Venant du fond des âges,
une coutume reste profondément ancrée dans les
mentalités de certaines sociétés traditionnelles.
Une pratique pour le
moins horrifiante. Il s’agit de la sanction qu’infligent des
communautés de type patriarcal aux filles et aux femmes ayant,
selon
leurs normes, « un comportement immoral » : le crime
d’honneur.
À
chaque fois qu’un homme tue une parente – sœur, cousine, épouse,
tante
ou même mère – soupçonnée d’avoir eu une
relation sexuelle hors
mariage, et peu importe qu’elle ait été victime de viol
ou d’inceste,
on parle de « crime d’honneur », car il s’agit ainsi, selon
une
tradition moyenâgeuse, de préserver l’honneur de la
famille. Des études
montrent par ailleurs que les femmes – notamment les mères et
belles-mères – peuvent également jouer un rôle
d’instigatrices.
Ces
crimes sont commis dans tous les milieux sociaux et ne concernent pas
seulement les régions tribales ou rurales. Chaque année,
elles sont au
moins 5 000 à mourir, poignardées,
égorgées, ou brûlées vives pour,
selon la justification habituelle, laver l’honneur de leur famille.
Néanmoins, ces chiffres ne donnent qu’une idée
approximative de la
réalité, car nombre de meurtres sont maquillés en
suicide ou en mort
accidentelle. L’étendue du phénomène est donc
difficile à mesurer.
Les
« crimes d’honneur » existent sous différentes
formes dans de nombreux
pays du bassin méditerranéen comme au Liban, en
Égypte, en Turquie ou
en Jordanie. Des centaines de crimes sont également
rapportés chaque
année au Pakistan et au Yémen. On décèle
enfin quelques cas en Amérique
latine, comme au Brésil et en Argentine, ainsi qu’en Europe, au
sein
des communautés immigrées, notamment au Royaume-Uni, en
Allemagne et en
Suède.
Ces crimes sont essentiellement
commis dans les pays à
majorité musulmane. Toutefois, cette pratique
préislamique n’a pas de
fondement religieux, le Coran ne permettant à personne de tuer
de
manière arbitraire. En effet, la loi islamique interdit aux
fidèles de
se faire justice eux-mêmes.
Il faut néanmoins noter
que ces pays
sont extrêmement indulgents envers les assassins. Ces derniers
bénéficient au niveau juridique d’un traitement de faveur
puisque le
meurtrier n’a que très peu de risques de se retrouver devant un
tribunal. S’il est quand même condamné, il ne risque pas
une lourde
peine, puisqu’il bénéficie de circonstances
atténuantes. Une justice
taillée sur mesure pour les hommes, dans une
société dominée par les
hommes.
Le problème de
l’impunité se révèle avant tout culturel et
social. Les membres de ces sociétés partagent ainsi
l’opinion qu’un «
crime d’honneur » n’est pas considéré comme un
crime au sens pénal,
mais comme un châtiment approprié pour sauver leur honneur.
Les
autorités de ces pays ont en outre été
dopées dernièrement par
l’absence d’un consensus aux Nations unies pour voter une
résolution
condamnant les crimes d’honneur. En effet, au moins une vingtaine de
pays, dont la Russie et la Chine, se sont abstenus de dénoncer
ces
meurtres. Par contre, les pays occidentaux pratiquent une
tolérance
zéro à l’encontre de ces crimes abominables. La
Grande-Bretagne vient
ainsi de condamner à la prison à vie un père
instigateur du meurtre du
fiancé de sa fille, accusée d’avoir «
déshonoré son nom ».
Cependant,
selon certains experts, des peines plus sévères ne vont
pas suffire à
résoudre le problème, puisque les hommes sont prêts
à passer le reste
de leur vie en prison ou à mourir, pour « laver l’honneur
» de leur
famille. Le fait culturel reste plus puissant que l’application d’une
loi plus dure.
Pour illustrer la force de ce
fait culturel, il
suffit de constater les propos de certaines femmes qui acceptent sans
réticence leur condition présente. Des femmes qui
fustigent également
les revendications des militantes des droits de la femme, dont elles
estiment qu’elles détruisent les valeurs familiales en
introduisant des
valeurs étrangères à leur culture et à leur
société. Selon Joumana
Merhi, responsable du bureau de l’Institut arabe des droits de l’homme
à Beyrouth, « avant de promouvoir les droits politiques de
la femme et
avant d’imposer des quotas sur la représentation des femmes au
Parlement, il faut commencer par attribuer à la femme ses droits
en
commençant par la famille ». Une condition sine qua non
à tout
changement véritable du statut de la femme.
Antoine
Ajoury, "L'Orient le Jour", 27 novembre 2005
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