Du haut de ses dix
ans, le sourire
triomphant, Hossam Abou Hashish étale fièrement son butin
dans sa
chambre : des éclats d’obus rouillés. À Gaza,
c’est ce que les enfants
de son âge collectionnent.
« J’ai une
supercollection, lance-t-il
les yeux brillants. Mais ce n’est pas la plus belle du village. Celle
de mon oncle est encore plus importante ! »
Il tient dans les mains
un morceau de métal tordu de la longueur de son avant-bras. Les
extrémités en sont tranchantes comme un rasoir.
« C’est ma plus grande
trouvaille. Mais mon oncle en a une grande comme ça ! »
ajoute-t-il en ouvrant largement les bras.
Depuis
deux mois, l’armée israélienne bombarde
méthodiquement les champs en
bordure des villages du nord de la bande de Gaza, notamment Oum Nasser,
où vit Hossam. Plus de 5 100 obus de 155 mm de l’artillerie
israélienne
se sont abattus sur ce secteur, selon un décompte du quotidien
israélien Haaretz.
Dans leur chute, les obus
projettent une pluie
d’éclats coupants et incandescents sur les toits et terrasses
des
maisons attenantes aux champs visés par les tirs.
Pour les enfants
d’Oum Nasser, un village bédouin de 6 000 habitants proche de
Beit
Lahia, faire la collection d’éclats d’obus est devenu une
activité à
part entière, comme pour les jeunes Américains de
collectionner des
cartes à l’effigie de leurs joueurs de base-ball favoris.
Chaque
maison semble avoir sa réserve d’éclats d’obus à
montrer. « C’est notre
jeu favori dans la rue ici », confie Mohammad Farès, un
«
collectionneur » de 12 ans. « Nous essayons de trouver les
plus beaux
morceaux et nous nous les échangeons », raconte-t-il.
Et plus l’éclat est
grand, explique le jeune garçon, plus il a de la valeur dans la
rue parmi les enfants.
Il
sait d’autant mieux de quoi il parle qu’il a lui-même des
pièces
rarissimes, les plus prisées et donc les plus chères :
trois obus
entiers et intacts. « Ils sont beaux », fanfaronne Mohammad
qui les a
peints en orange et bleu, et les a disposés comme ses vases dans
le
salon familial. « Les gens viennent à la maison juste pour
les regarder
», ajoute-t-il.
Ce passe-temps des enfants de
Gaza peut aussi se
révéler dangereux. Vendredi dernier, à Beit Lahia,
trois adolescents
ont été tués par l’explosion d’un obus qu’ils
voulaient ajouter à leur
collection.
Mais, estime une psychiatre de
l’organisation Médecins
sans frontières, en faisant de ces objets de mort un hobby, ces
enfants
ont appris à se mesurer avec le danger. « C’est leur seule
forme de
défense. Ils se frottent au danger en collectionnant des objets
qui
représentent un risque pour eux », ajoute ce
médecin, dont
l’organisation offre des soins aux enfants traumatisés par les
bombardements.
L'Orient
le Jour - 30 mai 2006
|