Les meurtres d’honneur

Extraits  de "The Palestinian Human Right Monitor" - Août 2002 - Première partie

En Août 2002, le bulletin du Palestinian Human Right Monitoring Group a publié une longue étude sur les prétendus meurtres d'honneur, étude intéressante par de nombreux aspects, même si, réalisée par un groupe de défense des droits humains, et non pas par une organisation féministe, elle n'est malheureusement pas dénuée de certains préjugés concernant les relations sexuelles extra-conjugales, ce qui ressent dans le vocabulaire utilisé par l'auteur de l'article. Nous en publions donc des extraits, tout en rappelant qu'une femme qui couche avec l'homme (ou la femme !) de son choix n'est coupable de rien !

 Deuxième partie (sondages)  Conclusion


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4Le crime est considéré comme un phénomène sérieux qui menace la société et gène son évolution. Ce vieux phénomène existe dans toutes les sociétés et est une réactions aux facteurs sociaux, psychologiques, environnementaux, éducatifs, économiques et culturelles. La perception du crime, d’une société à une autre, est basée sur les différences de contextes sociaux, psychologiques, environnementaux, éducatifs et culturels. Ainsi, certains crimes sont dénoncés dans une société alors qu’ils sont acceptés dans une autre.

De même, les crimes d’honneur, bases de cette étude, sont un produit des critères sociaux inégalitaires. Le crime d’honneur est la préservation de l’honneur de la famille par l’assassinat d’un membre féminin de la famille qui a violé les normes sociales, généralement en ayant des relations sexuelles. (…)

Ce crime existe dans toutes les sociétés arabes et en Palestine en particulier, sur la base de ses traditions et coutumes arabes. (…) Un élément significatif du contexte de cette étude est la situation politique de la société palestinienne qui la distingue des autres sociétés arabes. Les efforts du peuple palestinien pour établir un Etat indépendant et prospère pourraient être anéantis si ce crime n’est pas aboli. L’explication des raisons et causes de ce crime devrait contribuer à le faire disparaître.

 

Le meurtre d’honneur

Définition : Dans son sens le plus simple, le terme meurtre d’honneur se réfère au meurtre d’une femme par sa famille, en particulier dans les sociétés arabes, parce qu’elle soupçonnée d’avoir commis une action considérée comme « obscène ». La femme est alors considérée comme coupable même sans preuves substantielles. Le meurtre prétend chasser la honte et maintenir l’honneur.

Inégalité de genre : Il existe une grande différence lorsqu’un homme le même type de relation sexuelle que celle qui condamne une femme à mort. Lorsqu’un homme a ce genre de relation sexuelle il n’est que peu ou pas du tout puni. Les hommes sont considérés comme innocents parce que les normes sociales voient dans l’acte sexuel illicite de l’homme un simple plaisir temporaire et pas une violation grave des normes sociétales. (…)

La famille arabe est une unité reproductive basée sur une interdépendance entre les membres de la famille. Chacun de ses membres peut faire progresser ou reculer la famille, cela dépend de son comportement. Si la communauté accuse une femme d’avoir commis un acte indécent, sa famille tombe en disgrâce. C’est la raison pour laquelle la famille la tue dans l’espoir de retrouver son honneur.

Avant l’Islam, l’infanticide des filles était une pratique courante au sein de la communauté arabe : le père enterrait sa fille afin d’éviter une possible honte future dans le cas où elle perdrait sa virginité hors du mariage.

L’assassin cherche à se déresponsabiliser : L’assassinat d’une fille n’extirpe pas la honte, mais au contraire la confirme. Ce crime prouve la faillite de l’éducation. De plus, la plupart des filles assassinées sont tuées uniquement sur la base de rumeurs. Aussi, une fille « innocente » perd à la fois sa vie et sa réputation. De plus, quelques hommes utilisent le crime d’honneur pour trouver une excuse dans le meurtre de leur femme, de leur sœur ou de leur fille et échapper à une condamnation, alors que le véritable mobile est d’obtenir une plus grande part de l’héritage ou de cacher une agression sexuelle.

 

La femme dans la société palestinienne :

Si on exclut la situation politique de la Palestine, les conditions des Palestiniennes sont similaires aux conditions des autres femmes arabes. Dans cette situation, les hommes sont prioritaires par rapport aux femmes, ce qui produit un traitement injuste des femmes. (…)

Traditions et coutumes existantes

Les traditions et les coutumes jouent un rôle déterminant dans la société, agissant comme une loi non-écrite. De plus, elles ont une grande influence sur les parents.

Méthodes d’éducation parentale et infériorité de la femme

En préférant avoir des garçons, les parents discriminent les filles. Cette discrimination est déjà prénatale, les fétus féminins ayant moins de soins. Il y a une forte différence entre mettre au monde un garçon et une fille, un nouveau né masculin est accueilli avec soins et joie, alors qu’un nouveau né féminin l’est avec négligence et tristesse. De plus, un bébé masculin reçoit de façon adéquate du lait de sa mère alors que les rations destinées à un bébé féminin sont insuffisantes. Cette inégalité continue durant l’adolescence et crée un sous-développement cause de dépendance.

Portrait de la femme selon les proverbes

La plupart des proverbes renforcent l’infériorité de la femme, l’associant au mal et à la trahison. Et de nombreux proverbes considèrent qu’une « bonne femme » est une « bonne ménagère ».

Valeurs

Les deux valeurs fondamentales de la société arabe sont les deux opposés « honneur » et « honte ». Ces deux concepts contradictoires sont basés sur le comportement de la femme. Author Dodd (1973) notait que « Nous pouvons comprendre la plupart des aspects de la famille arabe en comprenant le terme "honneur" en tant qu’il implique une surveillance sociétale et donne sa légitimité à la structure familiale patriarcale et hiérarchisée ». De même, l’écrivain Abou Zeid disait : «  la honte est un concept arabe classique qui indique qu’une fille a violé les normes sexuelles, et par ce biais a offensé tous les membres de sa famille qui sont poussés à la tuer ». Aussi, l’activité sexuelle de la femme est la pierre angulaire de la honte familiale.

La place des femmes dans l’islam

Selon l’auteur Layla Abed Al-Wahhab, les pensées, principes et concepts qui produisent l’oppression de la femme sont maintenus par la religion. La religion en est un instrument parce qu’elle est la base éthique de la famille. Cependant, il y a deux tendances islamiques opposées concernant la place des femmes, la tendance modérée et la tendance orthodoxe.

La tendance modérée : interprétations modérées du Coran et de la Sunna. Cette école de pensée maintient que l’Islam est la doctrine permettant de comprendre Dieu. Il régule tous les aspects de la vie, y compris la question des femmes. Historiquement, l’Islam a sauvé et libéré les femmes. Il a fait de la femme l’égale de l’homme dans de nombreux domaines, comme l’éducation, le commerce, le travail et même pour les fonctions étatiques. Dans certains domaines, l’Islam rend l’homme supérieur à la femme, par exemple par le fait qu’un homme a le droit au double de l’héritage d’une femme. Les modérés argumentent que cela est justifié par le fait que les hommes doivent subvenir aux besoins de leurs parents âgés.

Les modérés défendent aussi le verset saint « L’homme est supérieur à la femme » en disant qu’il ne faut pas le prendre d’une façon littérale mais qu’il signifie que l’homme doit soutenir financièrement la femme et sa famille.

La tendance orthodoxe : interprétation littérale du Coran et de la Sunna.  Cette école de pensée fait une stricte interprétation des textes sacrés concernant les femmes. Le philosophe Al-Ghazali, un des principaux fondateurs de cette école de pensée, affirmait que la femme doit se soumettre complètement à l’homme et lui obéir sur la base du Hadith (enseignement) du prophète Mahomet : « Si je pensais ordonner à une personne de s’agenouiller devant une autre, j’ordonnerai à la femme de s’agenouiller devant son mari. » Dans son livre, « La femme dans le Coran », l’écrivain égyptien Abbas Mahmoud Al-Aqqad défend une position dégradante similaire de la femme.

Le système judiciaire

La loi appliquée en Cisjordanie et à Gaza[1] est la loi jordanienne de 1960, elle-même inspirée de la vieille loi française de 1807. Cette loi discriminatoire voit les femmes comme la propriété de l’homme. Par exemple, la clause 284 du Code Pénal donne à l’homme divorcé le droit de poursuivre son ex-femme pour relations sexuelles pendant les quatre mois qui suivent le divorce. Et cette loi n’est pas réciproque. De plus, les articles de cette loi qui traite de la trahison, du viol et de l’inceste contient des vides juridiques intentionnels et ne prévoit que des peines légères. En conséquence, cela encourage tacitement les agressions contre les femmes.

Le concept d’honneur

Il n’existe pas de concept standard de l’honneur. Le concept d’honneur est plus sévère dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Le dénominateur commun de l’honneur est la virginité féminine.

Influence des changements politiques et économiques sur le concept d’honneur

La situation politique et économique palestinienne autorise la venue de changements. Même si elles ne le veulent pas, les familles à bas revenus sont obligées d’autoriser leurs filles à entrer dans le monde du travail. De même, la lutte palestinienne pour l’indépendance a mobilisé la population politiquement, y compris les femmes. En conséquence, les femmes ont été sorties de leur rôle traditionnel pour rejoindre la résistance. Par le biais d’organisations de femmes, de jeunes femmes palestiniennes ont eu l’opportunité de construire leur personnalité hors du foyer et de redéfinir leur rôle personnel dans la société.

 

Facteurs favorisant les crimes d’honneur

(…)

Le rôle de la loi

Comme mentionné plus haut, le droit en Cisjordanie et à Gaza est le droit jordanien de 1960 inspiré du vieux droit français de 1807.

La loi concernant les crimes d’honneur comporte des possibilités :

- De relaxe : l’agresseur masculin sort libre de toute sanction.

- Des circonstances atténuantes : l’agresseur masculin est emprisonné pour une période de un à six mois.

 

Article 340a du Code Pénal :

« Tout homme qui surprend par surprise sa femme ou tout autre parent féminin en train de commettre l’adultère ou la fornication avec un autre homme et qui tue ou blesse l’un des deux ou les deux peut bénéficier d’une relaxe. »

Et en complément, l’article 340b affirme :

«  Tout homme qui surprend sa femme ou tout autre parent féminin en train de commettre l’adultère ou la fornication dans un lit illicite et tue ou blesse l’un des deux ou les deux peut bénéficier de circonstances atténuantes. »

Même si les articles 340a et 340b sont similaires, le second ne recouvre aucune des lacunes du premier. L’article 340b ne définit pas le terme « lit » et de nombreuses cours jordaniennes le définissent de façon tellement ouverte que la présence d’un lit n’est même plus nécessaire. Dans le cas, où un homme n’arrive pas à être relaxé par le biais de l’article 340a, l’article 340b lui permet d’avoir une peine réduite.

En aucun cas, cette loi discriminatoire ne permet aux femmes leur permettant d’être relaxée ou de bénéficier de circonstances atténuantes. Mais cette loi permet d’offrir une façade légale aux hommes qui défendent « l’honneur de la famille ».

A part en Arabie Saoudite, où les règles de l’Islam sont appliquées à la lettre, le droit dans les pays arabes est, plus ou moins, similaire au droit jordanien.

Ce droit arabe discriminatoire est une violation flagrante du principe d’égalité, de la déclaration internationale des droits de l’homme, de la convention internationale pour la suppression de toute forme de discrimination à l’encontre des femmes, de la déclaration des droits humains de Vienne, et des conclusions de la quatrième conférence internationale de Pékin, etc.

 

L’influence de l’Autorité Palestinienne

En 1967, avant l’occupation israélienne des terres palestiniennes, Gaza était dirigé par l’Egypte et la Cisjordanie par la Jordanie. En conséquence, les lois établies à Gaza et en Cisjordanie étaient respectivement les lois égyptiennes et jordaniennes. Cette situation a perduré pendant l’occupation.

De plus, ces lois proclamées étaient annulées par le droit tribal, un mélange de coutumes, de traditions et de lois islamiques sélectionnées. Les parties en conflit se mettaient d’accord pour qu’un chef de tribu expérimenté et respecté agisse en tant que juge. Ils devaient se rendre à son domicile et lui présenter leur litige. Et le jugement du chef était prononcé. Le droit tribal est toujours dominant si bien que la police palestinienne le respecte.

De nombreux objectifs sociaux sont devenus secondaires par rapport à l’objectif de l’indépendance nationale. De ce fait, l’Autorité Palestinienne préfère laisser la question des femmes aux mains du droit tribal et des individus de la famille, laissant ainsi les femmes palestiniennes dans une situation vulnérable.

(…)

Faits divers

Comme mentionné plus haut, le concept d’honneur familial est fortement lié à la virginité de la fille non-mariée et à la monogamie de la femme mariée. Son comportement est fortement lié à l’honneur de la famille et sa fapmille la voit comme responsable de son honneur.

Même si l’immense majorité des victimes sont des femmes, les exemples qui suivent montrent que les crimes d’honneur peuvent aussi toucher des hommes :

- Le 29 juin 2000, un mari tue sa femme à coup de hache. Ce brutal assassinat a lieu à Gaza. L’assassin, un toxicomane, affirme qu’il aurait entendu des rumeurs comme quoi sa femme l’aurait trompé (…).

- Le 17 avril 1999, une mère tue sa fille dans le nord de la Cisjordanie. La mère l’a empoisonnée bien qu’elle savait que sa fille avait été victime d’agressions sexuelles par un membre de la famille. En assassinant sa fille, la mère pensait qu’elle pourrait étouffé le scandale.

- Le 23 juillet 2001, un homme tue sa nièce et affirme qu’il voulait nettoyer sa conduite infamante et la honte qu’elle a apporté sur la famille. L’assassin qui avait enlevé la victime voulait en fait cacher qu’il avait violé cette fille et qu’elle était tombée enceinte.

- A Beit Hanina, une banlieue de Jérusalem, un père a tué sa fille et l’a enterrée dans son jardin juste parce qu’il avait une photo d’elle avec un « jeune homme étranger ». Plus tard, le père a découvert que la photo était un montage et que sa fille était innocente.

- A Hébron, il y a un an (NdT : 2002) un frère a tué sa sœur en disant qu’il l’avait entendue parler au téléphone avec son petit copain. Ce mensonge fabriqué a été découvert : il ne voulait pas que sa sœur se partage son héritage avec lui.

- A Hébron, il y a un an, un jeune homme a demandé la main d’une femme. Bien que la femme soit d’accord, sa famille a refusé. La femme s’est sauvée avec lui à Bethlehem où ils sont restés trois jours. La famille a décidé de les tuer tous les deux, mais quelques hommes respectés sont intervenus et ont demandé au père de la femme de régler cette dispute pacifiquement. Il a demandé le retour immédiat de sa fille, et en échange a promis de ne pas la blesser. Elle est rentrée, s’est excusée et a dit à son père qu’elle n’avait eu aucune relation sexuelle. Bien que la fille soit toujours vierge, le père l’a battue brutalement, ses bras et ses jambes furent brisés, son visage déformé. Elle fut ensuite enfermée dans sa chambre.

- Dans la nuit du 16 décembre 2002, une fille s’est enfuie de sa maison, poursuivie par son père armé d’une hache qui voulait la tuer parce qu’elle avait « forniqué ». Elle est arrivée au check-point israélien et a demandé aux soldats de l’aider. Les soldats l’ont laissée rester au check-point pour la protéger et ont obligé le père à rentrer chez lui. Le lendemain matin, le père est revenu au check-point. Un officier israélien lui a permis de repartir avec sa fille après qu’il ait signé un document où il s’engageait à ne pas violenter sa fille sous peine d’amende et d’emprisonnement. La fille fut enfermée dans sa chambre.

- A Hébron, une femme tombe enceinte. Quelques personnes respectées forcent l’homme, qui avait couché avec elle, de la marier. Quelques heures après qu’elle accouche, le mari, hurlant que cet enfant n’était pas de lui, a étouffé le bébé. Personne n’a pensé à punir le mari pour le meurtre du bébé.

- A Hébron, un mari accuse sa femme d’adultère sans en avoir la moindre preuve. Leur vie devient infernale, ils divorcent et la femme retourne au domicile de son père. Son père, dans l’attente désespérée de mettre fin aux rumeurs sur sa fille, l’enferme dans sa chambre.

- A Hébron, un jeune homme a des relations sexuelles avec sa secrétaire. Lorsque sa famille l’apprend, elle décide de les tuer tous les deux. La femme s’échappe et demande à un homme respecté de la protéger. Quelques autres interviennent et mettent fin à la dispute en mariant les deux jeunes gens.

- Il y avait des rumeurs à propos d’une femme qui aurait des relations illicites avec un homme. Les membres de la famille firent pression sur le père pour qu’il sauve leur honneur. Le père est rentré chez lui et a tué sa fille seulement à cause des rumeurs (il n’y avait aucune preuve). Le père a commis ce crime le 25 décembre 2002.

- Le 13 août 2001, le corps d’un jeune homme a été retrouvé sur la plage de Gaza. Il portait de nombreux signes de mutilation. Selon certaines sources, des membres de la famille de la femme avec qui il avait une relation l’ont tué.

- Un jeune homme a demandé la main d’une femme à sa famille. Même si la femme était d’accord, la famille a refusé. Comme ils étaient amoureux, ils se sont mariés légalement mais en secret. La fille a continué à passer une grande partie de son temps au domicile de son père pour ne pas éveiller les soupçons. Mais sa grossesse a fait connaître le mariage secret. La légalité du mariage n’a servi à rien. Son père l’a tuée.

- A Gaza, lorsque la famille a découvert qu’une femme divorcée était enceinte, son frère l’a immédiatement tuée pour préserver l’honneur familial. Il a été condamné à trois ans de prison. Il a fait appel auprès de la cour suprême et sa peine a été réduite (deux ans de prison).

- L’ex-beau frère soutenait financièrement une veuve et ses enfants. La veuve a eu quelques relations avec des hommes, et les gens parlaient de son comportement. Son beau-frère l’a tuée. Le tribunal l’a condamné à trois ans de prison.


Luma A’jlouni, Palestinian Human Right Monitoring Group

[1] Note du traducteur : il semble qu’il y ait là erreur ou confusion. Si de nombreuses lois en vigueur en Cisjordanie sont bien jordaniennes, à Gaza, par contre, les lois antérieures à 1967 sont celles qui étaient alors en vigueur en Egypte.