Codification de l’honneur par la sexualité féminine

Les crimes d’honneur en Palestine


Cet article, publié en 1998, n'est pas très récent, mais permet une étude sur les crimes d'honneur en Palestine, ainsi qu'un aperçu des luttes féministes. Mais, sept ans après, on ne peut que constater que le ton comme la conclusion de ce texte pèchent par un excès d'optimisme.

La famille constitue la cellule fondamentale de la société palestinienne. Le statut de la famille dépend largement de son honneur, qui est lui-même déterminé essentiellement par la respectabilité de ses filles, qui peuvent le remettre irréparablement en cause par leur sexualité.

Chaque année, des centaines de femmes et de filles sont assassinées au Moyen-Orient par des membres masculins de leurs familles. Le crime d’honneur, l’exécution d’une femme de la famille à cause de sa sexualité, est une épineuse question sociale et politique. Les militants palestiniens qui font campagne pour l’égalité pensent qu’il sera difficile d’y mettre complètement fin. La légitimité de tels meurtres se base sur un code de l’honneur complexe intégrée dans la conscience de quelques secteurs de la société palestinienne.

Etant donné que les crimes d’honneur relèvent le plus souvent d’une affaire familiale privée, aucune statistique officielle n’est disponible sur cette pratique ou sa fréquence. Selon un rapport de novembre 1997 édité par le Woman’s Empowerement Project à Al-Hayat A-Jadida, il y a eu 20 meurtres d’honneur à Gaza et en Cisjordanie en 1996. Une représentante du groupe a ajouté : « Nous savons qu’il y en a plus, mais personne ne le fait savoir ». De même, un rapport réalisé par la Palestinian Women’s Working Society affirme que « récemment », 40 femmes ont été assassinées pour l’honneur à Gaza. Ce rapport ne mentionne ni la période pendant laquelle ses meurtres ont été commis ni leur circonstance. Pendant l’été 1997, Khaled Al-Qudra, procureur général de l’Autorité Nationale Palestinienne, a affirmé à Sout Al-Nissa (Womens’s Voice) qu’un supplément publié par le Comité Technique aux Affaires Féminines suspectait que 70% de tous les meurtres commis à Gaza et en Cisjordanie étaient des crimes d’honneur.

Bien qu’un nombre croissant de Palestiniens trouvent que les crimes d’honneur sont inacceptables, la pratique continue. « Personne n’en connaît l’ampleur parce que personne n’a fait d’étude à ce sujet », affirme Lisa Taraki, professeur associée de sociologie à l’université de Birzeit. Les organisations de femmes ont mobilisé contre les crimes d’honneur, mais sont furieuses que la pratique continue malgré son interdiction légale. Ces assassinats violent le droit à la vie qui est affirmé dans la constitution et sont une discrimination claire contre les femmes. Seule la femme est punie pour le « crime », alors que l’homme, qui a peut-être violé sa victime, est considéré comme innocent et continue de marcher librement.

Les crimes d’honneur sont apparus dans l’ère pré-islamique, selon Sharif Kanaana, professeur d’anthropologie à l’université de Birzeit. Il pense qu’il s’agit « d’une question compliquée qui se plonge au plus profond de l’histoire de la société arabe ». Il argumente que les meurtres d’honneur sont nés de l’intérêt des sociétés patriarcales et patrilinéaires afin de maintenir un stricte contrôle des structures du pouvoir familial. « Ce que l’homme de la famille, du clan ou de la tribut cherche comme contrôle dans une société patrilinéaire, c’est son pouvoir de reproduction. La femme pour la tribut était considérée comme une usine aux mains de l’homme. Ce qui est derrière cette question, c’est la fertilité, ou le pouvoir de reproduction ».

D’après la loi islamique, la punition pour des relations hors mariage est de 100 coups de bâton si la femme est célibataire, et, si elle est mariée la mort par lapidation. Dans ces deux cas, cependant, il faut qu’il y ait quatre témoins attestant qu’il y a eut des relations sexuelles, conditions qui rendent la punition plus difficile.

Les exemples cités par les organisations de femmes prouvent que des femmes ont été punies, et même assassinées, pour être soupçonnées d’avoir eut des relations sexuelles. Des victimes de viol ont subi le même sort. Le maintien de l’honneur est de la responsabilité de la femme, qu’elle ait été éduquée en matière de sexualité ou non, qu’elle ait été consentante ou non. Cela illustre que l’enchaînement idéologique de la punition par le crime d’honneur dépasse les raisons religieuses ou reproductives. Finalement, dit Kanaana, ce code « empêche les femmes d’avoir une liberté sexuelle et le droit de disposer de leur pouvoir sexuel comme elles le veulent ».

Meurtre pour l’honneur de la famille

La famille constitue la cellule fondamentale de la société palestinienne. Le statut de la famille dépend largement de son honneur, qui est lui-même déterminé essentiellement par la respectabilité de ses filles, qui peuvent le remettre irréparablement en cause par leur sexualité. « L’honneur de la famille est très dépendant de la virginité de la femme » dit Shadia Sarraj du Women’s Empoverment Project au projet pour la santé mentale de la communauté de Gaza. La virginité de la femme est la propriété des hommes qui l’entourent, d’abord de son père, puis un cadeau pour son mari, une dote virtuelle qu’elle donne en contractant le mariage. Dans ce contexte, le sexe (l’honneur) d’une femme est un produit qui doit être gardée par la famille et la communauté. La femme est gardée à l’extérieur par son comportement et son habillement, et à l’intérieur en gardant son hymen intact. Des relations sexuelles existent entre jeunes palestiniens, en particulier dans les communautés étudiantes où les femmes vivent loin de l’œil de la famille. Cependant, pour la plupart des femmes, il est considéré comme honteux d’être vu avec un homme qui ne fait pas parti de la famille.

Des siècles de domination par des autorités étrangères ont renforcé la famille comme lieu du pouvoir dans la société palestinienne. Encore aujourd’hui, la famille est directement responsable de la défense de son honneur. Dans de nombreuses communauté cela signifie que les meurtres au nom de l’honneur sont une affaire familiale, qui ne regarde pas la communauté. En conséquence, le meurtrier est peu susceptible d’être puni par la justice.

Bien qu’elles connaissent de nombreux cas, Manal Kleibo Zarf, une femme procureur de la WCLAC (Women’s Center for Legal Aid and Counseilling) ne s’est jamais vu proposer de poursuivre un meurtrier d’honneur. Elle pense que c’est parce que la loi jordanienne s’applique toujours en Cisjordanie, loi dont l’article 341 stipule qu’il faut considérer comme de la légitime défense si le meurtrier a tué « pour défendre sa vie, ou son honneur, ou la vie ou l’honneur d’un autre ».

Dans une publication à venir sur la loi et le statut des femmes par le Programme d’Etudes sur les Femmes de l’université de Birzeit, Penny Jonhson écrit que, pour ce qui est du statut personnel, les législations jordanienne et égyptienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sont « basées sur une théorie législative très développée qui définit clairement comme patriarcal, patrilocal et patrilinéaire le modèle familial et les relations entre les sexes. ». Ce cadre législatif concorde très bien avec l’idéologie dominante et les circonstances économiques et sociales de la bande de Gaza et de Cisjordanie. La mère célibataire est non seulement bannie de sa communauté, mais elle n’a aucune place dans le système législatif patriarcal. Victime d’ostracisme et sans mari ou accès au système d’aide sociale, la femme célibataire n’a aucun soutien économique. Le crime d’honneur, comme un mécanisme hérité, décourage et élimine toute déviation du code d’honneur afin de perpétuer les bases du pouvoir patriarcal familial.

La « bataille »

Bien que les crimes d’honneur constituent une violation des droits de l’homme, leur présence dans la tradition, en font une question complexe pour l’Autorité Nationale Palestinienne, le Conseil Législatif Palestinien et le système judiciaire palestinien naissant. Les organisations de femmes ont cherché à affronter efficacement et immédiatement les nouvelles structures du pouvoir.

Le manque de statistiques fiables rend difficile pour les militants de mener des campagnes contre les crimes d’honneur. Hanan Abdullah, de la Palestinian Women’s Working Society, explique « Nous n’avons pas de statistiques, il n’y a rien d’officiel. C’est très dur de mener des activités de lobbying sans informations fiables. Les seules personnes qui connaissent le nombre actuel est la police. Ce que nous essayons de faire est de faire pression sur la police et les fonctionnaires pour qu’ils publient des statistiques. Après, nous pourrons nous en prendre au cœur du problème ».

La WCLAC prépare une étude intitulée « Victimisation légale de la femme dans le monde arabe, une étude palestinienne de la question ». Le centre espère recenser les cas de meurtres d’honneur pour établir des statistiques fiables. L’information proviendra des cas sur lesquels on a attiré l’attention du Centre et une lecture « suspicieuse » des articles de presse. La WCLAC espère que cela lui donnera de la documentation pour les campagnes à venir.

Les employées du Women’s Empowerment Project reçoit régulièrement des coups de téléphone suite à leurs efforts pour aider les femmes victimes. Elles sont accusées de rébellion contre les traditions et de corrompre la société. Nadira Shalhoub-Kervorian, fondatrice de la hot-line palestinienne pour les femmes, tient à ce que les locaux de l’ONG travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre restent confidentiels. « Lorsque nous avons commencé, nous avions des problèmes avec des individus opposés à cette idée. J’ai été battue à deux reprises » dit-elle.

En conséquence de la sensibilité du problème et des difficultés posées par le manque d’information complète, le combat contre les crimes d’honneur a pris deux formes. Tout d’abord les organisation de femmes apportent des services pratiques pour protéger et assister les femmes dans le besoin. Dans le même temps, plusieurs groupes mènent campagne directement pour rendre la société et les autorités plus sensibles aux questions de genre.


Aide d’urgence

Les ONG de femmes proposent une aide d’urgence aux femmes en danger pour avoir violé le « code de l’honneur ». Des services offert par la hot-line Al-Amam et d’autres organisations, dont des conseils et des aides pour des opérations de réparation de l’hymen. Samia, qui a appris l’existence de la hot-line dans une annonce parue dans la presse, dit que cette hot-line est « toujours prête à aider les filles ». Lorsqu’une étudiante tombe enceinte, Samia et ses amis demandent toujours des conseils à la hot-line.

Les organisations de femmes ont aussi établi de bonnes relations avec la police palestinienne. Pour Souad Abu Dayyeh, la reconnaissance de la WCLAC et d’autres centres par la police et les gouverneurs est l’étape récente la plus positive dans le combat contre la victimisation des femmes. Elle dit que la police a « entendu parler des services que donnent notre centre. Ils ont senti que nous avions de l’expérience et qu’ils sont ignorants. Lorsqu’ils sentent qu’ils ne peuvent rien faire, ils nous contactent ».

Lorsque Hania, une femme de 30 ans à Gaza, est tombée enceinte en 1996, elle était condamnée à mort. Elle s’est rendue à la police, qui lui a offert un hébergement et a invité le Women’s Empowerment Project a venir lui proposer des services sur sa grossesse, ce qui a été fait dans une cellule de prison. Le Projet a ensuite invité Hania a prendre contact avec d’autres ONG de femmes, qui lui ont trouvé un foyer pour elle et son bébé. Le Women’s Empowerment Project à Gaza comme la WCLAC en Cisjordanie se coordonnent avec les forces de police, proposant des ateliers pour apprendre aux officiers comment s’occuper de femmes victimes.

Selon Intisar Al-Wazir, ministre des affaires sociale et membre du parlement, le ministère prépare l’établissement d’un centre d’habitation pour les femmes. Les ONG ont aussi appelé à la possibilité pour les femmes, enceintes suite à un viol, d’avorter. Plusieurs organisations de femmes ont envoyé une lettre aux ministres palestiniens de la santé, de la justice et des affaires sociales demandant que l’Etat les rencontre pour discuter de possibilités d’avortements financés par l’Etat dans de telles circonstances. Bien que la lettre ait été envoyée en janvier 1997, aucune réponse n’a encore été donnée.

Droits égaux

Les efforts des ONG pour apporter une assistance concrète et d’urgence aux femmes en danger ne sont qu’une part d’une lutte plus large pour assurer l’égalité des droits aux femmes, pour mettre en place une législation non-discriminatoire et pour augmenter la conscience de la société sur la question des femmes.

En 1995, le projet intitulé « Le modèle palestinien de parlement, femmes et législation » a été lancé après de nombreux efforts. Al-Wazir commente ces efforts qui ont été très durs « à cause du manque d’unité ». Ce projet, initié par la WCAC, mobilise quinze organisations de femmes qui poussent des hommes et des femmes de Cisjordanie et de Gaza à se pencher sur la littérature légale et judiciaire. (…)

Ce projet se focalise principalement sur les règles discriminatoires dans la loi, comme la loi sur le statut personnel. En tant que procureur, Manal Kleibo Zarf a noté : « si une femme est violée, elle ne peut pas saisir la justice par sa propre volonté. Sa plainte est seulement valide si elle est accompagnée par son père ou son frère ». (…)

Comme le dit Susheir Azzouny de la WATC sur la question de la fin des crimes d’honneur, « rien ne peut être fait par la législation, cela doit passer par la conscience de la collectivité ». Le sens du code de l’honneur en général et ce qui est considéré comme une violation a évolué ces dernières années selon Lisa Taraki. « Beaucoup d’infractions au code de l’honneur se résolvent d’une autre manière, comme la fuite ou le mariage ».

Conséquence des efforts des ONG, on commence à parler des crimes d’honneur dans les médias et cela devient un sujet de débat dans les forums publics. L’été dernier, la presse palestinienne a rapporté qu’une fillette de quatre ans qui avait été violée par un homme de vingt-cinq ans, avait été laissée pour morte par sa famille qui disait qu’elle avait « déshonoré » sa famille. L’enfant a survécu, mais son « honneur » est touché à vie.

La WATC a également ouvert la discussion sur les crimes d’honneur dans les journaux, à la radio et dans son bulletin. Le groupe a largement parlé du récent meurtre d’honneur d’une femme de la région de Ramallah, parlant d’elle comme d’une « martyr » de sa société, et cherchant à favoriser une redéfinition du statut de la femme « déshonorante ». Le mouvement des femmes a incorporé la question des crimes d’honneur dans une campagne plus vaste pour réduire les violences contre les femmes. Au mois de décembre dernier, une coalition d’organisations menées par la WATC a réussi à faire condamner par un fonctionnaire du parlement palestinien la violence domestique.

Les palestiniens reconnaissent de plus en plus que les abus sexuels, y compris le viol et l’inceste, existent dans a société palestinienne. (…) Dans un contexte sociologique plus age, un certain nombre de tendances ont redéfini le code de l’honneur, indépendamment des efforts exercés par des individus, le mouvement des femmes ou des fonctionnaires du parlement. Dans « Société palestinienne », publiée par le Programme d’Etudes des Femmes de l’Université de Birzeit, Lisa Taraki suggère que la nature patriarcale de la société palestinienne pourrait sombrer suite aux changement socio-économiques comme l’augmentation du nombre de femmes employées, de l’âge du mariage,  du niveau d’étude des femmes et de l’effondrement de la famille élargie. Ces changements, pense Sharif Kanana, est le moyen le plus efficace pour faire baisser le nombre de crimes d’honneur. « Ce dont nous avons besoin est d’abord d’un système qui change les relations entre les gens, principalement au sein des familles ».


Suzanne Ruggi (journaliste au Jerusalem Times), Printemps 1998