Interview de Souad Abu Dayyeh,
publiée par « Palestine Report »
le 4 mai 2005
PR : Les
« crimes d’honneur »
semblent être en augmentation. Est-ce parce qu’il y a plus de cas
ou simplement
parce qu’ils sont plus connus ?
Souad Abu Dayyeh : La vérité c’est que le phénomène des meurtres d’honneur est à la fois nouveaux et ancien, mais, en raison de la prise de conscience provoquée par le travail d’organisations sur ce sujet, il en est plus question qu’avant. Récemment, pourtant, il y a eut une augmentation du nombre de filles que nous connaissons assassinées au nom de « l’honneur de la famille ». C’est à dire un assassinat d’un être humain, qu’il s’agisse d’une femme, d’un homme ou d’un enfant, et nous devons essayé de changer ce mot. Il y a certainement une augmentation cependant. Ces deux derniers jours, deux sœurs ont été assassinées à Jabal Al Mukabber (à l’Est de Jérusalem) alors qu’une troisième des sœurs est à l’hôpital, une fille (Faten Habash) à Ramallah, et une autre à Tulkarem et une encore dans la région de Bethlehem dont nous ne savons rien. Il y a aussi eu des cas à Gaza.
PR : Qu’est-ce qui peut pousser un
père à assassiner sa fille ?
Souad Abu Dayyeh : C’est un sujet qui demande vraiment une étude étendue pour découvrir les motifs. Mais en général, la société fait une pression immense sur la famille. Lorsqu’il y a le plus léger soupçon sur le comportement de la fille (qu’elle ait été agressée ou qu’elle ait eut une relation), le frère, le père ou un oncle la tue sans hésiter. Cette question fait aussi partie de celle de la violence contre les femmes en général. Nous ne sommes pas la seule société qui tue des femmes. Dans les sociétés occidentales, il y a ce qui est appelé crimes passionnels, lorsqu’un concubin ou un mari tue sa femme pour des raisons similaires. Ici nous avons la même chose avec l’honneur de la famille. Il faudrait prendre en considération qu’il y a beaucoup de cas après des agressions sexuelles au sein même de la famille, et pas seulement lorsque la famille suspecte une relation sexuelle avec un homme ou lorsque la femme aurait un comportement « inapproprié ».
PR :
Qu’est-ce qui peut être fait pour
protéger des filles comme Faten dans notre
société ?
Souad Abu Dayyeh : Il y a un certain nombre de stratégies qui devraient être adoptées par l’Autorité Palestinienne en terme de lois. La loi pénale, en effet, doit être amendée dès maintenant par le Conseil Législatif. Il faut considérer que l’assassinat d’une fille est aussi grave que n’importe quel meurtre. Les circonstances atténuantes pour de tels crimes doivent être abrogées, parce qu’elles ne font qu’encourager à tuer. Actuellement, selon la loi, un père qui tue sa fille ne fait que six mois de prison puis est libéré. Cette loi ne fait qu’encourager la société à commettre de tels crimes.
Deuxièmement, il doit y avoir une augmentation de la prise de conscience sociale, incluant des cours à l’école, sur le comportement vis-à-vis des femmes et le rôle respectif des hommes et des femmes. Cette question est liée aux traditions et aux coutumes qui font uniquement la promotion de l’infériorité de la femme, et, finalement, justifient qu’on les assassine.
Nous avons besoin d’un travail sur tous ces niveaux, le plus important étant une loi pénale juste qui traite les hommes et les femmes de façon égalitaire. Nous devons aussi travailler pour une la mise en place d’une loi contre les violences familiales, qui serait une loi pour une aide d’urgence pour toute femme confrontée ou victime de violences ; une telle loi autoriserait la femme à partir ou à chasser l’homme de la maison comme première mesure de protection pour elle. Malheureusement, parce qu’une telle loi n’existe pas et parce qu’il n’y a aucun précédent pour apprendre à l’homme que s’il tue, il passera ses 15 prochaines années en prison, cette catégorie de meurtres continuera d’exister.
PR :
Quelles sont les croyances
culturelles et fausses conceptions qui doivent être
changées pour mettre un
terme à de telles pratiques ?
Souad Abu Dayyed : Regardons déjà les choses les plus simples. Les dictons populaires de la société reflètent souvent comment nous percevons les femmes. Un de ces dictons est « le fardeau d’une fille continue jusqu’à la mort ». C’est un dicton très répandu qui signifie que la famille reste responsable de la fille, un fardeaux, jusqu’à ce qu’elle meure. Aussi, changer cette conception dans la culture est extrêmement important. Tant que cela ne changera pas, tant que les femmes ne seront pas considérées comme des êtres humains à part entière qui peuvent prendre leurs propres décisions et se protéger, tout cela ne fera que renforcer l’idée de l’infériorité des femmes.
Lorsque nous parons des meurtres de femmes, nous ne parlons pas seulement des meurtres physiques. Nous parlons aussi des meurtres sociaux et psychologiques. Nous devons parler de tous ces crimes, parce que, par exemple, une fille qui est violée par son père et tombe enceinte est assassinée socialement. C’est pour cela que nous devons tous travailler contre ça. La loi, les ministres et organisations devraient tous agir pour mettre fin à ce phénomène. C’est de la responsabilité de l’Etat, du Conseil Législatif Palestinien, de mettre un terme à ces assassinats de femmes, commis contre elles chaque jour, que ce soit physiquement, psychologiquement ou socialement.
PR: Qu’est-ce
qui peut être fait pour que les
jeunes femmes s’autorisent à se protéger ?
Souad Abu Dayyeh : Je pense que la question fondamentale, qu’il s’agisse des meurtres récents ou du meurtre social, est dans la famille, qui est la cellule où les filles apprennent presque tout. Dans notre société, la communication entre la mère, le père et leurs enfants est à la base de toute éducation. Souvent, il n’y a pas de communication entre les membres de la famille. Par exemple, si une fille dit à sa mère que son frère ou que le commerçant la harcèle, la mère mettra automatiquement des limites. Elle lui dira « Si ce n’est pas une honte de parler comme ça. Ce n’est pas vrai ! ». Aussi, généralement, la mère accuse la fille d’être une menteuse.
La fille apprend très tôt à ne parler de son corps ou à le voiler. Aussi, les choses escaladent parce qu’il n’y a pas de communication dans les familles. Combien de mère s’assoient avec leurs filles et leur demandent comment ça c’est passé à l’école ou ce qu’elles ont fait pendant leur journée ? S’il n’y a pas de communication dans la famille, les problèmes ne peuvent que s’amplifier. Les femmes doivent prendre conscience que leurs filles sont aussi des êtres humains qui doivent être traitées de la même façon que leurs frères. La discrimination entre les sexes dans l’éducation est fondamentale. Même si nous avions une loi qui reconnaîtrait l’égalité entre les deux sexes, les organisations devraient travailler pour augmenter la conscience de la société sur la façon d’éduquer les enfants, et ce n’est que comme cela que nous aurons une société plus saine.