L'évacuation de Gaza, une consession calculée

Article de "Lutte Ouvrière", 19 août 2005

Retour page d'accueil


L’évacuation des 8000 colons israéliens de Gaza, à laquelle s’ajoute celle de 500 colons de quatre colonies de Cisjordanie, aura fait pendant quelques jours la Une de l’actualité. Les médias ont largement fait état de leur résistance aux ordres gouvernementaux leur enjoignant de quitter leurs maisons avant le 16août à minuit. Mais finalement il semble que cette évacuation aura lieu sans incidents majeurs. Quant aux sentiments de la population israélienne dans son ensemble, il semble que celle-ci soit majoritairement favorable à cette opération, avec le vague espoir qu’elle puisse amener la paix.

D’après les chiffres officiels, 64% des 1700 familles israéliennes de Gaza avaient signé un document par lequel elles s’engageaient à partir volontairement et à toucher ainsi intégralement les compensations financières prévues, soit 1000dollars par m² habitable, une prime d’ancienneté et le rachat de leurs installations, notamment les serres, à un prix très avantageux.

Mais l’extrême droite et les partis religieux israéliens n’ont pas manqué d’utiliser la situation, rameutant quelques milliers de jeunes venus d’Israël ou des colonies de Cisjordanie pour faire masse. On a pu voir ainsi les colons récalcitrants en prière, quelques protestations plus vigoureuses contre les pneus des jeeps militaires et un certain nombre d’échauffourées.

L’objectif de l’extrême droite n’était d’ailleurs pas d’empêcher l’évacuation, ce qui lui aurait été impossible face à l’armée mobilisée par le gouvernement Sharon. Il était de faire une démonstration politique, à l’usage de l’opinion internationale et surtout vis-à-vis de sa propre base électorale, dont une grande partie était encore, il y a peu de temps, celle de Sharon. Il s’agissait de bien montrer qu’ils ne partaient que contraints et forcés et avec l’intention, comme l’ont proclamé certains d’entre eux, «de revenir». Le Premier ministre lui-même a toujours été un jusqu’auboutiste du terrorisme antipalestinien, depuis les ratissages en Cisjordanie et à Gaza, en passant par la guerre du Liban et la complicité avec les phalangistes massacreurs dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth en 1982. Sa décision d’évacuer Gaza ne pouvait manquer de troubler certains de ses électeurs et d’ouvrir des perspectives à tous les ultras en quête de suffrages et prêts à se livrer à des surenchères sur sa droite.

Sharon n’a certes pas fondamentalement changé; mais depuis des années, le gouvernement israélien se trouve aux prises avec le soulèvement palestinien et l’armée israélienne ne peut venir à bout de «l’intifada». À Gaza en particulier, la situation est intenable pour elle, et depuis longtemps.

La bande de Gaza, longue de quarante-cinq kilomètres et large de six à dix kilomètres, a vu des colons israéliens s’installer depuis 1977, époque où Sharon était déjà ministre, mais de l’Agriculture. Les huit mille colons y vivaient jusqu’à présent confortablement sur 25% des terres, dans vingt et une colonies, tandis qu’un million trois cent mille Palestiniens s’entassent sur le reste du territoire. L’armée était donc bien incapable d’assurer la sécurité de ces quelques milliers de privilégiés face à une population déracinée, dont plus de 70% vivent avec moins de deux dollars par jour et qui compte 50% de chômeurs.

Alors, même du point de vue d’un dirigeant israélien longtemps jusqu’auboutiste comme Sharon, il faut se rendre à l’évidence: l’État israélien n’a pas les moyens, politiques et militaires, de se maintenir indéfiniment à Gaza. Il faut donc se retirer, ce qui ne veut pas dire pour autant laisser aux Palestiniens un État viable: Gaza n’a ni ressources naturelles, ni eau en suffisance, quasiment pas d’industrie et Israël contrôlera toujours son espace aérien, ses eaux territoriales et ses points de passage terrestres.

Quant au retrait israélien des quatre colonies de Cisjordanie, il ne s’agit là que d’abandonner quelques colonies du Nord, isolées, peu peuplées, difficiles à défendre et qui s’insèrent mal dans la politique globale de colonisation de la Cisjordanie par Israël.

En effet, alors qu’il abandonne ces quatre colonies perdues, d’autres colonies situées au cœur de la Cisjordanie sont en pleine expansion. Celle de Maale Adoumim, qui s’enfonce comme un coin partageant la Cisjordanie en deux, compte déjà 28000 habitants. Le mur de 600 kilomètres censé protéger Israël annexe lui aussi une partie de la Cisjordanie, interdisant à de nombreux villageois arabes de se rendre sur leurs propres terres.

Le calcul de Sharon est simple. Puisqu’il lui fallait évacuer Gaza et quelques colonies isolées de Cisjordanie, autant en tirer un avantage politique. Le retrait est pour lui l’occasion de proclamer, encore une fois, qu’Israël veut la paix et que si celle-ci ne vient pas, c’est la faute des Palestiniens et de leurs extrémistes. Et c’est aussi pour faire oublier qu’au même moment, son gouvernement poursuit, en Cisjordanie, une entreprise de colonisation qui a déjà abouti à installer 240000 colons israéliens sur ce territoire conquis en 1967, à le morceler, à zébrer les terres par des routes reliant les colonies et à rendre la vie impossible à des centaines de milliers de ses habitants arabes.

Il ne peut y avoir de paix véritable sans reconnaissance des droits du peuple palestinien, y compris ceux de tous les réfugiés. Et la première étape devrait être l’évacuation immédiate de tous les territoires qu’Israël occupe sans vergogne depuis la guerre de 1967, dans le silence complice des grandes puissances.

Sylvie MARÉCHAL