L’évacuation
des 8000 colons israéliens de Gaza, à laquelle s’ajoute
celle de 500
colons de quatre colonies de Cisjordanie, aura fait pendant quelques
jours la Une de l’actualité. Les médias ont largement
fait état de leur
résistance aux ordres gouvernementaux leur enjoignant de quitter
leurs
maisons avant le 16août à minuit. Mais finalement il
semble que cette
évacuation aura lieu sans incidents majeurs. Quant aux
sentiments de la
population israélienne dans son ensemble, il semble que celle-ci
soit
majoritairement favorable à cette opération, avec le
vague espoir
qu’elle puisse amener la paix.
D’après les chiffres
officiels, 64% des 1700 familles
israéliennes de Gaza avaient signé un document par lequel
elles
s’engageaient à partir volontairement et à toucher ainsi
intégralement
les compensations financières prévues, soit 1000dollars
par m²
habitable, une prime d’ancienneté et le rachat de leurs
installations,
notamment les serres, à un prix très avantageux.
Mais l’extrême droite et
les partis religieux israéliens n’ont
pas manqué d’utiliser la situation, rameutant quelques milliers
de
jeunes venus d’Israël ou des colonies de Cisjordanie pour faire
masse.
On a pu voir ainsi les colons récalcitrants en prière,
quelques
protestations plus vigoureuses contre les pneus des jeeps militaires et
un certain nombre d’échauffourées.
L’objectif de l’extrême
droite n’était d’ailleurs pas
d’empêcher l’évacuation, ce qui lui aurait
été impossible face à
l’armée mobilisée par le gouvernement Sharon. Il
était de faire une
démonstration politique, à l’usage de l’opinion
internationale et
surtout vis-à-vis de sa propre base électorale, dont une
grande partie
était encore, il y a peu de temps, celle de Sharon. Il
s’agissait de
bien montrer qu’ils ne partaient que contraints et forcés et
avec
l’intention, comme l’ont proclamé certains d’entre eux,
«de revenir».
Le Premier ministre lui-même a toujours été un
jusqu’auboutiste du
terrorisme antipalestinien, depuis les ratissages en Cisjordanie et
à
Gaza, en passant par la guerre du Liban et la complicité avec
les
phalangistes massacreurs dans les camps de Sabra et Chatila, à
Beyrouth
en 1982. Sa décision d’évacuer Gaza ne pouvait manquer de
troubler
certains de ses électeurs et d’ouvrir des perspectives à
tous les
ultras en quête de suffrages et prêts à se livrer
à des surenchères sur
sa droite.
Sharon n’a certes pas
fondamentalement changé; mais depuis des
années, le gouvernement israélien se trouve aux prises
avec le
soulèvement palestinien et l’armée israélienne ne
peut venir à bout de
«l’intifada». À Gaza en particulier, la situation
est intenable pour
elle, et depuis longtemps.
La bande de Gaza, longue de
quarante-cinq kilomètres et large
de six à dix kilomètres, a vu des colons
israéliens s’installer depuis
1977, époque où Sharon était déjà
ministre, mais de l’Agriculture. Les
huit mille colons y vivaient jusqu’à présent
confortablement sur 25%
des terres, dans vingt et une colonies, tandis qu’un million trois cent
mille Palestiniens s’entassent sur le reste du territoire.
L’armée
était donc bien incapable d’assurer la sécurité de
ces quelques
milliers de privilégiés face à une population
déracinée, dont plus de
70% vivent avec moins de deux dollars par jour et qui compte 50% de
chômeurs.
Alors, même du point de
vue d’un dirigeant israélien longtemps
jusqu’auboutiste comme Sharon, il faut se rendre à
l’évidence: l’État
israélien n’a pas les moyens, politiques et militaires, de se
maintenir
indéfiniment à Gaza. Il faut donc se retirer, ce qui ne
veut pas dire
pour autant laisser aux Palestiniens un État viable: Gaza n’a ni
ressources naturelles, ni eau en suffisance, quasiment pas d’industrie
et Israël contrôlera toujours son espace aérien, ses
eaux territoriales
et ses points de passage terrestres.
Quant au retrait
israélien des quatre colonies de Cisjordanie,
il ne s’agit là que d’abandonner quelques colonies du Nord,
isolées,
peu peuplées, difficiles à défendre et qui
s’insèrent mal dans la
politique globale de colonisation de la Cisjordanie par Israël.
En effet, alors qu’il
abandonne ces quatre colonies perdues,
d’autres colonies situées au cœur de la Cisjordanie sont en
pleine
expansion. Celle de Maale Adoumim, qui s’enfonce comme un coin
partageant la Cisjordanie en deux, compte déjà 28000
habitants. Le mur
de 600 kilomètres censé protéger Israël
annexe lui aussi une partie de
la Cisjordanie, interdisant à de nombreux villageois arabes de
se
rendre sur leurs propres terres.
Le calcul de Sharon est
simple. Puisqu’il lui fallait évacuer
Gaza et quelques colonies isolées de Cisjordanie, autant en
tirer un
avantage politique. Le retrait est pour lui l’occasion de proclamer,
encore une fois, qu’Israël veut la paix et que si celle-ci ne
vient
pas, c’est la faute des Palestiniens et de leurs extrémistes. Et
c’est
aussi pour faire oublier qu’au même moment, son gouvernement
poursuit,
en Cisjordanie, une entreprise de colonisation qui a déjà
abouti à
installer 240000 colons israéliens sur ce territoire conquis en
1967, à
le morceler, à zébrer les terres par des routes reliant
les colonies et
à rendre la vie impossible à des centaines de milliers de
ses habitants
arabes.
Il ne peut y avoir de paix
véritable sans reconnaissance des
droits du peuple palestinien, y compris ceux de tous les
réfugiés. Et
la première étape devrait être l’évacuation
immédiate de tous les
territoires qu’Israël occupe sans vergogne depuis la guerre de
1967,
dans le silence complice des grandes puissances.
Sylvie MARÉCHAL |