificat de décès note morte de vieillesse », nous dit Maha Abou Dayyeh Shamas, directrice de la WCLAC. « Une autre raison très courante sur les certificats de décès, c’est « est tombée dans le puit ». Et nous constatons que ces femmes ont été étranglées avant d’être jetées dans le puit. ».

Le meurtre de Faten Habash est peu commun puisqu’il a été commis au sein de la minorité chrétienne de Palestine. Son désir d’épouser un jeune musulman, Samer Hamis, a fâché sa famille si bien que le couple a décidé de fuir en Jordanie. Le père de Faten a appeler le prêtre de la famille pour arrêter sa fille, parce que, bien qu’elle avait 22 ans, toutes les femmes sont considérées comme des mineurs sous l’autorité de leurs parents masculins. Les autorités palestiniennes ont renvoyé Faten chez elle, où elle a été battue et le bassin brisé après qu’elle ait été jetée ou qu’elle ait essayée de s’échapper par la fenêtre de la maison. Elle a passé six semaines à l’hôpital. Elle a cherché la protection dans une tradition antique, connue sous le nom de Tanebeh, celle d’une famille de bédouins pour régler ce genre de conflits. Abou Dahouq, avocat de la tribu Dawakuk, a été en pourparlers avec la famille Habash.

Selon Dahouq « Faten croyait avoir eu une garantie de sécurité ». Deux jours plus tard, elle était assassinée.

« Cette famille n’a aucun honneur, aucune façon, aucune éthique » dit Dahouq, « et la fille était aussi honorable qu’elle pouvait l’être. Tout ce qu’elle voulait c’était épouser l’homme qu’elle aimait. Je pense que des personnes de son église ont aussi une part de responsabilité dans ce meurtre. Elles ont dit à la famille que leur fille leur faisait honte, de sorte qu’elle ont une responsabilité dans ce crime ».

Le père Ibrahim Hijazin, prêtre de la famille, refuse de parler du meurtre de Faten si ce n’est pour dire qu’il a appelé les autorités palestiniennes pour lui empêcher de passer en Jordanie. Et il ajoute que d’autres familles auraient réagi comme la sienne.

« Il n’y a pas de mariage inter-confessionnel parmi les arabes. Les catholiques ici sont chrétiens par la foi et musulmans par la culture, et dans cette communauté on interdit que des chrétiens épousent des musulmans. Ce n’est pas bon. C’est une mentalité tribale. Je ne l’accepte pas, mais c’est la culture » ajoute-t-il.

Sans consentement

Zuhaira Kamal, Ministre Palestinienne des Affaires aux Femmes, a demandé une modification de la loi pour permettre à des femmes de plus de 18 ans de se marier sans le consentement d’un parent masculin et une réforme de la vieille législation palestinienne qui permet de libérer les tueurs après quelques mois de prison.

Mais le Parlement Palestinien a refusé cette réforme. « Ils sont très traditionnels sur cette question » dit Abou Dayyeh Shamas, « ils disent que ce sont nos traditions, qu’un homme dans un moment de colère peut être amené à faire des choses comme ça. Ils donnent comme message à la communauté qu’on peut tuer sans être puni. Nous avons beaucoup de plaintes de femmes parce que leurs maris les trompent. Nous demandons au Parlement Palestinien s’il pense qu’on devrait permettre à ces femmes de tuer leurs maris. Ils ne peuvent pas répondre à cette question ».

Bien que les crimes d’honneur aient une longue histoire dans la société palestinienne, les groupes pour les droits des femmes disent que l’augmentation de ces meurtres ne peut pas être séparée de la violence résurgente des quatre dernières années du conflit israélo-palestinien.

« Les choses se décomposent en raison de la modification du rapport entre hommes et femmes. Un grand nombre de femmes sont la source principale de revenus dans la famille, tandis que leur mari ne font rien », explique Abou Dayyeh Shamas, « c’est le baiser de la mort pour la famille ».

« Les hommes sentent qu’ils ont perdu leur dignité et ils veulent d’une façon ou d’une autre la retrouver avec l’honneur de la famille. Nous avons noté que les cas récents sont beaucoup plus violent en nature : tentatives de meurtres, viols, incestes. Il y a une quantité incroyable d’incestes ».

Amira Abou Hanhan Qaoud a assassiné sa fille, Rafayda, parce qu’elle est tombée enceinte après avoir été violée par ses deux frères. « Ma fille est tombée est s’est cassée le genoux. Je l’ai portée à l’hôpital, et là le docteur m’a dit qu’elle était enceinte. Alors je l’ai tuée. C’est aussi simple que ça » dit Qaoud sur son palier à Ramallah. Qaoud a attendu que le bébé naisse puis l’a donné pour qu’il soit adopté. Elle est ensuite allé voir sa fille avec une lame de rasoir et lui a demandé de se couper les veines. Rafaya a refusé, aussi sa mère lui a mis un sac en plastique sur la tête, lui a coupé les veines, et lui a tapé sur la tête avec un bâton.

Les frères, Fahdi et Ali, ont été condamnés à dix ans de prison pour viol. Qaoud a fait deux ans de prison pour le meurtre de sa fille. Elle a retiré de sa maison toutes les photos de ses enfants et refuse de parler du meurtre, disant qu’elle veut maintenant oublier.

Les répercussions du meurtre de Faten Habash sont encore présentes. L’homme qu’elle a aimé est surveillé et protégé après avoir reçu des menaces de la famille Habash.

Le médiateur bédouin dit que la famille Habash a déshonoré sa tribu en ne tenant pas sa parole comme quoi Faten ne serait pas menacée. « Ce n’est pas un crime contre la fille, c’est un crime contre notre famille » dit Dahouq. « Puisqu’ils n’ont pas tenu parole, nous avons le droit d’exercer des représailles. Il y aura une réaction puisqu’ils ont trahi leur religion et nous ont trahi ».

 

Chris McGreal, « The Cardian », 30 juin 2005