« Une
Intifada des femmes »
Par
Yvonne Deutsch, une des fondatrices des Femmes en Noir de
Jérusalem, une des
leaders du mouvement féministe en Israël depuis 20 ans,
ainsi que la fondatrice
du Centre féministe de Jérusalem et sa première
coordinatrice.
Texte
extrait des débats de la rencontre internationale des Femmes en
Noir d’août
2001 à Novi-Sad
Mon
grand père était d’origine Serbe, et je suis née
à Timisoara. Je suis aussi une
Israélienne Juive-Hongroise qui vit au Moyen-Orient. Je suis une
militante
contre l’occupation, une féministe et une pacifiste depuis
longtemps, depuis la
fin des années 70. Aujourd’hui, je me consacre davantage au
mouvement
féministe.
Sept femmes non-sionistes
d’extrême gauche fondèrent
à Jérusalem le groupe des Femmes en Noir d’Israël en
Janvier 1988. La 1ère Intifada
(soulèvement national palestinien) éleva le niveau de
conscience politique de
beaucoup de femmes israéliennes. Les femmes ayant des positions
radicales
créèrent différents cadres politique, des femmes
qui ne s’étaient pas engagées
politiquement et des femmes sans idées politiques claires
comprirent néanmoins
que leurs fils et leurs maris prenaient part à
l’écrasement du soulèvement
palestinien contre l’occupation, qu’ils ne prenaient pas part à
une armée de
défense mais à l’oppression. Elles
décidèrent de sortir dans la rue et de
protester. C’était une sorte d’Intifada de femmes. Les Femmes en
noir ont été,
non pas une organisation mais le mouvement le plus visible en
Israël. En trois
mois nous avions organisé onze vigies en Israël. En Janvier
1991, nous avions
organisé 31 différentes vigies toutes les semaines contre
l’occupation. En
majorité des femmes juives-israéliennes et dans des
endroits mixtes des femmes
palestiniennes, de citoyenneté israélienne,
manifestèrent ensemble contre
l’occupation. Il y avait aussi d’autres organisations : Femmes
contre
l’occupation, Femmes et paix, Femmes en soutien des prisonnières
politiques.
Les Femmes en Noir devinrent le symbole de la conscience des femmes
opposées à
l’occupation.
C’était l’époque de la
première Coalition des femmes pour
la Paix, appelée Femmes et Paix, composée de femmes de
toutes les
organisations, des anciennes organisations d’avant l’Intifada ainsi que
des
nouvelles avec les Femmes en Noir. Nous avons collaboré, les
dirigeantes des
Femmes en Noir étaient en même temps celles des Femmes et
Paix. Les Femmes en
Noir avaient un seul message : Halte à l’occupation !
C’était notre
message à Jérusalem où notre groupe a toujours eu
l’impact le plus important.
Nous voulions créer un espace public pour attirer beaucoup
d’autres femmes en
dépit de leurs différentes positions politiques. Au sein
du groupe Femmes et
Paix nous étions beaucoup plus claires pour ce qui était
de nos exigences et de
nos demandes sur le plan politique.
Pendant la
première Intifada, le résultat important a
été
la reconnaissance de l’OLP, un dialogue avec l’OLP
et une solution binationale au problème. Dans des
régions plus
petites où les positions politiques étaient plus
homogènes, elles lancèrent les
mots d’ordre : une solution binationale et des négociations
avec
l’OLP ! Des femmes d’opinions politiques et d’orientations
différentes : sionistes, non-sionistes, anti-sionistes,
pratiquantes et Intifada;
lesbiennes, hétérosexuelles qui sont le groupe le moins
visible encore
aujourd’hui, des femmes bisexuelles etc… étaient toutes ensemble
avec une
exigence catégorique : que cesse l’occupation, sachant et
reconnaissant
que l’occupation est mauvaise et produit de la violence.
Il est différent d’être une
Femme en Noir et une
militante pour la paix aujourd’hui et à l’époque de la
première Intifada. La
première Intifada avait créé un espace de
coopération entre les femmes
israéliennes et les femmes palestiniennes qui habitaient dans
les territoires
occupés. Ceci n’a pas commencé avec la première
Intifada, la gauche radicale a
toujours coopéré avec les Palestiniens, mais les
mouvements des Femmes se sont
soudainement élargis et étendus et nous avions le
sentiment de véritablement
créer une alternative.
Nous avions le sentiment de créer une
alternative au
conflit sanglant et que nous amenions le changement. A ce sujet
j’aimerais
parler de la contribution du mouvement International des Femmes, en
particulier
des femmes italiennes et des femmes suédoises mais aussi
d’autres femmes
d’Europe et d’Amérique. Les Femmes italiennes ont toutefois
joué un rôle
crucial en établissant des rapports entre des femmes
Israéliennes et des Femmes
Palestiniennes. Leurs relations n’ont pas été faciles.
Les Israéliennes avaient à
comprendre que ce ne sont pas
des rapports d’égalités ; comprendre que nous sommes
les envahisseurs et
que les autres sont envahis. Il n’a pas été facile pour
beaucoup de femmes de
saisir la différence et d’accepter cette réalité
douloureuse, quoique je suis
contre l’occupation, je suis toujours l’agresseur. Ceci est très
difficile.
La guerre du Golfe fit émerger le
vrai fossé et ce
fut la cause d’un véritable recul du rapprochement entre les
femmes
israéliennes et les femmes palestiniennes car la plupart des
Femmes du
Mouvement pour la paix soutenait la guerre. Femmes et paix était
le seul groupe
contre la guerre.
Soudainement, nous sommes rendues compte
que nos
références politiques étaient très
différentes. Je voudrais dire ici que le
mouvement pour la paix Israélien est en fait un mouvement
Ashkenase composé
d’une élite universitaire. C’est donc un défi pour notre
avenir. Les femmes
Ashkenase sont venues d’Europe et d’Amérique pour créer
un espace plus large
aux femmes moins privilégiées. Nous n’avons
néanmoins pas encore été capables
de créer un équilibre entre la paix politique et la
justice sociale. Nous
devons faire face à ce défi. La deuxième phase de
l’affaiblissement de
l’influence du mouvement des Femmes pour la paix a été
marquée par les profonds
désaccords dans tout le pays. Il y avait des femmes qui
soutenaient l’accord de
paix, mais il y avait des femmes qui étaient contre; il y avait
des femmes qui
voulaient agir dans le cadre établi par les Accords tout en
étant sceptiques
sur la possibilité d’une paix après le Traité
d’Oslo. Cela peut sembler
invraisemblable, alors que dans le monde entier les Femmes en Noir
devenaient
de plus en plus fortes, en Israël leur influence avait
diminué depuis 1993, en
fait depuis 1991. Toutefois, les effets suscités par
différents groupes
politiques de Femmes, avec l’aide du Traité d’Oslo,
représentent un nouveau
phénomène dans la sphère de l’engagement des
politiques des femmes.
Des femmes qui
n’avaient pas d’engagement politique
étaient actives dans des groupes de femmes. Même des
femmes nouvellement
arrivées se demandaient pourquoi seulement des femmes
étaient engagées. Par le
truchement du Traité d’Oslo de nouvelles organisations devinrent
très actives
dans la lutte contre la guerre du Liban. L’armée qui dans la
culture
Juive-Israélienne représente une sorte
d’« Establishment » était de
plus en plus critiquée à cause de la contestation
portée par les femmes. Comme
l’a dit Gilia Hiur le temps des généraux était
terminé et le temps des femmes
avait commencé et j’ai parfois peur que, face à cette
perte de pouvoir central
de l’armée en Israël, cette nouvelle guerre menée
jour après jour contre les
Palestiniens et le mal qui est fait en notre nom ne soit la
manière des
généraux de reprendre leur pouvoir. De nouveau, à
la télévision, on ne voit que
des généraux.
Comme l’a dit Gila, les Femmes en Noir
sont devenues une
référence en Israël. Aujourd’hui, il y a six vigies;
de plus en plus de femmes
sortent dans la rue pour protester contre l’occupation. L’occupation
représente
toujours la source de mal. Les Femmes en Noir prennent part à la
résistance, à
la désobéissance civile et au travail de
solidarité avec les Palestiniens. Et
même si les Femmes en Noir n’organisent pas de vigies ou de
protestations, il
suffit que nous nous habillions en noir pour que l’on reconnaisse que
c’est
nous qui avons fait le travail. Les Femmes en Noir sont un groupe
libertaire,
qui n’a pas de direction officielle, ni d’argent, ni de charges et nous
avons encore
à faire face à de nombreux défis. C’est encore un
défi de faire entendre nos
voix dans les rues; notre contribution est importante, mais nos voix ne
font
pas partie du courant majoritaire, elles n’ont pas de place à la
table des
négociations. La question qui se pose est : comment faire
pour obtenir un
pouvoir politique ? Comment ne pas en rester, pour
l’éternité, au
stade où nos corps et nos vies ne font que témoigner?
J’éprouve un profond
sentiment de dépression devant le fait que si nous recherchons
la paix, nous en
sommes encore à nous contenter de maintenir notre
intégrité morale et de
résister au mal.
Nous avons des responsabilités, des
exigences plus
grandes à assumer. Nous avons encore des défis devant
nous et nous sommes à un
tournant. Nous devrions organiser les Femmes en Noir et décider
de notre futur.
Quoiqu’on nous considère comme
« extrémistes », tout simplement parce
que n’importe quelle femme manifestant dans la rue est
considérée comme telle,
nous ne sommes pas des extrémistes en politique. Quel est notre
rôle
aujourd’hui ? Comment faire pour avoir le pouvoir qui nous
permettra
d’amener un changement ? Où trouver cette force? Parfois,
certaines ont la
tentation de s’isoler dans nos ghettos, dans nos petits mondes du
Proche-Orient.
Nous en avons besoin dans ces temps de crise et de danger.
J’espère que cette
conférence nous amènera à renforcer la
solidarité parmi les femmes venant de
différentes parties du monde, parmi celles qui sont des
privilégiées et celles
qui ne le sont pas. Voici le temps du danger et de la destruction
massive.
J’espère rentrer chez moi pleine d’une
nouvelle énergie
qui me permettra de continuer mon travail et de trouver de nouveaux
horizons
pour créer le changement.
Merci à toutes