Les droits de la femme avancent à pas compter au Pakistan

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Une conférence régionale sur «la violence contre les femmes» s'est achevée jeudi à Islamabad. Une occasion pour le président Musharraf, qui a inauguré la réunion, de tenter d'améliorer l'image de son gouvernement en matière de droits des femmes. L'organisatrice de la conférence, et l'atout «charme» du chef d'Etat pakistanais, est la dynamique Nilofar Bakhtiar, chargée du ministère du Développement des femmes depuis trois ans. Brushing parfait et sourire appuyé, cette ancienne directrice du Lions Club International défend mordicus son bilan alors que les journaux pakistanais continuent de relater quotidiennement de nombreux cas de viols collectifs, de meurtres de femmes, parfois brûlées par leur famille... «Si ces histoires sortent dans les journaux, c'est parce que la presse est désormais beaucoup plus libre, réplique celle que ses employés appellent «Madame». Les médias peuvent rapporter les cas de violences et débattre de ces sujets librement, c'est un grand changement. La société s'ouvre et c'est pour cela qu'aujourd'hui les femmes osent parler quand elles sont victimes et porter plainte.»

Code pénal. L'un des principaux défis pour garantir une vraie justice aux femmes reste la fastidieuse abrogation des ordonnances Hudood, législations mises en place par le général Zia Ul-Haq en 1979. Ces lois religieuses sont très discriminatoires, notamment dans les cas de viol, ou quatre témoins sont requis pour que le crime soit attesté... Mais Nilofar Bakhtiar assure qu'elle fait le maximum, malgré les résistances venues notamment des partis religieux : «Une commission nationale pour le statut des femmes a planché sur le sujet des lois Hudood, sa conclusion a été claire, ces lois doivent être abrogées. Mais le Conseil islamique a répondu qu'il fallait alors proposer une législation alternative. Il se prononcera ensuite sur sa conformité avec le Coran, explique-t-elle. C'est maintenant au ministère de la Justice de proposer ces nouvelles lois. J'essaie de faire avancer ce dossier mais cela risque de prendre du temps.»

Le code pénal a en revanche subi certaines modifications : les cas de femmes brûlées sont maintenant considérés comme des meurtres et l'échange de femmes pour résoudre une dispute entre tribus a été interdit. Le trafic de femmes est désormais plus sévèrement puni. «Nous travaillons à présent sur une législation pour protéger les victimes de violence domestique, déclare la ministre. Violence qui est encore considérée comme relevant de la sphère privée.»

Nilofar Bakhtiar est aussi très fière de ses progrès en matière de législation sur les crimes d'honneur ­ dont sont victimes près d'un millier de femmes chaque année au Pakistan ­ bien que de nombreuses ONG considèrent que le gouvernement n'est pas allé assez loin. «Ecoutez, le code pénal a été modifié l'an dernier. Pour la première fois, ces crimes d'honneur sont reconnus comme des cas de meurtres, et doivent donc être punis comme tels, par la prison à vie voire la peine de mort, se défend Nilofar Bakhtiar. Toutefois, il n'a pas été possible de modifier la possibilité d'un pardon de la famille de la victime envers le meurtrier. C'est inscrit dans le Coran, il était donc très difficile de changer ce passage. J'ai préféré qu'on le laisse à l'écart sinon le projet de loi aurait encore été reporté. En revanche, même si la famille pardonne, le meurtrier encourt désormais un minimum de dix ans de prison.»

Réprobation. Mais le vrai problème reste de faire appliquer la justice, car les femmes victimes se heurtent généralement à l'indifférence, voire carrément à la réprobation, de la police et des juges. «C'est bien pour cela que nous souhaitons augmenter le nombre de policières et de juges femmes, assure la ministre. Un dispositif expérimental est en cours dans une dizaine de commissariats : nous avons mis en place des bureaux d'enregistrement des plaintes réservés aux femmes. Elles y sont reçues par des policières, qui seront plus sensibles à leurs problèmes. Voyons si cela fonctionne ! J'ai aussi créé une dizaine de "centres de crise" dans le pays, ou les femmes victimes de violences peuvent être protégées et ont accès à une aide légale.»

Célia Mercier, "Libération", 10 septembre 2005