Contexte juridique
Discrimination et absence de protection

Extrait du rapport d'Amnesty International - mars 2005




Contexte juridique

La situation juridique des territoires occupés est complexe. Depuis l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967, Israël en qualité de puissance occupante a administré ces zones par des ordonnances militaires traitant de prétendues questions de « sécurité » ; en réalité, elles concernaient des questions civiles essentielles, par exemple l’expropriation des terres et leur utilisation ou la fermeture d’établissements d’enseignement.

Les lois et systèmes juridiques d’avant 1967 – les anciennes lois de l’empire ottoman, les lois britanniques de l’époque du mandat britannique sur la Palestine (1918-1948), les lois jordaniennes en Cisjordanie et les lois égyptiennes dans la bande de Gaza – sont restés en vigueur aux côtés des lois militaires israéliennes. Depuis 1967, les tribunaux palestiniens continuent de juger les affaires intérieures palestiniennes conformément à ces lois ; les questions relatives au statut de la personne – mariage, divorce, garde des enfants, pension alimentaire, entre autres – sont traitées par les tribunaux religieux et les crimes, comme les coups et blessures volontaires, le viol ou le meurtre, par des juridictions pénales. Toutefois, la population palestinienne a tendance à ne pas faire confiance à ces tribunaux dont les juges, nommés par Israël, sont mal payés, souvent inexpérimentés et considérés comme corrompus. La société préfère s’en remettre aux mécanismes traditionnels et tribaux de règlement des conflits plutôt qu’à un système formel de justice contrôlé par Israël.

Depuis son instauration en 1994, l’Autorité palestinienne assume la responsabilité des affaires intérieures civiles dans la plupart des régions des territoires occupés ainsi que des questions de sécurité intérieure, mais dans certaines régions seulement. Les tribunaux militaires israéliens qui continuent de fonctionner sont compétents pour l’ensemble de la population palestinienne de Cisjordanie et de la bande de Gaza pour les questions liées à la sécurité. L’Autorité palestinienne a hérité des lois ottomanes, britanniques, jordaniennes et égyptiennes qui forment un système mixte n’ayant pas la confiance de la population et, de ce fait, s’est trouvée confrontée au défi de réformer le système et les institutions juridiques.

Les Palestiniens n’ont pas obtenu l’indépendance après l’instauration de l’Autorité palestinienne et leurs vies restent largement contrôlées par Israël. Toutefois, après les élections de 1996 les Palestiniens ont eu, pour la première fois, la possibilité d’amender les lois et les systèmes juridiques qui régissent certains aspects de leur vie. L’Autorité palestinienne, le nouveau Parlement palestinien et des organisations de la société civile ont pris un certain nombre d’initiatives en vue de tels changements.

Toutefois, ni l’Autorité palestinienne ni le Parlement n’ont eu pour priorité d’améliorer les droits des femmes et de faire face à la discrimination fondée sur le genre au sein de la famille.

« Vingt-neuf lois ont été approuvées par le Conseil législatif palestinien. Aucune loi concernant la famille palestinienne et les besoins des femmes n’a été débattue, hormis le Code du travail, approuvé en mai 2000, et dont un chapitre est consacré au travail des femmes, ainsi qu’une disposition concernant le congé de maternité dans la loi sur la fonction publique. »

Fonds de développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM)


Les Palestiniennes ont été en grande partie exclues des négociations de paix qui, au début des années 90, ont débouché sur les accords d’Oslo ainsi que du processus de mise en place des institutions qui a suivi. Les femmes n’ont pas davantage été associées aux tentatives faites par la suite en vue de redémarrer les négociations dans le cadre de la « feuille de route » en 2003, ainsi que plus récemment après la mort du président Arafat.

Il est clairement établi par le droit international humanitaire qu’Israël, en tant que puissance occupante, est légalement responsable de l’application dans les territoires occupés des traités relatifs aux droits humains auxquels il est partie. La prévention de la violence domestique et l’obligation de respecter et de protéger le droit des femmes de vivre sans être victimes de violences liées au genre font partie des multiples dispositions des traités qui condamnent la discrimination fondée sur le genre. Toutefois, pour combattre les violences contre les femmes, et particulièrement les violences au sein de la famille, il faut que celles-ci aient une confiance absolue dans les autorités auxquelles elles demandent de l’aide. Après trente-sept ans d’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, il est clairement établi que les femmes et les jeunes filles palestiniennes n’ont pas cette confiance dans les autorités israéliennes.

L’Autorité palestinienne qui ne peut signer ni ratifier aucun traité international relatif aux droits humains car elle n’est pas un État indépendant et souverain, s’est engagée unilatéralement à respecter le droit international. L’article 10 de la Loi fondamentale modifiée dispose : « Les droits humains et les libertés fondamentales seront respectés » (alinéa 1) et « l’Autorité palestinienne s’efforcera sans délai d’adhérer aux déclarations et pactes régionaux et internationaux de défense des droits humains » (alinéa 2). L’article 9 prévoit : « Tous les Palestiniens sont égaux devant la loi et la justice, sans discrimination fondée sur la race, le sexe, la couleur, la religion, les opinions politiques ou le handicap(48). »

Dans la situation actuelle, et en dépit des difficultés auxquelles ils sont confrontés, l’Autorité palestinienne et ses institutions ainsi que le Conseil législatif palestinien sont les mieux placés pour prendre les mesures nécessaires en vue de garantir le respect et la promotion des droits des Palestiniennes. Ces progrès ne pourront être accomplis que si l’Autorité palestinienne fait la preuve de son engagement en faveur des droits humains et de l’état de droit – ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici. Ils supposent, en outre, un changement radical de la politique israélienne dans les territoires occupés, en vue de garantir le respect des droits de la population palestinienne ainsi que l’aide et la vigilance de la communauté internationale, à la fois pour veiller à ce que l’Autorité palestinienne dispose des moyens suffisants pour mener à bien les réformes requises et faire en sorte que l’Autorité palestinienne et Israël remplissent leurs engagements et respectent leurs obligations.

La discrimination et l’absence de protection dans la pratique

Les lois existantes ne protègent pas suffisamment les femmes victimes de violences ou de mauvais traitements au sein de leur famille ; qui plus est, certaines sont discriminatoires et favorisent les atteintes aux droits des femmes. En appliquant ces lois, l’Autorité palestinienne cautionne les violences liées au genre et garantit l’impunité pour les violences exercées au sein de la famille. Citons, entre autres :

· l’article 340 du Code pénal jordanien (loi n° 16 de 1960 en vigueur en Cisjordanie) qui traite des crimes liés à « l’honneur de la famille » : il prévoit l’exemption des poursuites ou une peine réduite pour un homme qui tue ou blesse son épouse ou une proche parente accusée d’avoir souillé « l’honneur » de la famille ;


· l’article 308 du Code pénal jordanien qui prévoit l’abandon des poursuites si le violeur épouse sa victime ;


· les articles 285 et 296 du même code, qui prévoient que les plaintes pour violences ou mauvais traitements émanant des jeunes filles ne peuvent être déposées que par un parent de sexe masculin.


Les organisations internationales de défense des droits humains s’accordent pour dire que les États ne doivent pas invoquer les lois qui perpétuent l’impunité pour les actes de violence contre les femmes en se fondant sur des considérations liées à l’« honneur », à la coutume, à la tradition ou à la religion afin de se soustraire à leur obligation d’éliminer la violence contre les femmes. Elles ajoutent que ces considérations ne doivent pas non plus justifier des violations du droit des femmes à l’égalité devant la loi et à la jouissance égale des droits fondamentaux(49).

Les institutions judiciaires de l’Autorité palestinienne et celles chargées de l’application des lois sont le plus souvent incapables de faire respecter les lois existantes. Les carences existent tant au niveau des responsables que des institutions ; ces dernières n’existent que depuis dix ans et au cours des cinq dernières années elles ont fonctionné de moins en moins bien du fait des opérations israéliennes, mais aussi de l’absence d’engagement de l’Autorité palestinienne en faveur de la protection et de la promotion des droits des femmes ainsi que du manque de moyens, d’infrastructures et de compétences.

Depuis septembre 2000, l’armée israélienne a détruit – entre autres – la plupart des installations de l’Autorité palestinienne liées à la sécurité et elle a empêché ses forces de sécurité d’agir dans une grande partie des territoires occupés. Lorsque les postes de police, le siège des forces de sécurité et les prisons ont été détruits ou endommagés par les bombardements israéliens répétés, des détenus se sont évadés de prisons et des dossiers ont été détruits. Les fréquents bouclages et couvre-feux imposés par l’armée israélienne entravent le fonctionnement des institutions ; les juges, les parlementaires et les fonctionnaires sont souvent dans l’impossibilité de rejoindre leur lieu de travail. Les forces de sécurité palestiniennes et les autres institutions sont dans l’impossibilité de remplir leur fonction, ce qui leur fournit un prétexte plausible pour ne rien faire, même dans les cas où elles auraient pu agir. Par ailleurs, la participation de membres des forces de sécurité palestiniennes à des attaques contre des civils israéliens et à des affrontements avec les forces israéliennes a fourni un prétexte à Israël pour détruire les infrastructures sécuritaires de l’Autorité palestinienne.

Dans la société palestinienne, les questions liées à la famille et à « l’honneur » sont considérées comme relevant de la sphère privée et elles sont traditionnellement réglées par des mécanismes de médiation tribaux et familiaux plutôt que par des plaintes et des procédures judiciaires. La mesure dans laquelle ces mécanismes peuvent régler les problèmes dépend du niveau de sympathie ou de soutien dont bénéficie la victime. Toutefois, l’objectif étant d’éviter l’éclatement des familles, le scandale et les commérages, les femmes sont généralement encouragées, voire contraintes, à rester auprès d’un mari violent ou à ne pas dénoncer les auteurs de violences – qui n’ont donc pas à rendre compte de leurs actes. La violence et la discrimination dont les femmes sont victimes au sein de leur famille sont aggravées par la discrimination et le risque de nouvelles violences, et notamment celui d’être tuées par leurs proches.

Les informations disponibles indiquent que dans la très grande majorité des cas, les violences – y compris le harcèlement sexuel, les mauvais traitements ou le viol – sont exercées au sein de la famille. Toutefois, il est très mal vu dans la société palestinienne de déposer une plainte ou d’engager une procédure judiciaire contre un mari ou des proches et toute dénonciation de tels cas en dehors du cercle familial est finalement plus préjudiciable à la victime qu’à toute autre personne. Les victimes de violences domestiques se plaignent rarement à la police ; elles ne font cette démarche que si elles ont l’intention de demander le divorce ou si les violences sont très graves ou mettent leur vie en danger. L’analyse des lois discriminatoires concernant la famille n’entre pas dans le champ du présent rapport, mais il est probable que des femmes dénoncent les violences qu’elles ont subies en vue d’établir des motifs de divorce plutôt que dans l’espoir d’avoir sérieusement accès à la justice.

Même dans les cas les plus graves qui parviennent à la connaissance de la police et débouchent sur l’arrestation de conjoints violents, les poursuites sont très rares et la plupart des auteurs de violences ne sont pas inquiétés. Dans certains cas, les policiers qui reçoivent les plaintes des victimes les encouragent à ne pas entamer une procédure et à résoudre le problème au sein de la famille, ce qui équivaut à les renvoyer vers une situation où elles risquent d’être victimes de nouvelles violences.

« […] le traitement de ces problèmes, même par la police et les tribunaux, est fait de manière à étouffer le scandale qui toucherait toute la famille. Ils agissent en pensant protéger la famille et les victimes de la dispersion et de la perte […] La manière dont ils interviennent engendre une nouvelle crise pour la victime et la famille ; cette crise peut entraîner le meurtre de la première pour préserver l’honneur de la famille. Les policiers essaient de jouer le rôle d’arbitre tribal dans ces affaires et pensent que la seule solution pour étouffer le scandale est l’abandon de la plainte avant qu’elle n’arrive devant les tribunau. »

 

En même temps, étant donné l’attitude générale de la société envers les victimes de viol ou d’agressions sexuelles, la victime n’est pas toujours prête à engager des poursuites contre le responsable, car l’affaire deviendrait publique et elle en serait blâmée.

Nadera Shalhoub-Kevorkian, criminologue et militante des droits des femmes, a mené des recherches approfondies sur la violence contre les femmes et plus particulièrement les crimes « d’honneur » qu’elle a appelés des « fémicides » pour mettre en relief la nature sexospécifique des violences. Elle a fait observer : « Indéniablement, les questions de morale et d’éthique pèsent lourd dans les affaires de fémicide. Le fait que le violeur ne reçoive pas le châtiment légal mérité peut donner l’impression qu’on peut commettre un viol et s’en tirer en suivant une thérapie. Par ailleurs, porter l’affaire en justice peut entraîner le "meurtre social" de la victime et de sa famille. »

Selon Khayat Falak, directrice de l’Association pour la défense de la famille et du foyer pour femmes de Naplouse : « Nous devons agir sur plusieurs fronts quand nous tentons d’aider les femmes et les enfants victimes de violences au sein de la famille. Nous devons nous efforcer d’apporter un changement dans l’attitude de la société, afin que les victimes de violences ne soient pas rejetées et blâmées. En même temps, nous devons trouver le meilleur moyen de protéger les victimes en œuvrant avec les familles pour supprimer la menace et développer un soutien à la victime au sein de la famille. Lorsque cela n’est pas possible, nous devons protéger la victime en dehors de la famille. Une bonne coopération entre les organisations de la société civile et les institutions étatiques donne les meilleures chances de succès(52). »

Dans la très grande majorité des cas, les violences sexuelles et les viols sont le fait de proches. Mais, pour les femmes, le fait de dénoncer à la police des violences domestiques peut avoir des conséquences importantes et si les victimes ont l’impression que la police n’est pas prête à agir au mieux de leurs intérêts ou est incapable de les protéger, elles renoncent à s’adresser à la justice. Avant le déclenchement de l’Intifada, le niveau de confiance dans les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne pour traiter ce genre d’affaires était bas. Il a été amoindri depuis 2000 par les actions destructrices d’Israël ainsi que par l’augmentation de l’anarchie, des luttes de factions et de la corruption présumée des institutions palestiniennes.

Un militant des droits humains en Cisjordanie a déclaré : « L’armée israélienne a détruit les postes de police et les prisons et elle a tué beaucoup de policiers ; ils n’ont plus aucun pouvoir, ne peuvent aller nulle part et ne peuvent rien faire. Allez au centre de Ramallah, de Naplouse, de Jénine, ou n’importe où ailleurs, et vous verrez comment les membres des forces de sécurité palestiniennes prennent la fuite dès qu’ils entendent un avion F-16 israélien ou qu’ils voient des jeeps de l’armée israélienne, parce qu’ils ont peur que les Israéliens larguent des bombes ou tirent sur eux. C’est comme cela tout le temps. Vous pensez que la police palestinienne peut les arrêter ? Elle se cache, qu’est-ce qu’elle peut faire d’autre ? C’est la même chose pour les Brigades des martyrs d’Al Aqsa, le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) ou les autres groupes qui circulent armés jusqu’aux dents. Comment les policiers palestiniens qui ne sont même pas autorisés à porter des armes pourraient-ils les arrêter ? À mains nues ? La réalité c’est que la police ne peut même pas se protéger, et encore moins protéger les autres. »

Aucune statistique d’ensemble n’est disponible, mais toutes les informations disponibles indiquent que le nombre de plaintes pour violences contre les femmes enregistrées par la police est extrêmement bas. Selon les chiffres fournis à Amnesty International par la police de Ramallah, cinq plaintes ont été enregistrées dans cette ville entre 2000 et la mi-2004 dans la catégorie « violences domestiques ». Les plaintes enregistrées dans d’autres catégories sont aussi peu nombreuses.

Un responsable du service des enquêtes de la police palestinienne dans une ville de Cisjordanie a déclaré aux délégués de l’organisation : « Comment pouvons-nous arrêter et emprisonner des individus alors que nos policiers ne sont pas autorisés à être armés ou à circuler librement, et que nos postes de police et nos prisons ont été bombardés et détruits ? Nous n’avons plus de prisons. L’armée israélienne entre dans la ville tous les jours, elle tue et enlève des gens, et détruit des maisons. Et nous, les policiers, nous ne pouvons pas l’en empêcher. Mes hommes ne peuvent le plus souvent même pas se rendre dans les villages, ils ne sont pas autorisés à franchir les postes de contrôle de l’armée israélienne. Comment pourrions-nous aider les gens ? La population voit que nos forces de sécurité ne sont pas autorisées à agir et elle pense que cela ne sert à rien de déposer des plaintes. Quand nous avons connaissance d’un cas, nous essayons de résoudre le problème par la médiation. Le plus souvent, les femmes ne veulent pas porter plainte, elles souhaitent seulement que nous parlions à leur mari pour lui dire de ne pas les maltraiter. Des affaires nous sont signalées par les hôpitaux quand les blessures d’une victime indiquent qu’elle n’est pas tombée comme elle le prétend mais a été battue. Dans ces cas-là, nous prenons contact avec la victime, mais même si je sais qu’un mari maltraite sa femme, je ne peux pas obliger celle-ci à engager des poursuites si elle ne le veut pas. Dans la plupart des cas, les femmes ne veulent pas déposer une plainte formelle ; elles ne le font que dans les cas très graves lorsqu’elles veulent demander le divorce. En cas d’allégations de viol, d’agression sexuelle, de coups ou d’autres situations mettant la femme en danger, nous lui proposons toujours une protection, mais encore faut-il qu’elle l’accepte. Dans la plupart des cas, la meilleure solution à la longue est la médiation ou les efforts pour résoudre le problème au sein de la famille, parce que les jeunes filles ne veulent pas être rejetées par leur famille et par la société et qu’elles n’ont nulle part où aller. On finit par faire du travail social, on fait entendre raison aux familles. Nous collaborons avec le ministère des Affaires sociales et les organisations qui s’occupent de ces cas. »

Avant l’Intifada, quand les forces de sécurité palestiniennes étaient plus libres d’agir et de circuler, les arrestations d’hommes accusés d’actes de violence contre leur femme ou leurs parentes étaient déjà rares, comme les poursuites débouchant sur des condamnations. Toutefois, les ONG féminines palestiniennes, les travailleurs sociaux et les avocats avaient réussi à entrer en contact avec un réseau de policiers et d’autres fonctionnaires de l’Autorité palestinienne sur lesquels ils pouvaient compter pour s’occuper du cas des femmes en danger. Les forces de sécurité et les institutions palestiniennes comptent encore beaucoup de membres qui sont prêts à aider les femmes en danger, mais la dégradation de la situation et les restrictions qui en résultent du point de vue de leur activité rendent cette tâche plus difficile, voire impossible. Le cas exposé suivant illustre ces difficultés.

Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2004, Maha (le nom a été modifié), vingt et un ans, a été contrainte d’avaler du poison par son père qui avait appris qu’elle était enceinte. Après avoir découvert la relation de Maha avec un jeune homme, le père avait organisé en toute hâte le mariage qui devait avoir lieu trois jours plus tard, le 1er octobre. Toutefois, quand il a appris que sa fille était enceinte, il l’a obligée à prendre du poison. Maha a téléphoné au Comité technique des affaires féminines, une ONG de Gaza, pour demander de l’aide, mais il n’était pas possible de rejoindre Beit Hanoun où habitait la jeune fille, car l’armée israélienne venait de lancer une opération militaire d’envergure et la zone était complètement bouclée(54). Nadia Abu Nahleh, directrice du Comité technique des affaires féminines, a déclaré à Amnesty International : « Quand Maha nous a appelées, l’armée israélienne venait d’envahir Beit Hanoun et personne ne pouvait rejoindre cette zone qui n’est pourtant distante que de dix kilomètres, parce que l’armée avait fermé la route et mis le secteur en état de siège. Nous avons fini par obtenir l’aide d’habitants de Beit Hanoun pour emmener Maha dans un hôpital local. On nous a bien aidées malgré la situation difficile due à l’incursion de l’armée israélienne. La responsable de la section féminine de la police palestinienne a envoyé deux policières à l’hôpital pour protéger Maha et éviter que son père ne vienne la tuer. L’hôpital lui a trouvé une chambre pour que les policières puissent la protéger correctement, alors qu’il était submergé par des centaines de blessés à la suite de l’incursion israélienne ; les blessés ne pouvaient pas aller dans les autres hôpitaux de Gaza car le secteur était en état de siège. Mais c’était trop tard pour Maha et elle est morte le 1er octobre, le jour où elle aurait dû se marier. Elle aurait pu être sauvée si on avait pu l’emmener à l’hôpital au moment où elle a pris contact avec nous. »

La seule solution valable pour les femmes et les jeunes filles qui risquent d’être tuées par leur famille est de quitter leur domicile et leur entourage immédiat, même pour une courte période. Une employée d’une ONG a déclaré : « Dans certains cas, pour sauver sa vie, une jeune fille doit pouvoir quitter sa ville ou son village et partir ailleurs très vite pour se faire avorter avant que sa famille ne découvre ce qui lui est arrivé, ou pour cacher sa grossesse et accoucher ou encore pour faire réparer son hymen. Si la famille sait ou soupçonne quelque chose et qu’elle se prépare à faire examiner la jeune fille par un médecin ou à la tuer, le facteur temps est encore plus critique : un retard de quelques heures peut signifier la mort. Ces dernières années, il est devenu très difficile, voire dans certains cas impossible, d’avoir accès aux victimes et de les faire sortir de la zone dangereuse. Les bouclages, les couvre-feux et les postes de contrôle ont causé la mort de femmes qui auraient pu être facilement sauvées. »