Le fondamentalisme en Palestine
est une ramification du fondamentalisme
sunnite du Moyen-Orient, et constitue essentiellement un parti
politique qui se nourrit des épreuves réelles
endurées par les masses -
tout en révélant l’incapacité des autres partis et
organisations à
faire face à la détresse de ces masses.
Les autres partis politiques
n’ont pas la prétention de fournir une
solution d’ensemble, applicable à toutes les facettes de la vie
communautaire et privée ; donc le fondamentalisme, qui a une
réponse
toute faite à toutes ces questions (par exemple dans les
domaines de
l’éducation, de la vie familiale, de la succession, de l’art,
etc.),
est reçu par les masses désabusées comme un
remède magique à tous les
maux de la société. Cette approche séduit tous
ceux qui désespèrent de
trouver une solution même partielle à leurs
difficultés.
On peut dire avec certitude que
le fondamentalisme remplit
actuellement une fonction sociale comparable à celle du fascisme
dans
les années trente et quarante. Tout comme pour le fascisme, la
montée
du fondamentalisme a eu pour toile de fond la crise
socio-économique
associée à une grave crise des espérances, et se
caractérise par la
xénophobie, et l’hostilité à la culture, au
rationalisme et à
l’individualisme, tout en se fixant pour objectif la
préservation de
l’ordre social existant à travers les changements politiques. Le
fondamentalisme fait partie intégrante du processus barbare de
régression que l’humanité est en train de vivre, et en
cela,
l’intégrisme islamique est identique aux intégrismes
chrétien et juif.
La seule solution qu’il propose est un retour aux valeurs
médiévales,
san rejeter la technologie moderne. Les fondamentalistes de toutes les
religions se voient comme “les élus”, et abhorrent les valeurs
d’égalité et de démocratie, tout en affirmant sans
ambages
l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, la
supériorité de la
tradition (et surtout de la tradition rétrograde) sur la
pensée, de la
soumission sur la liberté, et de l’appartenance à un
groupe - que ce
soit la nation islamique, la nation juive ou la communauté
chrétienne -
sur toute association basée sur le libre choix.
Assertions fondamentales du fondamentalisme 1. La crise de la
société arabe - qui, par nature, est islamique (selon
les fondamentalistes) et qui constitue même “une
société naturellement
islamique” - est née du fait que la société s’est
distanciée des
commandements divins de l’Islam et que ses élites ont
été infectées par
un Jahaliyah d’origine occidentale. On pense généralement
que le terme
Jahaliyah fait référence à la période
pré-islamique. En fait, ce terme
ne renvoie pas à une période historique
spécifique, mais plutôt à un
contexte où la société est régie par des
lois “faites par l’homme” et
non par les lois divines.
2. La société
arabe ne peut être sauvée que par la lutte pour
un Etat islamique, dont les peuples arabes seront les
éléments de base
; un Etat où la Sharia, (loi islamique) sera la seule loi,
interprétée
par l’Ulimah Suprême, non par un gouvernement laïque.
3. La démocratie,
l’égalité, la libération nationale, le
socialisme et le communisme sont les agents de “l’impérialisme
culturel” dont l’objectif est de détruire l’Islam, pour faire
régner le
Jahaliyah matérialiste, hédoniste et individualiste.
4. Tous les mouvements qui
adhèrent aux principes ci-dessus
(démocratie, etc.) sont les ennemis de l’Islam et donc,
également, de
la société arabe. Selon les fondamentalistes, la preuve
en est que des
musulmans comme des membres d’autres communautés collaborent
dans ces
mouvements. La lutte pour le triomphe de ces valeurs est corrompue et
vile et doit être combattue.
5. Le comble de la corruption
occidentale, selon les
fondamentalistes, est le féminisme et le mouvement de
libération des
femmes, qui allient des valeurs égalitaires et
démocratiques et les
appliquent aux femmes. Les femmes qui sont actives dans ces mouvements
sont corrompues et licencieuses, et sont des renégates dont il
est
permis de verser le sang. En outre, tout ceci s’applique à toute
personne qui les soutient.
Imprégné de ces
assertions, le fondamentalisme oeuvre à la préservation
et au renforcement de la société patriarcale et de ses
institutions ;
et plus spécifiquement de la famille patriarcale, qui constitue
l’unité
de base de l’ordre social patriarcal “sur la propriété
privée”. Cette
relation transparait clairement dans les revendications
démagoqiques du
fondamentalisme qui, d’une part, prône l’égalité et
veut que les gens
se satisfassent de peu, et d’autre part, prône la charité
et veut que
les riches assistent les pauvres. En d’autres termes, faire la
charité
remplacera la nécessité de transformer l’ordre social
existant.
Historique de la montée du fondamentalisme L’oppression
israélienne, associée à l’arrogance culturelle et
à la tentative d’effacer l’identité nationale
palestinienne, est une
donnée permanente, aussi bien à l’intérieur des
frontières d’Israël de
1948 que dans les territoires occupés en 1967. Il est essentiel
de
noter que cette oppression s’accompagne également d’une attitude
toujours positive vis-à-vis du leadership patriarcal
traditionnel et
vis-à-vis des valeurs sociales patriarcales ; elle permet
même aux
dirigeants traditionnels d’appliquer à leurs communautés
des pratiques
traditionnelles, en toute autonomie, tout au moins dans les domaines de
la religion et du droit familial.
Une telle pratique contribue
à préparer le terrain pour
l’assimilation et l’acceptation des idées fondamentalistes par
la
société palestinienne, dont l’expression de
l’identité nationale est
étouffée par le système oppresseur.
Cependant, ce n’est là
qu’un des éléments du piège qui enserre
la société palestinienne dans son étau. Le second
élément est le
comportement des partis politiques palestiniens qui sont très
actifs
dans le secteur de la société à l’intérieur
des frontières de 1948 ;
ces partis politiques ont mis au point une recette infaillible pour
contrecarrer la lutte nationale : ils ont toujours réduit la
lutte
contre l’expropriation des terres à des manifestations locales ;
Durant
les manifestations du Jour de la Terre (Land Day, qui commémore
les
manifestations contre l’expropriation de 1976, au cours desquelles 6
Palestiniens non armés furent tués et beaucoup d’autres
blessés par la
police), ces partis politiques ont employé des vigiles pour
empêcher
toute expression nationaliste, telle que les drapeaux agités,
etc ; et
ont transformé ces journées, qui devaient permettre
l’expression de la
lutte nationale, en kermesses inondées de discours et de Coca
Cola ;
ils ont ainsi transformé le Jour de la Terre en une
cérémonie grandiose
appelée “Fête nationale des Arabes israéliens”.
Il en est de même pour
les dirigeants palestiniens hors des
frontières de 1948, pour ce qui est de leur conception du
rôle des
Palestiniens à l’intérieur de l’Etat israélien. En
effet, ils ont
confiné ceux-ci aux limites des règles du jeu
parlementaire, en leur
assignant l’objectif de faire pression, sur le gouvernement
israélien
de l’intérieur, en évitant même parfois de les
appeler Palestiniens.
Ces dirigeants craignent la formation d’une perspective sociale dans la
lutte nationale, et se raccrochent tous, d’une façon ou d’une
autre,
aux différentes versions de la doctrine des étapes, qui
place la
libération nationale avant la libération sociale.
La
lutte des paysans dont on a
volé les terres, la lutte des
travailleurs qui souffrent d’une double oppression, celle des femmes
dont l’oppression est triple : nationale, de classe et sexuelle, toutes
ces luttes sont remises au lendemain de la libération nationale.
La
capitulation de ces dirigeants devant la tradition rétrograde,
due à
leur perception déformée de l’Islam comme strate
fondamentale de
l’identité nationale palestinienne, fait le jeu des
fondamentalistes.
Aux masses délaissées, ceux-ci semblent plus dignes de
confiance, plus
honnêtes, et dotés d’une plus grande vision d’ensemble.
L’influence massive du Hamas
n’est en aucune façon un retour à
la religion. C’est, entre autres, la réaction des couches les
plus
opprimées des camps de réfugiés au message social
qui est à la base de
la position du Hamas. Le rejet de la partition de la Palestine par le
Hamas et son affirmation que la lutte doit viser toute la Palestine
suscite dans le coeur des réfugiés, un nouvel espoir de
pouvoir
réaliser leur rêve du retour, retour dans leurs foyers,
leurs champs,
leurs villages. Ce n’est donc pas en raison, mais en dépit, de
leur
projet d’une Palestine islamique, que le Hamas a suscité un
nouvel
espoir dans le coeur de toutes ces personnes qui se sentent
abandonnées, et à qui aucune autre organisation n’a pu
apporter des
espoirs concrets.
Il faudrait rappeler que le
Hamas a été effectivement établi
par les autorités qui l’ont soutenu et qui lui ont longtemps
permis
d’agir sans interférences. Jusqu’à l’accroissement des
vagues
d’attentats meurtriers perpétrés à
l’intérieur de l’Etat israélien par
les membres du Hamas, le nombre de prisonniers fondamentalistes dans
les camps de détention et les prisons était le plus
faible, par rapport
à la taille de l’organisation et par rapport aux autres
organisations.
A l’exception de Sheikh Yasin, aucun dirigeant du Hamas n’avait
été
emprisonné. Le Mouvement Islamique à l’intérieur
des frontières de 1948
jouissait du même traitement, même si les conditions
étaient
différentes. Ils avaient été autorisés
à mettre sur pied une chaîne de
télévision câblée pour vulgariser leurs
opinions, leurs journaux
étaient publiés sans aucune interférence,
contrairement à ceux des
“Fils du Pays” - Sons of the Country - et d’autres groupes
nationalistes dont on ferme les bureaux tous les matins.
Fondamentalisme et dégénérescence du soulèvement Rétrospectivement, il
est évident que, d’un point de vue
stratégique, le fondamentalisme a justifié les espoirs
que les
Israéliens avaient placé en lui, en cultivant le Hamas
comme opposition
au mouvement de libération nationale. Toutefois, d’un point de
vue
tactique, le Hamas a effectivement rejoint la lutte contre l’occupation
des territoires occupés en 1976, afin surtout de ne pas perdre
son
influence sur les jeunes, qui tous soutenaient l’objectif de la
libération nationale.
Cependant la motivation
fondamentale de l’adhésion du Hamas
était de donner au Soulèvement - qui, de par sa nature,
était un
formidable processus démocratique - l’orientation
souhaitée à la fois
par le fondamentalisme et par les autorités israéliennes.
Le meurtre de
Juifs pour la seule raison de leur ascendance juive a poussé les
groupes libéraux de la société israélienne
à s’opposer au mouvement de
libération palestinien. Les valeurs dénaturées du
fondamentalisme,
surtout celles concernant le statut des femmes et la libération
des
femmes au sein du processus de libération nationale, ont
été adoptées
par les comités d’action des autres organisations
palestiniennes.
Ainsi, des dizaines de femmes furent accusées de “collaboration”
et
assassinées pour la seule raison que leur comportement personnel
n’était pas conforme aux normes de la tradition patriarcale.
L’opposition à l’activisme politique des femmes, le retour du
voile et
la l’institution de la culture du deuil, ont tous provoqué le
déclin du
mouvement de masse et son utilisation comme outil au service de
l’oppression israélienne. Le formidable processus
révolutionnaire s’est
donc transformé en contre-révolution sociale.
Fondamentalisme et entrave à la lutte pour l’égalité nationale De même que le Hamas a
démontré son caractère pragmatique, son
populisme et sa versatilité inconstance, qui lui ont permis de
tirer
gloire de la lutte pour l’indépendance nationale, en
dépit de son
hostilité à tous les mouvements nationalistes, le
mouvement islamique à
l’intérieur des frontières de 1948 a également
réussi à prendre une
coloration de démocratie et d’égalité, pour
répondre apparemment aux
aspirations des masses vers de telles valeurs, mais dans le seul but de
les contrecarrer et de les affaiblir. L’objectif fondamental du
mouvement est de faire reconnaître par le régime
israélien son droit à
dominer culturellement la société palestinienne au sein
de l’Etat
d’Israël, par le renforcement de la famille patriarcale et des
autres
valeurs de la tradition rétrograde, ainsi que par une
séparation totale
entre Musulmans et non-Musulmans. Ainsi, le Mouvement Islamique a
formé
des équipes musulmanes de football, de judo et de karaté
qui sont
fermées aux Palestiniens non-musulmans. Le Mouvement a
également rendu
aux autorités israéliennes des services nombreux et
variés : leur
leader, Sheikh Abdallah, a déclaré qu’il était
acceptable de donner une
partie de la terre aux Juifs. Il était également un
partisan fervent de
la Conférence de Madrid ; mais, faisant preuve d’une hypocrisie
toute
jésuitique, il décrétait aussi que ceux qui s’y
opposaient étaient de
bons patriotes palestiniens. Il a également annoncé
publiquement son
rejet de la Fatwa (décret juridique islamique) qui
légitimait
l’assassinat des membres de la délégation palestinienne.
Mais le plus
grand service qu’il a rendu aux autorités israéliennes a
été la
préservation d’une politique d’apartheid conforme à son
idéologie du
“développement séparé”. Il est contre toutes
activités conjointes entre
Juifs et Arabes, notamment les rencontres entre écoliers juifs
et
écoliers arabes, rencontres qui très rares, dont le seul
but était de
donner l’illusion d’un engagement dans la voie démocratique.
Sheikh
Abdullah aide ainsi le régime de l’apartheid en le dispensant
d’user de
la force dans ses efforts pour imposer l’apartheid. Il a
également
contribué aux efforts des autorités israéliennes
en faisant obstruction
à la formation d’un parti arabe unifié, lors de la
dernière campagne
électorale. En août 1991, le Sheikh déclarait qu’il
était nécessaire de
créer un parti arabe unifié pour affaiblir le parti
communiste (Rakah)
qui compte des Juifs et des Arabes dans ses rangs. Par la suite, quand
il est devenu manifeste qu’un parti arabe ne pourrait émerger
sans la
participation des Palestiniens chrétiens, le mouvement islamique
s’est
désisté, et a même annoncé qu’il
considérait préférable de soutenir un
parti fondamentaliste juif comme le Shad. La campagne de diffamation et
de rumeurs menée par les fondamentalistes a bloqué
à toute tentative
d’unifier les partis dirigés par Mi’ari et Darawhe, a rouvert le
débat
nationaliste au sein du Rakah, et a conduit plus de la moitié de
l’électorat arabe à soutenir des partis juifs
nationalistes.
Fondamentalisme et oppression des femmes Nous avons vu que, sur un grand
nombre de questions, le
mouvement fondamentaliste, en raison de son caractère populiste
et du
fait qu’il se nourrit, tel un ténia, des réelles
souffrances des
masses, est prêt à renier ses principes “sacrés” et
à cultiver une
politique pragmatique. Le mouvement fondamentaliste rejette le
nationalisme tout en participant à la lutte pour la
libération
nationale ; abhorre la démocratie tout en étant en faveur
des élections
; rejette le principe d’égalité nationale tout en
utilisant le même
principe quand les masses luttent pour y accéder ; condamne le
luxe
tout en finançant ses journaux par la publicité de biens
de
consommation occidentaux tels que voitures de luxe,
sous-vêtements
masculins, etc. ; déteste le sport comme “valeurs occidentales
barbares” tout en formant des équipes de football islamiques.
Cependant, la question de la
libération et de
l’égalité des femmes est
la seule sur laquelle le mouvement islamique n’est pas prêt du
tout à
faire de compromis. Sans hésiter ni transiger, le
mouvement met
en
oeuvre son affirmation selon laquelle le statut accordé aux
femmes dans
l’Islam est le plus correct et le meilleur (à condition
“qu’elles
sachent se tenir à leur place”). Pour les fondamentalistes, le
mouvement de libération des femmes est l’ennemi central, parce
que
toute la société patriarcale, dont le fondamentalisme
défend
l’existence, repose sur l’oppression des femmes.
Il y a quelque chose d’ironique
dans le fait que, à
l’exception des mouvements féministes eux-mêmes, le seul
mouvement qui
a passé des heures et des heures en discussions, en
débats, en
décisions, en sommations et en élaboration de politiques
sur la
question des femmes, c’est le mouvement fondamentaliste. Aucune
question n’occupe autant de place dans la conscience de ses activistes
que la question des femmes : leur tempérament, leur
comportement, leur
caractère, et surtout leur capacité à tenter et
à séduire. Ceci est si
évident que même un aveugle peut voir que, pour les
fondamentalistes,
c’est-à-dire pour la société patriarcale, c’est
une question de vie ou
de mort. La centralité de la question de la libération
des femmes dans
la société palestinienne, comme dans la
société arabe dans son
ensemble, doit bien faire comprendre que les questions de la
régression
contre le progrès, de la démocratie contre le despotisme,
et de la
libération contre l’oppression sont directement liées
à celui de la
libération des femmes, et quiconque perd de vue ce fait est un
allié
objectif des fanatiques islamistes. Il
n’y peut donc y avoir ni
compromis, ni armistice, entre les mouvements de la libération
des
femmes dans la société arabe et le fondamentalisme,
quelles que soient
les circonstances.
Le mensonge, la tromperie, le
commérage, la diffamation, ce
sont là les armes utilisées par le fondamentalisme contre
les femmes
-qui sont lasses de leur oppression. Cette oppression est fondée
sur
l’inquiétude des hommes, le nourrit et le renforce. Nous avons
mentionné un peu plus tôt le fait que le fondamentalisme a
réussi à
bannir les femmes des sphères publique et politique au cours du
Soulèvement, mais même “Al-Fanar”, une organisation
fondée il y a un an
et demi à Haifa, a fait l’objet de plus d’un sermon diffamatoire
et
médisant dans les mosquées du Mouvement Islamique
à l’intérieur de
l’Etat d’Israël.
L’organisation Al-Fanar, dont
la perspective est fondée sur l’assertion
fondamentale qu’il n’y aura pas da libération nationale
palestinienne
effective sans libération et statut égalitaire pour les
femmes, et qui,
la première, a révélé les liens entre le
traditionalisme rétrograde de
la société palestinienne et le soutien que les
autorités apportaient à
ce traditionalisme, est devenue très rapidement la cible des
attaques
des fanatiques fondamentalistes. La lutte initiée par Al-Fanar
contre
les meurtres de femmes en raison de ce que l’on appelle la “profanation
de l’honneur de la famille”, l’opposition du mouvement aux mariages
consanguins, qui engendrent des enfants attardés ou souffrant
d’autres
troubles génétiques, sa lutte contre le mariage
forcé, qui constitue un
viol avec la bénédiction de la tradition et des
autorités religieuses,
et sa condamnation de la coutume barbare de l’excision des filles
bédouines par l’ablation du clitoris, c’est tout cela que les
fondamentalistes semblent considérer comme la menace la plus
terrible.
Le porte-parole du mouvement islamique a décrété
qu’il n’y avait pas de
place pour une organisation telle que la nôtre et pour ses
revendications. Mais qui pis est, d’autres organisations et d’autres
parties n’ont pas pris la défense de notre jeune mouvement,
certains
allant même jusqu’à se joindre à nos adversaires.
Cet état de fait
nécessite des éclaircissements et une analyse, et nous ne
devons pas
nous contenter de mettre en cause l’agressivité, l’envi ou la
stupidité
de différents partis et organisations. Car ce
phénomène a des racines
sociales, culturelles et politiques extrêmement profondes.
Le fondamentalisme et ses alliés indécis Comme je l’ai dit plus haut,
toutes les composantes de la société
palestinienne subissent une forme ou une autre d’oppression et de
discrimination. Outre les aspects concret de cette oppression, le
régime israélien pratique une “selectzia” culturelle,
dont l’objectif
est d’oblitérer l’identité nationale palestinienne,
objectif dont les
manifestations commencent dès l’école avec les programmes
scolaires, se
poursuivent dans les médias pour culminer dans l’interdiction de
toute
forme d’expression ou de symbolisme nationaux, allant de la censure de
la poésie nationaliste à l’interdiction de
déployer le drapeau
palestinien.
Ainsi, on incite le peuple
palestinien à considérer son passé
comme la vrai expression de son nationalisme et la tradition comme une
composante fondamentale de ce passé. La nostalgie devient donc
devient
partie intégrante du génie national palestinien, et toute
critique de
cette nostalgie porte préjudice à la nation. La critique
des féministes
palestiniennes à l’égard de la tradition patriarcale et
de l’oppression
des femmes, qui perpétue l’arriération de la
société, crée une
dissonance cognitive pour toutes les tendances politiques, surtout chez
les intellectuels. Ils s’inquiètent de ce que toute
dénonciation des
faiblesses et des aspects rétrogrades de la
société puisse servir de
munitions aux ennemis de la nation, et ils essaient donc de les
bâillonner et de les étouffer. En conséquence,
même si certains d’entre
eux proclament leur opposition au fondamentalisme, ils le
considèrent
comme un allié légitime - ayant des principes -
contrairement à ceux
qui lavent leur linge sale en public. Ainsi, Mi’ari, ancien membre de
la Knesset, conseille aux femmes (membres de Al-Fanar) “de ne pas
aborder la question du meurtre des femmes de façon aussi abrupte
et
tapageuse, mais de faire preuve de plus de retenue” ;
interrogé
sur son
attitude à l’égard du mouvement islamiste qui attaque et
calomnie les
membres de Al-Fanar, il répond, “Ils ont une position de
principe, et
ils l’expriment”. Sur cette toile de fond, les fondamentalistes sont
entrain de réussir à propager un sentiment de
culpabilité et à
entretenir des illusions, au sein de toutes les organisations et de
tous les courants politiques qui restent accrochés à la
tradition, en
soutenant que les masses sont profondément religieuses.
Celles-ci,
consciemment ou inconsciemment, sont entraînées par les
fondamentalistes dans leur lutte contre le mouvement de
libération des
femmes, dont l’existence constitue une menace pour les institutions du
patriarcat et du traditionalisme rétrograde.
Comme je l’ai dit plus haut,
toutes les composantes de la société
palestinienne subissent de nombreuses formes d’oppression et de
discrimination :
Ainsi, les nationalistes,
conscients de l’opposition générale du
fondamentalisme au nationalisme, essaient de l’apaiser et de se
concilier ses bonnes grâces en bannissant la question de
l’égalité et
de la libération des femmes de leur programme pour la
libération
nationale et en repoussant la résolution de cette question au
Jour du
Jugement Dernier.
Les
libéraux
démocrates font dépendre leur soutien à la lutte
pour la libération et l’égalité des femmes de
l’observation par
celles-ci de la tradition et des valeurs patriarcales. Mais les pires
de tous sont ces gauchistes qui tentent de se rapprocher du
fondamentalisme en raison de ses attaques contre la corruption du
régime et de sa rhétorique autour de
“l’impérialisme culturel”. Au lieu
de mener la lutte démocratique contre le vrai
impérialisme, ils se
leurrent en faisant des fondamentalistes leurs alliés dans la
lutte
contre l’impérialisme. Concernant la question des femmes,
ils
considèrent qu’en faisant des concessions, ils unifient leurs
rangs à
peu de frais. C’est principalement pour cette raison que la gauche en
Palestine, comme dans tout l’Orient arabe, est inefficace, et est en
quête de faux prophètes.
Bien sûr, toutes les
avances de ces indécis ne vont pas
changer l’attitude des fondamentalistes à leur égard,
mais ne feront
qu’accentuer la pression sur eux. Les fondamentalistes n’accepteront
pas les valeurs du mouvement démocratique arabe, même si
ses leaders
prient cinq fois par jour et participent à la prière du
vendredi à la
mosquée. Ils n’accepteront pas non plus le nationalisme
palestinien de
George Habache qui commence ses discours par la formule coranique : “Au
nom d’Allah, le Clément et le Miséricordieux”. De tels
gestes
n’aboutiront qu’à ajouter du mépris à la haine que
les fondamentalistes
éprouvent déjà vis-à-vis de ces mouvements.
Faillite d’une
alternative
Il s’avère que la force
du fondamentalisme repose non sur le
sentiment religieux des masses, mais sur leurs souffrances, qui
résultent essentiellement des hésitations, de la
lâcheté, de
l’incompétence du leadership des partis politiques soi-disant
laïques,
qu’ils soient gauchistes, nationalistes, réformistes ou
pan-arabes.
Cependant l’infiltration du fondamentalisme dans la sphère
politique
reflète d’une part son incapacité à proposer aux
masses une alternative
sociale, mais montre aussi qu’il a tendance à n’apporter
à la structure
du pouvoir que les changements qui ont également un impact sur
ses
conceptions religieuses.
En voici des exemples :
1. En Jordanie, le roi Hussein
a choisi de ne pas affronter
directement les fondamentalistes, mais de les intégrer dans son
gouvernement. En une année, les ministres fondamentalistes ont
réussi à
se faire haïr par les masses, surtout par les classes moyennes
urbaines. En exigeant que le permis de conduire ne soit pas
délivré aux
femmes et que l’on interdise aux pères d’assister aux
cérémonies de
remise de diplôme de leurs filles, il ont sont devenus si
impopulaires
que le roi a pu les chasser du gouvernement sans rencontrer
d’opposition populaire.
2. A Um al-Fahm et Kafr Qasm
(à l’intérieur des frontières de
1948), les fondamentalistes ont remporté les élections de
1988, et sont
devenus des dirigeants municipaux omnipotents. Ils ont interdit les
cafés ainsi que la vente d’alcool, séparé
garçons et filles dans les
écoles, et obligé les femmes à se couvrir la
tête. Le résultat fut que,
lors des élections de 1992, les “bastions de l’Islam” ont
été les seuls
endroits où le pourcentage de voix pour le parti communiste
était en
hausse - de 75% à Um al-Fahm et de 64% à Kafr Qasm. Il
est évident que
c’était là un vote de protestation contre les fanatiques,
qui a apporté
un démenti formel a la soi-disant religiosité des masses.
3. L’opposition bruyante du
Hamas aux négociations entre
Israël et les Palestiniens ne sert qu’à cacher ses vrais
objectifs. Le
Hamas en a fait la preuve en posant comme condition à son
adhésion à
l’OLP qu’il lui soit alloué une représentation de 45%
dans les
institutions de l’OLP ; et il est probable que le Hamas soutiendra
l’autonomie à condition qu’on lui accorde le monopole sur
l’éducation,
qui serait gérée selon ses préceptes. Le mouvement
islamique en Israël
même aspire également à contrôler le
système éducatif et les médias
arabes. Cependant il craint de faire ces revendications de façon
ouverte car leur alliance avec l’establishment religieux juif au sein
du gouvernement israélien pourrait les faire passer pour des
collaborateurs au yeux des masses. Ils laisseront d’autres tirer les
marrons du feu à leur place - à savoir, lutter pour
“l’autonomie
culturelle” pour les Arabes d’Israël -, et en échange de
leur soutien,
ils exigeront le contrôle de l’éducation et des
médias dans le secteur
arabe.
4. En tant que parti politique,
le fondamentalisme sunnite a
réagi de façon intéressante aux succès des
fondamentalistes Shiites
qu’ils considèrent, incidemment, comme des
hérétiques. En raison du
fait que le Hezbolla a réussi à tenir tête et
même à faire subir des
pertes au IDF, le “Jihad Islamique”, pour la première fois,
à adopté
des modes d’action et d’organisation semblables à ceux des
Shiites
libanais. En juillet de cette année, le Hamas a demandé
aux Musulmans
(sunnites) d’observer le Jeune de “Ashura”, le jeune le plus
sacré dans
l’Islam shiite, et de lui donner son sens actuel, comme le
préconisait
Khomeini dans son ouvrage, “Islamic Government”. Ceci n’est certes pas
un signe de l’influence religieuse shiite sur le Hamas sunnite, mais
plutôt, un signe de la vénération de Hamas pour
l’Iran, qui a réussi à
s’imposer en tant qu’Etat islamique et dont le régime despotique
a même
le soutien des Etats-Unis. De même, c’est une conséquence
inévitable de
l’échec de Saddam Hussein à s’imposer comme le combattant
de l’Islam
sunnite pour la libération de la Nation arabe. Sa faillite au
yeux des
masses arabes met en évidence la base populiste du
fondamentalisme et
son opportunisme.
Qui peut s’opposer aux
fondamentalistes
Comme nous l’avons vu, toute
tentative pour transiger avec le
fondamentalisme afin d’atteindre un stade de coexistence, est
vouée à
l’échec, quand ceux qui sont à l’origine de cette
tentative présument,
à tort, que la religion a un rôle central dans la vie
publique,
politique et nationale. Tant que les organisations féministes,
démocratiques, socialistes et même libérales
n’auront pas souscrit au
principe fondamental que le rapport à la religion est une
affaire toute
personnelle, la confusion continuera de régner, et les
fondamentalistes, de se renforcer en mettant à profit la
confusion et
les hésitations devant l’action de ceux qui s’opposent à
eux
verbalement. Et ceci, en raison du fait que la société
arabe, tant en
Palestine que dans l’Orient arabe dans son ensemble, est fondée
sur la
tradition patriarcale, sur la question de la libération des
femmes en
général. La stratégie féministe dans la
société arabe doit suivre les
axes suivants :
1. Indépendance absolue
des organisations féministes,
vis-à-vis à la fois des autres organisations politiques
et de leurs
programmes ; dans le même temps, tout en percevant la
libération des
femmes comme une tâche démocratique essentielle dans le
processus de
libération nationale ;
2. Lutte pour la
séparation totale de la religion et de
l’Etat. Cette séparation doit non seulement permettre aux
croyants de
toutes les religions de se comporter selon leurs propres opinions, mais
également démanteler toutes les institutions religieuses
affiliées à
l’Etat. C’est en mettant un terme à l’implication de l’Etat dans
le
choix et le paiement des salaires des cadis, des rabbins et des
prêtres
; en extirpant totalement la religion du système éducatif
; et en
laissant les membres du clergé gagner leur vie grâce aux
contributions
des croyants ; c’est tout cela qui rendra possible la création,
en
Palestine et dans d’autres Etats de la région, d’une
société
démocratique, pluraliste et progressiste.
La loi sur le mariage civil et
le code de la famille
constituent l’aspect central de la législation nécessaire
pour que
l’égalité des femmes. Toute organisation qui ne
souscrirait pas à une
telle approche aura beau se donner tous les noms progressistes du
monde, elle continuera à être un allié lâche
et indécis des
fondamentalistes.
3. Il n’est pas possible
d’engager un débat avec le
fondamentalisme, car il rejette toute approche critique ou
rationnelle,
qui tente, par exemple, de comprendre la société à
travers l’analyse de
son fondement matériel, ou de comprendre les actions humaines
comme
résultant de besoins et d’impulsions. Il n’y a pas de raison de
se
taper la tête contre les murs de ce trou noir, dont nulle
étincelle ne
peut jaillir. Nous devons définir le fondamentalisme selon ses
préceptes ; à savoir, la négation des droits de la
personne et de la
liberté, de l’égalité et de la démocratie -
et nous devons lutter pour
éradiquer le terrain qui est propice à son
développement parasite : à
savoir la souffrance, l’ignorance, l’inégalité et la
pauvreté.
Seule
l’issue victorieuse de ce
combat peut empêcher la société, à
travers tout le Moyen-Orient, de sombrer dans une tyrannie barbare et
lui permettre de se bâtir sur des bases saines et humaines.
11 septembre 1992 |