Rencontre avec des syndicalistes
palestinien(ne)s en Franche-Comté
Les 29 et 30
novembre 2004, les syndicats CNT, SUD et FSU de Besançon, ainsi
que des associations, ont accueillis dix syndicalistes
palestinien(ne)s.
Il
est toujours intéressant de rencontrer des militantes et
militants ouvriers d’un autre pays, de pouvoir ainsi échanger et
discuter, tant sur les conditions de travail que sur les combats de
notre classe, tant il est vrai que si notre patrie est
l’humanité, notre seule nationalité, elle, c’est
d’être prolétaire.
Impérialisme
et
colonialisme
Il n’est pas
nouveau que pour le capitalisme, arrivé à
son stade suprême de développement, l’impérialisme
soit devenu une nécessité. Confronté aux
contradictions mêmes de l’accumulation du capital, il est, pour
chaque bourgeoisie nationale, vital de s’approprier tant des
matières premières à bas prix que des zones de
marché où elle serait en situation de monopole. On
retrouve ce phénomène tant aux Etats-Unis (Irak,
Afghanistan, etc.), en France (Afrique de l’Ouest en
général et Côte d’Ivoire en particulier), que dans
tous les autres pays capitalistes développés. Ce
phénomène touche également de petits pays comme
Israël, et les territoires occupés servent ainsi de
marché pour écouler les marchandises israéliennes.
Dans la bande de Gaza par exemple, 85% du commerce extérieur est
monopolisé par les capitalistes israéliens. Ainsi, comme
a pu le faire le colonialisme français en Afrique, certaines
cultures traditionnelles ont été détruites afin
que des stocks de marchandises puissent être
écoulées dans la bande de Gaza. C’est le cas par exemple
avec les citronniers et les orangers, que les paysans de Gaza ont
été obligé de couper, ce qui permet l’exportation
d’oranges et de citrons d’Israël. De même, le capital
israélien se réserve le monopole du commerce de produits
comme sel, le ciment, l’essence ou les médicaments, produits qui
coûteraient moins chers s’ils pouvaient être achetés
à l’Egypte. Ces exemples montrent bien comment, par
l’impérialisme et le colonialisme, la bourgeoisie tente de
résoudre sa contradiction permanente qui est celle de
l’accumulation du capital et des risques permanents de saturation des
marchés.
Bien sûr, si les guerres ont
toujours permis a une
minorité de s’enrichir, pour la classe ouvrière par
contre, elle est synonyme d’encore plus de misère. Ainsi, avec
le début de la deuxième Intifada et la fermeture des
frontières entre Israël et les territoires palestiniens,
200.000 travailleurs palestiniens ont été
licenciés, certains travaillant depuis trente ans en
Israël. Au delà des licenciements, ces ouvriers sont en
plus victimes d’une discrimination particulièrement scandaleuse
puisque, bien qu’ils aient cotisé aux caisses de chômage,
ils ne touchent aucune indemnité (le montant total des
indemnités chômage dus aux ouvriers palestiniens
s’élèvent à environ 5 milliards de dollars). Le
taux de chômage atteint donc des sommet dans les territoires
palestiniens, entre 40% en Cisjordanie jusqu’à 70% dans la bande
de Gaza. Et 72% de la population palestinienne vit en dessous du seuil
de pauvreté. Aussi, si avant l’Intifada, un travailleur faisait
vivre en moyenne cinq personnes, aujourd’hui, un travailleur doit faire
vivre entre neuf et dix personnes. Conséquences de cette
situation dramatique pour les ouvriers, 39% des enfants de travailleurs
ont dû interrompre leur scolarité faute de moyen, et
l’anémie touche entre 35% et 40% des enfants de Palestine. On
peut bien sûr aussi rappeler que la situation de guerre a
entraîné la destruction de nombreux services publics. Pour
simplement prendre l’exemple de l’éducation, 1125 écoles
ont été détruites totalement ou partiellement
depuis le début de l’Intifada, et 38 viennent d’être
déchirées par la construction du mur de l’apartheid. Et
bien entendu, les enfants sont très souvent victimes de troubles
psychologiques causées par la guerre.
A noter également que les
nombreux check-points militaires,
ainsi que la construction du mur, rendent le moindre déplacement
terriblement aléatoire. Pour donner un exemple concret, pour
parcourir les quarante-cinq kilomètres qui séparent
Gaza-ville de la frontière égyptienne il faut parfois
compter trois jours. Aussi, il arrive que des malades ne puissent se
rendre à l’hôpital, que des écoliers n’arrivent pas
à aller à l’école ou des ouvriers se trouvent dans
l’incapacité de se déplacer jusqu’à leur lieux de
travail. Et pour les petits paysans, ces journées d’attente
à un check-point peuvent entraîner le pourrissement de
leurs produits.
La classe ouvrière
s’organise et lutte !
Face à
cette situation catastrophique pour les travailleurs, la
population cherche à se débrouiller pour survivre. Ainsi,
le nombre de « chariots » de petits vendeurs à la
sauvette a augmenté de 200% ces dernières années,
les femmes font ce qu’elles appellent des « produits de maison
» pour les vendre, et il y a aussi l’aide humanitaire des ONG qui
permet de se nourrir… Dans certaines villes, la survie se fait
grâce à des « postes de travail tournants » :
quatre travailleurs se partagent un emploi pendant un an (soit trois
mois de travail pour chacun) et tentent de vivre avec un salaire annuel
d’environ 200€. Bien sûr, ce n’est là qu’un partage de la
misère, et pour obtenir une amélioration de ses
conditions de vie, la classe ouvrière de Palestine, comme dans
les autres pays, ne peut compter que sur ces luttes. Et si, en
Israël, l’Histadrout1, le syndicat quasi-unique est
complètement intégré à l’appareil d’Etat
(ce qui fait que ce syndicat n’a ni protesté contre les
licenciements d’ouvriers palestiniens, ni contre le fait que ces
travailleurs ne touchent pas leurs indemnités de
chômage2), l’Union Syndicale des Travailleurs Palestiniens,
l’organisation syndicale officielle de Palestine, est elle aussi
complètement dépendante des dirigeants de
l’Autorité Palestinienne, au point que les dirigeant de cette
confédération sont non seulement
rémunérés mais aussi désignés par le
gouvernement de l’Autorité Palestinienne.
Aussi, une des premières
luttes que doivent mener les
travailleurs de Palestine, c’est la lutte pour l’indépendance
syndicale et l’autonomie de la classe face à leur propre
bourgeoisie. Dans certaines entreprises, cette lutte pour l’autonomie
ouvrière passe par la création de structures syndicales
alternatives, comme par exemple le Comité des Travailleurs de
l’Hôpital du Croissant Rouge de Ramallah, ou par les actions de
l’ONG « DWRC » (Centre pour la Démocratie et les
Droits des Travailleurs) qui informe les travailleurs sur leurs droits
et les aide à s’organiser.
D’autres camarades ont choisit de se
battre au contraire au sein
même de la confédération syndicale officielle,
luttant contre le patronat et aussi contre la bureaucratie syndicale.
Ainsi, dans le secteur des télécommunications et de
l’information, la lutte face à l’appareil a consisté
à imposer l’élection démocratique par les
travailleurs eux-mêmes du Conseil Syndical (et ces huit
dernières années il y a eut des élections tous les
deux ans pour renouveler les mandats), et de refuser toute
interférence de partis politiques dans la vie du syndicat. Et on
peut préciser qu’aucun membre de ce Conseil syndical n’est
rémunéré par le gouvernement palestinien, ce qui
est un gage d’indépendance indispensable. Cela a permis la
création d’un rapport de force considérable, puisque sur
les 1550 des travailleurs de la télécommunication 97 %
sont syndiqués (les 3% restant étant des cadres de
direction). Aussi, par la lutte, le syndicat a réussit à
imposer un salaire minimum indexé sur l’inflation pour les
travailleurs des télécoms ainsi qu’un treizième
mois, ce qui est une première en Palestine (d’ailleurs, le
gouvernement de l’Autorité Palestinienne a, à ce jour,
toujours refusé d’agréer l’accord sur le treizième
mois).
Pour ce qui est des chômeurs,
les militants ouvriers de Gaza et
de Cisjordanie ont également formulé des revendications
et organisé de nombreuses protestations, dont des manifestations
qui ont regroupées plus de cent mille ouvriers sans-emploi, pour
arracher de quoi survivre. C’est ainsi que par le combat face à
l’Autorité
Palestinienne, les chômeurs ont
obtenu une «
sécurité sanitaire » (c’est-à-dire la
possibilité de soins médicaux gratuits) et l’exemption
des frais scolaires pour les enfants de chômeurs (et ils sont
élevés en Palestine, avec un coût moyen de 1200€
pour une année de lycée). Et face aux compagnies
israéliennes de distribution d’eau et
d’électricité, ils ont obtenu l’arrêt des coupures
d’eau et d’électricité pour les chômeurs.
Les
femmes : prolétaires
des prolétaires
Au 19ème
siècle déjà, Flora Tristan avait
fort justement écrit « L’homme le plus opprimé peut
opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire
du prolétaire même ». Ainsi, si à
l’exploitation capitaliste que subit l’ouvrier israélien,
s’ajoute pour le prolétaire palestinien l’oppression coloniale
et les discriminations racistes,
pour l’ouvrière palestinienne
se sur-ajoute en plus la
domination patriarcale. C’est donc bien, dans ce cas, une triple
oppression qu’elle subit. Ainsi, si le droit à l’avortement est
reconnu en Palestine, et qu’officiellement les femmes devraient, pour
un travail égal recevoir un salaire égal, les
travailleuses touchent généralement un salaire
inférieur à celui des hommes, et ce en particulier dans
les entreprises où il y a peu ou pas de présence
syndicale. D’ailleurs, si le nouveau code du travail mis en place par
l’Autorité Palestinienne en l’an 2000 a supprimé toute
différence entre hommes et femmes, cette modification
légale a, dans les faits, remis en cause les quelques garanties
spécifiques aux ouvrières en ce qui concerne la charge de
travail par exemple. De même, dans certaines entreprises, la
durée du congés maternité a été
réduite de trois mois à quarante-cinq jours. Et bien
sûr, les usines qui emploient essentiellement une main d’œuvre
féminine sont souvent celles où les conditions de travail
sont les pires. On peut prendre l’exemple d’une usine d’Hébron,
où, suite à un accident, vingt-sept ouvrières ont
trouvé la mort en une seule journée, du fait de l’absence
de toute mesure de sécurité.
Comme partout dans le monde,
l’oppression des ouvrières ne
s’arrête pas aux portes des usines. C’est ainsi qu’une camarade
féministe palestinienne estime à 70% le nombre de femmes
victimes de violences conjugales en Palestine. Si actuellement, la
pression islamiste-fondamentaliste est loin d’atteindre les niveaux de
violence qui sont ceux de l’Irak, cette pression existe malgré
tout, et dans la vieille ville d’Hébron, par exemple,
contrairement aux autres quartiers de la ville, il est difficile pour
une femme de refuser le port du voile islamique. Il est clair que
l’existence même d’une extrême-droite islamiste reste une
menace constante pour les femmes de Palestine, comme pour celles des
autres pays de culture musulmane.
Face à cette triple
oppression, les femmes de Palestine
lèvent la tête et se battent, pour leurs droits et pour
leur dignité. Le simple fait que la délégation de
syndicalistes palestiniens comporte cinq femmes et cinq hommes, montre
qu’on trouve, en Palestine comme ailleurs, des militantes qui se
révoltent contre leur oppression séculaire. A
Hébron par exemple, un Comité pour le Droit des Familles
s’est constitué afin de défendre les droits des femmes,
sur leurs lieux de travail, mais aussi pour lutter contre les violences
conjugales. Et pour ce qui est des luttes de type plus syndicales, on
peut parler du Comité des Travailleurs de l’Hôpital du
Croissant Rouge de Ramallah. Constitué hors de la structure
syndicale palestinienne officielle liée au pouvoir, ce
comité n’est pas réservé aux femmes, mais le
Conseil du comité est composé de trois hommes et de
quatre femmes. Les longues luttes face à la direction ont permis
la mise en place d’une grille de salaire sans discrimination sexiste,
d’obtenir une faible hausse des salaires, et aussi de conserver
vingt-et-un jours de congés annuels (la direction voulait les
réduire à quatorze).
Au
delà des nationalités,
un même ennemi : la bourgeoisie !
Dans les discussions avec
les camarades de Palestine, ressort de
façon claire que, si la domination coloniale est une
évidence, il est tout aussi évident qu’un patron,
même palestinien, reste un patron, et que la bourgeoisie,
même arabe, reste la classe ennemie. C’est, en effet, face
à une bourgeoisie palestinienne aussi, que les ouvriers de cette
région du monde doivent lutter. Car, si les classes populaires
de Palestine subissent une misère effroyable, il existe aussi
dans ce pays une petite minorité de très riches. Et c’est
bien contre le gouvernement de l’Autorité Palestinienne que les
chômeurs ont dû se battre pour obtenir la gratuité
des soins ou que les travailleurs des télécoms luttent
pour le 13ème mois. Bref, comme dans tous les pays, la
bourgeoisie palestinienne ne lâche jamais la moindre miette aux
travailleurs à moins qu’elle n’y soit contrainte par un rapport
de force. On peut noter à ce propos qu’un des camarades
palestiniens présents, après avoir été
enfermé les prisons israéliennes, a connu les
geôles palestiniennes pour avoir dénoncé la
corruption des dirigeants de l’Autorité Palestinienne.
Une camarade palestinienne, regardant
les prix dans une boutique
d’habits du centre-ville de Besançon, lâche «
ça c’est pas pour nous, c’est pour les Arafat ! »,
rappelant bien ainsi où se trouve la frontière
infranchissable, non pas tant entre les peuples, mais entre les riches
et les pauvres, la bourgeoisie et le prolétariat. Ces
intérêts antagonistes entre les classes, on les trouve
partout, en France, en Palestine ou en Israël. Et le sort de la
classe ouvrière d’Israël est intimement liée
à celui des travailleurs et travailleuses de Palestine. En
effet, même si le niveau de misère n’est pas encore
comparable à celui de la Palestine, la classe ouvrière
israélienne connaît elle-aussi le chômage, la hausse
des prix et les projets d'austérité qui prévoient
pour 2005 des coupes importantes-3 dans les budgets sociaux et la
fonction publique. Si les choses ne s'inversent pas, la politique
continue de répression à l'égard des Palestiniens
renforcera de plus en plus non seulement le rôle de
l'armée mais aussi les éléments les plus
réactionnaires au sein même de la société
israélienne. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment
Sharon fait matraquer les militants de l’extrême-gauche
anti-colonialiste ou pacifiste israélienne, extrême-gauche
dont il n’est que rarement question, mais qui, selon un camarade
palestinien, a une influence non-négligeable en Israël. Et
c’est cette extrême-gauche, qu’elle se manifeste par les
refuzniks qui sont emprisonnés pour avoir
désertés, par des manifestations contre le mur ou contre
l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie par exemple, qui est porteuse
d’espoir en Israël, tout comme le sont les militants et militantes
qui luttent pour l’indépendance de classe en Palestine.
Pour finir, notons que malgré
les différences de culture,
ce genre de rencontre montre qu’entre militants et militantes
syndicalistes de tous les pays, nous parlons bien une même langue
lorsqu’il s’agit d’échanger sur nos luttes quotidiennes. Et,
c’est bien de ces luttes quotidiennes que se forge ce mouvement
réel qui « abolit l’ordre des choses existant » et
qui permettra un jour à notre classe de réaliser son
rôle historique, celui de sortir enfin l’humanité de la
préhistoire où elle est maintenue, et d’en finir
définitivement avec l’exploitation, la misère, les
guerres, les frontières et les différentes oppressions
racistes ou sexistes.
Un
syndiqué de l’UL CNT
de Besançon - décembre 2004
1 L’exemple de l’Histadrout qui ne
défend pas les
travailleurs arabes, ni les travailleurs immigrés, n’est
malheureusement pas un cas isolé dans l’histoire du
syndicalisme. On pourrait citer l’American Federation of Labor (AFL)
qui a longtemps refusé d’organiser et de défendre les
travailleurs noirs ou immigrés non-qualifiés aux USA, ou
même, pour la France, certains syndicats CGT au début du
siècle qui, non seulement ne voulaient pas syndiquer les femmes,
mais luttaient
même contre l’embauche d’ouvrières.
2 Ce qui est scandaleux, non seulement du point de vue de la simple
justice, mais aussi du point de vue de la défense de la classe
ouvrière d’Israël. Accepter que des droits pour telle ou
telle catégorie de travailleurs ne soient pas respecter, c’est
toujours paver la voie à de futures attaques qui concerneront
tous les travailleurs, et donc, dans ce cas, y compris les
salariés de nationalité israélienne. On peut
d’ailleurs souligner qu’après avoir licencié les ouvriers
de citoyenneté palestinienne (mais soumis au code du travail et
aux grilles de salaire d’Israël), certains patrons
israéliens ferment leurs usines en Israël pour les
délocaliser, par exemple dans la zone industrielle d’Erez, en
territoire palestinien, attirés par le faible coût de la
main d’œuvre palestinienne.
3 Alors que le budget annuel pour les colonies engloutit 533 millions
de dollars, et cela sans parler du budget nécessaire aux
dépenses militaires.