LE FATAH, qui domine la politique palestinienne depuis un demi-siècle, risque pour la première fois de perdre son hégémonie lors des élections législatives prévues demain dans les territoires de Cisjordanie et de Gaza. Miné par les luttes intestines et la corruption, incapable de réformer l'Autorité palestinienne ou de faire avancer le processus de paix avec Israël, le parti fondé par Yasser Arafat est en chute libre depuis la mort du raïs, fin 2004. Même s'il parvient à conserver la majorité parlementaire, le Fatah devra composer à l'avenir avec le mouvement radical Hamas, qui devrait effectuer une percée pour sa première participation à un scrutin législatif. Au sein de l'Autorité,
créée en 1994 pour gérer l'autonomie alors
accordée par Israël, Arafat cultivait les divisions pour
mieux régner.
A la fin de sa vie, Israël et les Etats-Unis l'avaient
placé hors jeu,
le considérant comme un obstacle aux réformes et à
la lutte contre la
corruption. Jusqu'au bout, pourtant, son aura de chef historique de la
cause palestinienne lui a permis de contrôler le chaos dans les
Territoires palestiniens et de tenir bon face au Hamas.
L'Autorité au bord de la faillite
Son successeur, Mahmoud Abbas, n'a pas réussi à faire
mieux, en dépit
du soutien des Etats-Unis. Les Palestiniens l'ont élu il y a un
an en
espérant une amélioration rapide de leurs conditions de
vie, grâce à
une levée progressive du blocus israélien des grandes
villes. Mais le
président de l'Autorité palestinienne n'est pas parvenu
à remettre sur
les rails le processus de paix. Malgré la trêve qu'il a
arrachée aux
groupes armés, Israël a refusé de renouer le
dialogue avec lui tant
qu'il n'aurait pas désarmé les militants. Craignant de
déclencher une
guerre civile s'il confisquait les armes, Abbas a
privilégié le
dialogue avec les mouvements radicaux, espérant les convaincre
dans un
second temps de désarmer.
Au lieu de renforcer son autorité, le retrait israélien de la bande de Gaza a contribué à l'affaiblir davantage. Parce qu'elle n'était pas le fruit d'une négociation, cette mesure unilatérale israélienne a été considérée par une écrasante majorité de Palestiniens comme une victoire de la ligne dure incarnée par le Hamas. Les réformes promises piétinent Les réformes promises par Mahmoud Abbas piétinent. Seul son ministre des Finances, Salam Fayad, un ancien représentant de la Banque mondiale dans les Territoires palestiniens, a réussi à remettre son ministère en ordre de marche. Mais ne maîtrisant pas les leviers du pouvoir, il n'est pas parvenu à contrôler la dette abyssale d'une Autorité palestinienne au bord de la faillite. Fayad a fini par démissionner, début décembre, pour se présenter aux législatives à la tête du parti de la «Troisième Voie». Apprécié à la Maison-Blanche, il compte parmi les favoris pour le poste de premier ministre à l'issue du scrutin. «L'Autorité est au fond du gouffre, déplore
Salam Fayad. Elle
a souffert d'un manque de vision. Il n'y a pas eu de véritable
plan
pour la remettre en ordre de bataille. Des objectifs clairs doivent
être fixés pour chaque ministre. L'Autorité souffre
d'un déficit de
responsabilité vis-à-vis des électeurs. Le Hamas
fait campagne pour le
changement et la réforme. C'est pourquoi il aborde ce scrutin en
position de force.» A chacun de ses meetings, Fayad, qui
pourtant
fait figure de «M. Propre», est pris à partie sur
les problèmes de
corruption au sein de l'Autorité. «Il y a eu des
enquêtes, mais les gens n'ont pas vu le résultat, reconnaît-il.
Nous devons aller plus loin.» Salam Fayad dénonce
aussi le manque de résultats dans la refonte des
services de sécurité et la culture de non-droit, qui
s'est installée
dans les Territoires palestiniens. «L'Autorité a
essayé de régler les problèmes en embauchant les
fauteurs de troubles, pour tenter de les contrôler, explique
Fayad. Quand
on commence ainsi, on ne sait plus où s'arrêter. Cela a
miné les
finances de l'Autorité. On ne peut pas espérer construire
un Etat si
les armes sont entre les mains de tous.»
Les
instances dirigeantes du Fatah restent contrôlées par la
vieille garde,
rentrée d'exil en même temps que Yasser Arafat et
discréditée par les
affaires de corruption. Menacé d'explosion, le parti a de
justesse
réussi à présenter une liste unifiée de
candidats à la Chambre demain.
Mais Salam Fayad, qui s'est placé en recours à
l'extérieur du parti, en
est conscient : à l'issue du scrutin, il n'y aura pas d'autre
solution
que de composer avec le Hamas. Patrick Saint-Paul, Le Figaro, 24
janvier 2006 |