Oum Nidal Farat pourrait bien être
l'une des
premières femmes du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) à
faire son entrée au Parlement palestinien, le 25 janvier. Cette
quinquagénaire n'a derrière elle aucun passé
politique. Mais trois de
ses fils ont été tués au cours de l'Intifada. Un
"fait d'armes"
suffisamment "parlant" pour les électeurs, a jugé le
Hamas.
En
choisissant, pour la première fois de son histoire, de
participer à des
élections nationales, le Hamas en a accepté toutes les
règles, y
compris l'inscription d'au moins 20 % de femmes sur ses listes. Cette
règle, déjà en vigueur pour les élections
municipales, explique la
présence de plus en plus visible des femmes dans la vie
politique
palestinienne. Au Hamas, le phénomène est renforcé
par la disparition,
temporaire ou définitive, des cadres masculins du mouvement,
liquidés
ou emprisonnés en masse par Israël. Hamas est ainsi la
formation qui
présente le plus de femmes sur ses listes (13 contre 12 au Fatah)
Créé en décembre 1987, au tout début de la première Intifada palestinienne, le Mouvement de la résistance islamique est une émanation de la confrérie internationale des Frères musulmans. Cheikh Ahmed Yassine, son fondateur paralytique, assassiné par les services israéliens en mars 2004, avait fait ses études religieuses au Caire, lieu de naissance de la confrérie sunnite. Contraint par la loi des quotas électoraux, le Hamas ne se contente pas de présenter des femmes sur ses listes, il parie aussi sur un électorat féminin soigneusement préparé pour s'imposer lors des prochaines élections palestiniennes. "Chaque année depuis 1997 se tient à Gaza une conférence destinée à recruter des femmes dans le mouvement, afin d'élargir la base populaire", explique Islah Jad, professeur de sciences politiques à l'université de Bir Zeit en Cisjordanie et spécialiste du rôle des femmes dans les organisations islamistes. "Avec la seconde Intifada (qui commença en septembre 2000), l'image de résistance et d'honnêteté du Hamas, comparée à celle d'une Autorité palestinienne jugée corrompue, s'est renforcée et a attiré beaucoup de Palestiniens", ajoute-t-elle. Dans son bureau de l'Association d'aide aux femmes qu'elle dirige à Gaza, "Rasha" Rantissi, la veuve du successeur de Cheikh Yassine à la tête du mouvement, Abdel Aziz Rantissi, à son tour assassiné par l'armée israélienne en avril 2004, arbore la stricte tenue islamique : hidjab sur le visage, gants noirs couvrant les avant-bras. Mme Rantissi a finalement renoncé à se présenter, mais son discours est digne d'une candidate: "L'islam comme programme politique, l'islam comme système de pensée, l'islam comme règle de vie. Ceci s'applique à tous, hommes et femmes, sans distinction." Les femmes du Hamas revendiquent une place équivalente à celle des hommes, dans le mouvement comme dans la société. "Nous partageons les mêmes convictions religieuses et politiques. Nous croyons tous en l'importance du travail et de l'éducation pour les générations futures", assure Mme Rantissi, qui, fidèle à son mouvement, affiche comme priorité "l'éviction des Israéliens" de toute la Palestine. Le puissant réseau caritatif du mouvement a beaucoup aidé les populations, engluées dans une crise économique gravissime. Mais si les femmes répondent à l'appel du Hamas, c'est aussi parce que le mouvement a su développer une stratégie éprouvée de maillage systématique des quartiers. "Chaque semaine, le Hamas demande à une de ses militantes d'inviter les femmes du voisinage pour assister à une leçon religieuse, explique encore Islah Jad. Il en profite pour développer avec elles des liens très humains, très directs. Par la suite, si elles rencontrent un problème d'ordre moral ou économique, elles peuvent se tourner vers le cheikh." Rasha Rantissi développe à Gaza un travail de proximité auprès des femmes. Son association, "sans lien direct avec le Hamas", précise-t-elle, propose des formations professionnelles pour inciter les femmes à travailler, des cours d'alphabétisation pour les plus âgées et des lectures du Coran. A Kalkiliya, les deux conseillères municipales estampillées Hamas organisent régulièrement des "conférences" sur la santé, la religion, l'éducation, qui rassemblent jusqu'à 250 femmes. Elles rendent visite aux familles de prisonniers ou de "martyrs" et leur apportent "une aide morale". Aux élections municipales partielles en mai, "70 % des femmes ont voté pour nous, parce que nous représentons l'honnêteté et la transparence", assurent les deux élues. "Comme au temps du Prophète, nous participons à la lutte militaire", proclame Mme Rantissi. Il y a quelques mois, une "armée" féminine, maniant armes et explosifs a été présentée par le mouvement à la presse palestinienne. Mais la participation des femmes aux attentats-suicides ou aux accrochages avec l'armée israélienne reste exceptionnelle. "Jusqu'à récemment, le discours du Hamas sur ce point était très conservateur : le combat était réservé aux hommes", poursuit Islah Jad. "En tant
que femmes, nous sommes les mères, les épouses des
martyrs et nous poussons nos hommes à participer au djihad",
insiste pourtant Oumeya Joha, l'une des plus célèbres
caricaturistes de
la presse palestinienne. La jeune femme, sobrement voilée, nie
toute
appartenance au Hamas — "une artiste doit rester
indépendante"
—, mais ne cache pas sa proximité avec ses idées. Son
premier mari,
membre de la branche armée du mouvement, a été
tué en 2003 par l'armée
israélienne. Son second époux, également militant,
vient d'échapper à
un assassinat ciblé. "Face au risque de perdre un être
cher, Dieu et la patrie doivent passer avant", affirme la jeune
veuve, qui reconnaît "avoir été
approchée" pour les élections. "Mais
mon combat passe par mes dessins et par les valeurs que j'inculque
à ma
fille. Je l'élève dans la haine de l'occupant
israélien." "Aussi longtemps que notre terre sera occupée, il sera légitime de résister, par tous les moyens", affirme aussi Asma'Dahoud, l'une des deux conseillères municipales Hamas, élues dans la grande ville de Kalkiliya, en Cisjordanie. "Pour ma part je résiste en élevant mes enfants dans les valeurs de l'islam et en restant coûte que coûte sur ma terre", affirme la jeune femme de 35 ans, dont le mari, accusé d'avoir commandité un attentat-suicide en Israël, purge, depuis deux ans et demi, une peine de prison de 2 500 ans.
Oum
Nidal Farahat, Asma'Dahoud et sa collègue de Kalkiliya, Kiffa
Nassourah, présentent le profil-type des candidates que le Hamas
a fait
émerger ces derniers mois. Mère et femme de "martyrs"
pour les
premières, héritière d'une grande famille pour
l'autre, ces nouvelles
venues en politique concentrent les critiques de leurs adversaires.
"Elles n'ont aucune expérience politique ; elles ne font que bénéficier du système des quotas électoraux", estime Dalal Salamé, représentante du Fatah, l'une des cinq femmes députées siégeant actuellement au Parlement. "Je ne suis pas que la femme de Rantissi", rétorque la veuve du dirigeant, qui rappelle son activisme dans les oeuvres sociales et son engagement "de toujours" dans le mouvement des Frères musulmans, puis du Hamas, son émanation locale. "Loin de constituer une avancée pour les femmes, leur présence au Parlement va constituer un frein aux lois progressistes que nous tentons, déjà difficilement, de faire passer", poursuit Mme Salamé. Originaire de Naplouse, cette musulmane pratiquante qui ne craint pas de fumer en public déplore la lecture trop littérale qu'ont les membres du Hamas du Coran. "L'islam est adaptable aux époques et aux contextes. La charia (loi islamique) ne doit pas être supérieure aux lois." La jeune femme redoute des reculs, notamment sur la polygamie, les mariages précoces ou l'égalité sociale entre hommes et femmes. "Si la polygamie est bonne pour l'islam, elle est bonne pour moi", assure par exemple Oumeya Joha, qui en dépit de son indépendance d'esprit a accepté d'être la deuxième épouse de son jeune mari. Laïque et féministe, l'universitaire Islah Jad, elle, ne craint pas l'arrivée du mouvement aux responsabilités. "Le Hamas n'est pas une organisation fondamentaliste, mais populaire. Son discours n'est pas fondé sur les textes religieux, il sait s'adapter aux situations et souhaite attirer un maximum de gens, y compris des laïques" — à Gaza et à Bethléem, des chrétiens ont même rejoint ses listes. "D'ailleurs, reprend-elle, les femmes du Hamas mettent toujours en avant leur modernisme : "Je conduis une voiture, j'envoie ma fille à l'université..." En Palestine, c'est une réalité. Si, dans le discours islamique, la femme est "complémentaire" de l'homme et non pas "égale", on trouve sur le terrain des réalités plus nuancées, notamment en termes d'égalité de salaires." Sur les questions de moeurs et de bonne moralité, en tout cas, les femmes du Hamas n'ont rien à envier aux hommes. Les conseillères municipales de Kalkiliya justifient avec fougue l'interdiction de la plupart des spectacles dans leur ville. "Il faut proscrire tout ce qui est "haram" (contraire à la loi islamique) et susceptible de froisser Dieu", résume Mme Daoud. En clair, toute manifestation mêlant hommes et femmes d'où serait absent un message religieux. "Pour nos loisirs, nous avons le zoo et les jardins", complète Mme Nassourah. "Nous pouvons voyager, assister à des pièces de théâtre politiques, à des spectacles pour enfants ou écouter des chansons islamiques, ajoute la caricaturiste de Gaza. Mais pas question de se promener main dans la main avec un homme !" Ce discours aux accents conservateurs a séduit de nombreuses Palestiniennes. Car, éprouvées par cinq années d'Intifada, beaucoup n'ont trouvé refuge que dans la pratique religieuse. Stéphanie Le
Bars, Le Monde, 25 janvier 2006
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