Tant que les exactions des
colons continuent à Hebron, Israël ne pourra pas être
considéré comme une démocratie ou un Etat de
droit. Un Etat est jugé en fonction de ce qui se passe dans son
arrière-cour, et dans le cas de la "Ville des Patriarches",
cette cour est particulièrement sombre. Ce dont il est question
n'est pas un sujet lié à l'existence ou à la
non-existenced'une colonie en particulier, mais du caractère du
régime en Israël. Cet abcès doit être
retiré immédiatement, sans conditions préalables,
avant que la tumeur ne s'étende.
Ce qui se passe à Hebron
n'est comparable à rien d'autre dans les territoires
occupés. C'est à Hebron que sont perpétrées
les plus graves exactions de l'entreprise de colonisation. Alors que
les colons pleurent leur "déracinement" du Goush Katif et que
les chevaliers à la larme facile prêchent la
réconciliation et l'empathie pour leur souffrance, l'expulsion
de Palestiniens de Hebron se poursuit à un rythme alarmant. Il
ne peut y avoir avec eux aucune réconciliation, eux qui sont les
rejetons de l'entreprise de colonisation, et qui traitent ainsi leurs
voisins. Quiconque en appelle à la compassion pour les colons
évacués de Gaza mais reste silencieux quand il s'agit des
actions des colons de Hebron manifeste une curieuse conception de la
morale.
Pourtant, ce n'est pas le
comportement brutal des colons qui devrait déclencher une
tempête, mais bien celui d'un Etat qui ne fait rien pour les
arrêter et qui leur prête même assistance. On parle
aujourd'hui d'anarchie à Gaza? Mais, à Hebron, l'anarchie
règne sous les yeux (qui regardent ailleurs) d'un Etat qui
possède pourtant des moyens très sophistiqués de
faire respecter la loi. On souligne aujourd'hui la tragédie
qu'il y a à expulser des gens de leurs maisons du Goush Katif ?
Mais les expulsions à Hebron sont incomparablement plus
cruelles. Le nombre d'expulsés est bien plus important, et ils
n'ont plus rien. Personne ne se soucie de leur souffrance à eux.
Il est un peu difficile de croire que la situation à Hebron soit cachée des yeux de la plupart des Israéliens, et qu'elle ne bouleverse pas Israël. Depuis 5 ans, environ 25.000 habitants ont été transférés de leurs maisons, à moins d'une heure de voiture de Jérusalem. Le harcèlement quotidien continue, sous les auspices de Tsahal et de la police, et ignoré des médias. Ce harcèlement a pour but d'expulser les habitants qui y demeurent encore d'une zone qui comptait, jusque récemment, 35.000 Palestiniens et 500 Juifs. Qui n'a pas visité la
ville ces dernières années n'en croirait pas ses
yeux.Dans
le territoire contrôlé par Israël ("H2", ou
territoire israélien,d'après l'accord sur Hebron), on
découvrira une ville fantôme. Des centaines de maisons
abandonnées, comme après une guerre, des dizaines de
magasinsdévastés, brûlés ou détruits,
leurs portes scellées par les colons, et,partout, un silence de
mort. D'après des chiffres officieux, il n'y a plus dans cet
endroit que 10.000 habitants. Les autres ont fui leurs maisons et leurs
biens, incapables de supporter plus longtemps le harcèlement des
colons et de leurs enfants. Voilà le grand désengagement
de ces dernières années. Voilà la véritable
expulsion.
Tous les jours, les colons
tourmentent leurs voisins. Pour un enfant palestinien, aller à
pied à l'école est devenu un voyage dans le
harcèlement et dans la peur. Pour une femme palestinienne, aller
faire ses courses à l'extérieur est devenu un voyage dans
l'humiliation. Les enfants des colons donnent des coups de pied aux
femmes qui portent des paniers, les colons excitent leurs chiens sur
les vieux, on jette des détritus et des excréments dans
les cours des Palestiniens, on bloque l'entrée de leurs maisons
avec de vieux métaux, on jette des pierres aux passants : tout
cela est de la routine. Des centaines de soldats et de policiers
assistent à ces exactions sans rien faire. A l'occasion, ils
échangent des plaisanteries avec les colons, mais se mettent
rarement en travers de leur chemin. Si un habitant tente de porter
plainte à la police, sa plainte sera rejetée sous des
prétextes les plus divers. Même quand il y a une chasse
à l'homme, avec des centaines de colons (comme cela a
été le cas quand, il y a 4 mois, des centaines de colons
ont pénétré dans la maison du Dr Tayser Zahadi
à Tel Roumeida et détruit tout ce qui leur tombait sous
la main), les forces de sécurité sont restées
à l'écart sans intervenir. Cette émeute a
été enregistrée sur une cassette vidéo,
mais personne n'a pensé à la diffuser sur la
télévision israélienne.
Dans le quartier de Tel
Roumeida, où ne demeurent que 10% des habitants palestiniens
d'origine (50 familles sur 500), cette situation prend des proportions
monstrueuses. Les habitants marchent en rasant les murs et chuchotent.
Les enfants rentrent chez eux en courant, on se déplace de
maison en maison par des échelles. Une vie de ghetto, et tout
cela à cause d'une poignée d'émeutiers qui vivent
au-dessus d'eux, en haut du quartier.
Ils ont fini par
réussir. La violence des colons a fait ses preuves, et Hebron se
"judaïse", ou plus exactement, elle se vide de ses habitants. 500
colons violents ont montré qu'ils avaient le pouvoir d'expulser
des dizaines de milliers de leurs voisins, avec l'aide de l'Etat.
Personne, au Conseil représentatif des colons (Yesha) ne s'est
élevé contre ce phénomène, ce qui fait du
Yesha un complice du crime. Yitzhak Rabin a commis une terrible erreur
en n'ayant pas le courage de démanteler la colonie après
le massacre au Caveau des Patriarches [en 1994, par Baroukh Goldstein],
et cette erreur continue à produire ses fruits pourris. Depuis
cette date, chaque jour qui passe alors que cette colonie de sauvages
à Hebron continue à exister est un jour de honte pour
l'Etat d'Israël.
Ha'aretz, 11 septembre 2005, Gideon Levy - Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant (1) (1) Gideon Levy utilise
plusieurs fois le mot "pogrom". Or, si les exactions des colons de
Hebron sont parfaitement odieuses, il me semble que ce mot de "pogrom"
est abusif, car il n'est pas question de massacres. Je me permets donc,
en tant que "traducteur/traître", de le remplacer par d'autres,
comme "exaction". (ndt)
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