En France aussi !



Une femme sur dix victime de violence conjugale


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15 février 2005 - Les résultats de l'étude Ipsos-MarieClaire font froid dans le dos. En France, une femme sur dix a déjà été victime de violence conjugale, au sens le plus strict, violence physique ou sexuelle répétée dans le temps. L'alcool, la jalousie, voire une banale dispute sont le plus souvent à l'origine du drame.

Chaque année, elles seraient des millions à subir dans le silence, la honte et la peur ; les coups et les insultes de leurs compagnons. Quelle est aujourd’hui l’ampleur de la violence conjugale en France ? Le phénomène reste encore extrêmement difficile à évaluer.

D’abord parce qu’il y a fort à parier que les enquêtes d’opinions ou comportementales ont très certainement tendance à le sous-évaluer. La honte et la peur que connaissent et subissent les femmes battues empêchent très certainement une bonne part d’entre elles de s’exprimer sur le sujet et d’avouer être victimes de mauvais traitements, notamment à des personnes qu’elles ne connaissent pas.

Ensuite parce que la définition même de violence conjugale reste aujourd’hui extrêmement variable d’un individu à l’autre. Pour certains, elle relèverait d’un « indice global », regroupant des faits très divers allant de l’agression physique à l’agression verbale, des remarques désagréables aux contrôle de l’emploi du temps. Pour d’autres, il y aurait aujourd’hui une tendance très forte à « étendre le concept de violence masculine à tout et n’importe quoi, en traçant un continuum de la violence qui va du viol au harcèlement verbal, moral, visuel…en passant par la pornographie et la prostitution » (Elisabeth Badinter). Au sein du couple, qu’est-ce qui relève de la violence et qu’est-ce qui appartient au registre de la mésentente ou de la misogynie ?

Dans les faits, il est très probable que la situation vécue par les femmes victimes de violences conjugales se situe entre ces deux conceptions. S’il est indéniable que le fait de contrôler la vie privée de son conjoint ou le rabaisser systématiquement est une forme de harcèlement, il est peut-être plus difficile de considérer ces « seules » attitudes comme des formes de violences conjugales. En revanche, il est vraisemblable que les actes de violence physique s’accompagnent aussi fréquemment de pressions psychologiques très fortes et qu’il existe comme le souligne Maryse Jaspard, chercheuse à l’INED,  « un continuum entre les deux ».

A l’occasion de la journée de la femme qui se déroulera le 8 mars prochain, MARIE-CLAIRE et IPSOS ont décidé de réaliser une grande enquête auprès des Françaises, destinée à dresser un panorama complet de la situation. L’objectif était non seulement de déterminer quelle proportion de femmes subit aujourd’hui ce fléau mais aussi quelle part d’entre elles l’a déjà connu.

Au-delà de cette mesure, il s’agissait aussi de comprendre leur perception de ce type de violences en évaluant leur degré de compréhension et les réactions qui pourraient être les leurs si jamais elles étaient amenées à y être confrontées.

L’enquête a été réalisée par téléphone auprès de 992 femmes, constituant un échantillon national représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus (Méthode des quotas : sexe, âge, profession du chef de famille, catégorie d’agglomération et région)


A. Près de 10 femmes sur 100 affirment être ou avoir été victime de violences conjugales avérées

Afin d’éviter toute forme de critiques sur la façon dont la violence conjugale a été évaluée et mesurée, IPSOS et MARIE-CLAIRE ont, dans un premier temps, choisi comme parti pris de réaliser une analyse des résultats à partir de la définition la plus stricte de la violence conjugale : des comportements de violences physiques et/ou sexuelles qui se sont répétés dans le temps. Les résultats ont de quoi faire froid dans le dos. De fait, 10% des femmes interrogées affirment qu’au cours de leur vie actuelle ou passée, il leur est déjà arrivé « plusieurs fois » que leur partenaire les gifle ou les frappe ou qu’il les oblige « plusieurs fois » à faire l’amour alors qu’elles leur avaient dit ne pas le vouloir. Il convient de souligner, là encore, que ce chiffre concerne celles ayant dit avoir rencontré à plusieurs reprises l’une ou l’autre des ces situations de violence.

Cette évaluation est d’autant plus alarmante que les résultats sont très certainement en deçà de la réalité. Nombreuses sont celles qui apeurées ou honteuses, n’osent pas ici confier la détresse et les problèmes qu’elles ont rencontrés à des enquêteurs qu’elles ne connaissent pas. Le sujet abordé relève ici de l’intimité dans ce qu’elle a de plus fort. La lecture détaillée des résultats montre que 6% des femmes interrogées avouent avoir été giflées ou frappées plusieurs fois tandis que 6% disent avoir été plusieurs fois contraintes à avoir des rapports sexuels (mais 10% ont subi plusieurs fois l’une ou/et l’autre de ces violences).

Lorsque l’on s’intéresse à d’autres types de comportements moins violents physiquement mais parfois tout aussi dévastateurs psychologiquement parlant, on note là encore qu’une proportion significative des Française affirme y avoir été confrontée. Ainsi, nombreuses sont celles qui avouent avoir déjà été violemment insultées par leur partenaire (16% dont 11% plusieurs fois), avoir déjà craint qu’il ne les frappe (15% dont 8% plusieurs fois) ou encore voir leurs fréquentations et leurs sorties surveillées ou contrôlées (14% dont 9% à plusieurs reprises).


B. Des violences conjugales qui s’exercent au sein de toutes les strates de la population féminine : un panorama du profil des femmes violentées

L’analyse des profils sociologiques des femmes victimes de violences conjugales montre que contrairement à ce que l’on pourrait penser, les coups et les agressions physiques ne sont pas l’apanage des couples vivant dans les milieux défavorisés, loin s’en faut.

Certes, et de façon assez logique, on trouve une légère surreprésentation des femmes victimes de violences conjugales au sein des catégories les moins avantagées mais cela n’empêche pas de les retrouver aussi dans les autres catégories.

Ainsi, si 11% des ouvrières disent connaître ou avoir connu ce type de violences physiques ou sexuelles, 11% des employées disent de même et 8% des cadres aussi. Par ailleurs, si le phénomène concerne un peu plus les femmes n’ayant pas de diplôme (12%), on note que 7% de celles ayant un niveau bac+3 disent avoir déjà subi des agressions physiques ou sexuelles répétées de la part d’un conjoint.

Enfin si le niveau de revenu est aussi un facteur clivant, il n’en reste pas moins vrai que 7% femmes ayant les plus hautes tranches de revenus se disent aussi concernées (contre 12% pour les plus modestes).

Cette violence est aussi inter-générationnelle, elle est logiquement un peu moins subie par les femmes les plus jeunes qui ont une vie de couple souvent moins stabilisée et qui vivent plus fréquemment encore à leur âge au sein de leur structure familiale. Il n’en reste pas moins vrai que la proportion de jeunes femmes déclarant avoir été plusieurs fois frappées et/ou violées par un partenaire est toutefois conséquente (8% des moins de 35 ans contre 11% pour les 35 ans et plus).

L’enquête confirme aussi la réalité d’un certain continuum entre les comportements des partenaires violents. Ainsi, logiquement, la majorité des femmes ayant déjà été frappées et/ou violées par un partenaire affirme aussi avoir « plusieurs fois » rencontré les situations suivantes : craindre que leur partenaire ne les frappe (61%), être insultées violemment (72%) ou avoir un emploi du temps et des fréquentations contrôlés (46%). On imagine ici à quel point les effets et les ravages de la violence physique sont le plus souvent démultipliés par les actes de destruction psychologique qui y sont associés.

Les effets de cette violence sont tels que lorsque l’on demande aux femmes ayant déjà été giflées, frappées ou obligées de faire l’amour alors qu’elles ne le voulaient pas, à quelle fréquence et comment ces violences se sont exercées, une part non négligeable d’entre elles refuse de se prononcer (22%).  Qui sont-elles ? Certainement pour une bonne part des femmes qui n’ont pas été frappées mais qui ont fait « une fois » l’amour de façon contrainte et qui estiment probablement que cet acte ne relève pas de la violence conjugale. Parmi elles, on trouve aussi très certainement des personnes qui ne souhaitent pas se prononcer sur le sujet car l’interrogation devient ici trop intime et elles ne souhaitent pas plus s’exprimer plus en avant. Il n’en reste pas moins vrai que parmi les femmes ayant déjà été frappées ou contraintes de faire l’amour, 35% avouent que cela leur est arrivé plusieurs fois avec un même partenaire, 11% régulièrement avec un même partenaire et 4% avec plusieurs partenaires successifs.


C. Des violences dont les causes sont multiples et qui dans bien des cas ont entraîné des séquelles physiques

C’est l’un des autres grands enseignements de l’enquête. Les causes qui déclenchent les agressions sont nombreuses et les effets des violences ont souvent laissé des conséquences corporelles. 39% disent que c’est parce que leur partenaire avait bu qu’il s’est montré violent. Mais ce n’est pas la seule raison invoquée, loin s’en faut. 34% citent une crise de jalousie, tandis que 33% situent l’origine des agressions dans une banale dispute conjugale qui dégénère. Les enfants sont un motif invoqués par 12% des femmes violentées et le refus de faire l’amour par 8%.

On imagine alors à quel point le phénomène de la violence conjugale a de quoi paniquer les personnes qui en sont victimes : elle trouve son origine dans des causes tellement diversifiées, qu’elle doit être forcément imprévisible et certainement fréquente : plus il y a de « motifs » déclencheurs des agressions, plus il y a de chances que cette violence s’exerce souvent.

La gravité des coups est parfois telle qu’elle laisse des traces physiques pendant un certain temps. Ainsi, 30% des femmes ayant déjà été violentées affirment avoir connu cette situation. Le phénomène est encore plus préoccupant lorsque l’on se penche sur les réponses données par les femmes ayant été « plusieurs fois » victimes d’agressions physiques (57% ont eu des traces physiques pendant un certain temps) ou par celles ayant déjà reçu des coups et/ou été contraintes de faire l’amour (41%).


D. Un phénomène d’autant plus « dangereux » que les arguments qui pourraient convaincre les femmes de rester avec un homme violent sont nombreux

A priori, les Françaises dans leur majorité affirment que si leur couple traversait une crise et que l’homme qu’elles aiment se montrait violent à leur encontre, elles le quitteraient (62%). Parmi elles, 37% le feraient en portant plainte, tandis que 25% partiraient sans engager de procédure à son encontre. Reste que 34% disent qu’elles resteraient en essayant d’arranger les choses pour sauver leur couple.

Mises en situation, les femmes se montrent toutefois beaucoup moins à l’aise pour partir en cas de violence conjugale. Lorsqu’on leur demande de choisir parmi une batterie d’arguments, celui qui les convaincrait le plus de rester avec un homme qu’elles aiment mais qui s’est montré violent avec elles, seulement 19% affirment que rien ne les ferait rester. Les autres estiment très majoritairement qu’il existe des raisons qui les empêcheraient de partir. La peur de ne plus voir ses enfants est l’argument le plus fréquemment cité (34%), loin devant le fait que l’agression ne s’est produite qu’une seule fois (16%) ou que le couple s’aime malgré tout (11%). Enfin, la peur de se retrouver sans ressources tout comme celle que leur partenaire les retrouve et les frappe à nouveau est mentionnée par respectivement 6% et 4% des femmes interrogées.

Les réactions des femmes ayant déjà rencontré des violences conjugales, à savoir celles ayant été « plusieurs fois » frappées ou contraintes de faire l’amour avec leur partenaire, sont particulièrement intéressantes. Si elles affirment plus fréquemment que les autres qu’elles quitteraient leur conjoint si celui-ci se montrait violent (71% contre 62% pour l’ensemble) et notamment qu’elles porteraient plainte (45% contre 37% pour l’ensemble), il n’en demeure pas moins qu’une bonne part d’entre elles déclare toutefois qu’elles essayeraient d’arranger les choses (28% contre 34% pour l’ensemble). De même, si elles estiment plus fréquemment que les autres qu’aucun argument ne pourrait les faire rester avec un homme violent (25% contre 19% pour l’ensemble), il n’en demeure pas moins que la grande majorité d’entre elles trouve toutefois des motifs qui pourraient les pousser à rester. On note que le fait que cela n’est arrivé qu’une seule fois est l’argument qu’elles citent le moins (seulement 9% contre 16% pour l’ensemble). Peut-être pensent-elles que la violence conjugale ne s’exerce que très rarement « qu’une seule fois » contre une personne et que dès lors que l’on reçoit et que l’on accepte des coups une fois, il a de fortes chances que le conjoint recommence.


E. Près de 4 femmes sur 10 disent être confrontées dans leur entourage aux violences conjugales


Si 10% des Françaises ont déjà été victimes de violences conjugales, 38% d’entre elles affirment connaître au sein de leur entourage des femmes qui sont ou ont déjà été victimes de violences conjugales. Les femmes violentées expriment une sensibilité encore plus forte puisque 55% d’entre elles disent avoir dans leur entourage des personnes qui connaissent aujourd’hui ce problème. Ce résultat s’explique très certainement pour une part par le fait qu’une partie d’entre elles a ou a du rencontrer d’autres femmes battues lorsqu’elles ont affronté ces violences (milieu associatif…). Peut-être que ces dernières, parce qu’elles sont ou ont été confrontées à ce fléau, ont-elles aussi développé une perception supérieure aux autres qui leur permet de repérer au sein même du huis-clos conjugal et de son intimité, les drames qui s’y déroulent dans le silence et l’indifférence la plus totale. 

Etienne  Mercier