Rema Hammami, décembre 1991
Si
ce texte n'est pas récent, il conserve néanmoins tout son
intérêt : il démontre en effet en quoi le port du
hijab est bien une question politique et la campagne menée par
le Hamas et d'autres groupes réactionnaires pour tenter de
l'imposer à toutes les femmes palestiniennes.
Bon nombre de rapports
laissent supposer que l'Intifada a permis aux Palestiniennes de faire
des avancées significatives aussi bien dans leur
libération sociale que politique. Si l'on peut créditer
ce mouvement de quelques développements positifs, il reste qu'il
a été aussi le cadre d'une campagne vicieuse à
Gaza visant à imposer le port du hijab (foulard) à toutes
les femmes. La campagne était faite de menaces et du recours
à la violence et s'est transformée en une offensive
sociale totale. La complicité sociale, l'inaction politique, la
pression familiale conjuguées à une transformation
idéologique ont donné naissance à une situation
où seules quelques femmes engagées (de Gaza) ont
continué à ne pas porter le foulard, un an après
l'Intifada. Ces femmes étaient des militantes des trois factions
de gauche et, bien qu'agissant individuellement, elles affirmaient,
dans le cadre de l'Intifada, le lien fondamental entre la
libération de la femme et la possibilité d'un avenir
progressiste et démocratique. Dès lors, il s'agissait moins d'une
lutte contre le hijab que de la direction que prendrait le mouvement.
Bien que luttant quotidiennement pour conserver leur droit de choisir
et leur droit à un meilleur avenir, elles furent peu soutenues
que ce soit par les hommes progressistes ou par la Unified National
Leadership of the Uprising (UNLU) (Direction Nationale Unifiée
du Soulèvement), qui a attendu un an et demi pour aborder la
campagne du hijab. Le hijab
à Gaza Le hijab, tant dans ses formes que son
utilisation ou sa non utilisation par les femmes des différentes
classes sociales et groupes, variait beaucoup avant l'Intifada,
à Gaza comme ailleurs au Moyen-Orient. Les différentes
formes du hijab étaient l'expression de la classe, de l'origine
régionale, de la religion ou de l'âge. Ces formes et
significations n'étaient pas strictes et c'est à partir
de 1948 que l'on a noté l'appropriation, la transformation et la
réinvention continues des différentes traditions
d'habillement et de coiffure. Si les transformations des classes, vers la fin
des années 50, ont amené beaucoup de femmes à
abandonner le hijab, d'autres le portent encore sous des formes
différentes. La robe et le foulard des vieilles femmes des camps de Gaza traduisent à la fois leurs origines paysannes et leur statut actuel de femmes des camps plutôt que leur féminité. Dans leur vie de tous les jours, les femmes des camps, qu'elles soient du Nord ou du Sud, portent une jupe noire en coton (da'ir) et un shal blanc ou noir (shasha). Elles ont adopté cette tenue après 1967 au moment où on ne trouvait plus de tissu pour confectionner la robe traditionnelle palestinienne du sud. Bon nombre de ces femmes sont contre l'imposition par la force du hijab mais ne considèrent pas leur propre robe comme oppressante. Leur génération n'a pas eu accès aux structures socio-économiques qui entraînaient le port de la «robe moderne» ; la culture des femmes âgées des camps reste leur référence. Leur robe a échappé à la récente idéologisation d'envergure du hijab pour n'être qu'une simple affirmation de leur appartenance à la communauté. A la fin des années 70, de nouveaux
mouvements islamiques, notamment le mouvement al-Mujama'al-Islamic (un
groupe islamique dont les membres se considèrent
héritiers du mouvement originel des Frères Musulmans, et
connus aujourd'hui sous l'appellation de Mouvement de Résistance
Islamique ou Hamas) a cherché à imposer ou, comme ils le
perçoivent, à «restaurer» le hijab
auprès des femmes de Gaza qui ne portaient aucune forme de
foulard. Ces femmes étaient essentiellement
éduquées, citadines et du milieu petit-bourgeois. Le
Muyama a conféré au hijab de nouvelles significations de
piété et d'appartenance politique. Les femmes
affiliées au mouvement se mirent à porter de longs
par-dessus cousus, de couleur unique appelés robe shari'a qui
n'ont pas de pendants réels dans l'habillement palestinien
indigène. Cette tenue censée traduire un retour à
une tradition islamique plus authentique est en fait une
«tradition inventée», tant dans sa propre forme que
dans sa signification1. Le hijab est fondamentalement ici un instrument
d'oppression, un moyen direct de contrôler le corps de la femme
à des fins politiques. La forme elle-même est directement
liée à une idéologie réactionnaire sur le
rôle des femmes au sein de la société et à
un mouvement qui s'emploie à mettre en application cette
idéologie. Inventer
la tradition Bien que la robe shari'a ait été
répandue à Gaza dans les années 80, la pression
quant à son port était localisée -
spécifiquement - par exemple au lieu de travail, au sein des
familles religieuses ou auprès des étudiants du campus de
l'université islamique. La robe shari'a et
l'idéologisation du hijab ont entraîné une nouvelle
prise de conscience des différences dans l'habillement des
femmes, mais elles avaient l'espace pour ne porter aucune forme de
hijab. Ce n'est que lors de l'Intifada que cette pression sociale s'est
transformée en une campagne active visant à imposer le
hijab aux femmes. Dès décembre 1988, un an après
l'éruption de l'Intifada, il était presque impossible aux
femmes de se déplacer dans Gaza sans porter une quelconque forme
de foulard. Bien que les habitants de Gaza soient connus
pour leur intégrisme conservateur, leur histoire religieuse
n'est en rien différente de celle du reste de la Palestine. Les
lieux saints locaux et fêtes religieuses populaires constituent
les formes centrales de la pratique religieuse, aussi bien pour les
habitants de Gaza que pour les réfugiés au cours des
années 502. Le soutien que connaît le Mujama' provient des
récents soulèvements sociaux, pendant l'occupation
israélienne. L'émergence, dans les années 70
et 80, du Mujama' en tant que force politique a été
activement encouragée par les autorités d'occupation,
mais ce fait n'explique pas en totalité sa croissance3. Le
mouvement à sa naissance offrait un modèle de
société et un comportement social qui avaient rapport aux
problèmes de la majorité des démunis de Gaza. Les
migrations quotidiennes vers Israël de plus de la moitié de
la main-d'œuvre ont eu de profonds effets sur la société
de Gaza4. L'abus de la drogue et l'alcoolisme étaient
perçus comme des problèmes majeurs liés aux
expériences des travailleurs de Gaza à Israël. Des
éléments de gauche avaient essayé au début,
quelquefois par la force, d'arrêter ce flux de travailleurs vers
Israël ; une tentative qui n'a débouché que sur
l'amertume, aucune solution de rechange ne leur ayant été
offerte. Le Muyama' proposa une solution pratique - le retour à
un code moral tel qu'il est formulé dans leur
interprétation de l'Islam. Ils en ont appelé à une
expérience culturelle commune et de manière
sélective ont utilisé les valeurs et significations
tirées de la vie de tous les jours des habitants de Gaza. La
proposition a eu beaucoup d'adeptes, y compris parmi ceux qui
n'auraient jamais adhéré au mouvement. Ceux qui l'avaient
rejoint étaient séduits par la possibilité de
participer à une communauté politique dont le but
avancé était de s'opposer à l'occupant tout en
n'exposant pas (jusqu'à une date récente) ses membres au
danger - comme c'était le cas avec les factions nationalistes.
En définitive, le Mujama' opérait dans un contexte sans
grande diversité religieuse où le laïcisme
était une force récente et faible. Personne ne sait exactement combien de
partisans comptait le Mujama' à Gaza. Les laïcistes
maintiennent que si l'on devait compter individuellement les membres,
les gens seraient choqués par le faible nombre. Ce qui est par
contre évident, c'est l'ampleur de la sorte de domination
culturelle du Mujama' sur Gaza. Une domination faite de consentement et
de coercition. Son pouvoir n'a pas atteint l'hégémonie
totale : jusqu'ici il n'a réussi qu'à placer la
culture laïque sur la défensive sans en recueillir la
légitimité politique. Comme l'a affirmé un
habitant de Gaza : «leurs principales activités à
Gaza consistent à éloigner les manifestants des
mosquées et de s'assurer que les femmes couvrent leur
tête». A l'origine, l'absence de soutien politique
généralisé pour le Mujama' était dû
à son passé peu glorieux dans la lutte contre
l'occupation. Bien que la presse étrangère ait
été truffée d'affirmations simplistes sur le
«caractère islamique» de l'Intifada à Gaza,
ce sont les groupes nationalistes (parmi lesquels le Jihad islamique)
qui étaient au premier plan de la mobilisation de la population
au cours des premiers mois du soulèvement. Le Mujama' a surgi
durant le printemps 1988 comme le Hamas et est descendu dans
l'arène selon ses propres conditions5. Il décréta
ses propres jours de grève, différents de ceux de la
Direction unifiée, publia un manifeste et ne tarda pas à
demander aux femmes de porter le hijab. Les graffiti sortaient de
partout dans la Bande avec des déclarations du genre :
«Fille d'Islam, conforme-toi à la tenue de la Shari'a
!». En mai 1988, les jeunes religieux firent irruption dans les
salles de classe et demandèrent aux écolières de
porter le hijab. Septembre 1988 marqua le premier effort visant
à prendre en charge la pression de plus en plus répandue
pour que les femmes portent le foulard. Un groupe de jeunes attaquèrent des
filles à l'école Ahmad Shawqi de la ville de Gaza pour
n'avoir pas couvert leur tête. Un autre groupe
dénommé Shabab (composé de jeunes activistes) prit
et interrogea les agresseurs et conclut qu'il s'agissait
d'éléments de lumpen utilisés par les
autorités militaires pour faire de la provocation. Au plan local
des efforts ont été faits pour venir à bout de
l'incident et un groupe nationaliste publia un bayan (manifeste) qui
décrivait l'incident et mettait en garde les populations contre
les tentatives d'Israël de semer la discorde. Hamas publia
également un bayan local se dissociant des agresseurs. Mais ni
les tracts ni l'incident n'ont fait l'objet d'une grande diffusion.
C'est à ce moment que les femmes activistes de Gaza se rendirent
compte de la nécessité de lancer une action nationale
pour renverser au plan local l'acceptation inconsciente de la
«hijabisation» en tant que volet de l'Intifada. «Cela
(le hijab) n'est pas un problème pour moi», a dit une
femme du village d'Abassan. «Dans ma communauté, il est
normal d'en porter. Le problème c'est lorsque les petits
garçons, y compris mon fils, pensent qu'ils ont le droit de me
dire de le porter». Redéfinition La dynamique de la campagne du hijab est
difficile à décrire en raison des forces multiples qui
opéraient en même temps (bien que ne travaillant pas
nécessairement ensemble) pour demander aux femmes de porter le
foulard. A Gaza, ce sont les jeunes religieux qui ont donné
d'abord le ton avec des graffiti, des irruptions dans les écoles
de filles et des discours. Ensuite sont intervenus les jeunes
garçons (entre 8 et 12 ans) encouragés par l'Intifada.
Les femmes ne portant pas de foulard constituaient des cibles tout
désignées en l'absence de militaires à qui jeter
les pierres. Les shabab non affiliés politiquement et qui se
sentaient exclus trouvèrent dans le harcèlement de ces
femmes un moyen sûr d'exprimer leur sentiment nationaliste. Dans
le même temps, les militaires faisaient des descentes dans les
maisons et agressaient les femmes ; les familles étaient
inquiètes pour leurs filles et les maris pour leurs femmes. Le plus problématique pour bon nombre
des femmes de Gaza c'était que cette pression sociale
s'accompagnait d'une tentative de «nationaliser» le hijab.
Les arguments qui à l'origine lui conféraient une
signification religieuse étaient - à peu de chose
près - balayés par sa nouvelle signification de
l'Intifada. Le hijab était présenté (et dans une
certaine mesure, perçu) comme un signe d'engagement politique
des femmes à l'Intifada. La redéfinition la plus
saillante faisait du port du foulard une marque de respect pour les
martyrs. En suivant cette logique, les femmes à la
«tête nue» étaient considérées
prétentieuses et frivoles et, au pis aller, anti-nationalistes.
Un autre argument nationaliste faisait du foulard une forme de lutte
culturelle, une affirmation du patrimoine national. Des arguments
basés sur la peur immédiate étaient brandis en
raison du succès relatif des redéfinitions nationalistes
- le hijab protège les femmes contre les militaires. La réalité est quelque peu
différente. Il est possible qu'avant l'Intifada, les militaires
aient été plus prudents dans leurs agressions contre les
femmes, mais les statistiques faisant état des victimes
indiquent qu'ils ne tenaient pas compte de l'âge ou du sexe et
certainement pas du foulard. Néanmoins, le dernier argument est
devenu comme une prédiction qui se réalise ; la
poignée de femmes qui se sont opposées au port du hijab
se présentent aujourd'hui comme des activistes politiques et
constituent, de manière visible tout au moins, plus qu'une cible
pour les militaires. Le fait pour les militaires de s'attaquer et de
tuer les femmes indépendamment de leur tenue a conduit à
l'argument selon lequel porter un foulard permettra de ne plus
considérer l'incident comme une honte pour la famille. Les
crimes politiques contre les femmes ont donc été
transformés en crimes sexuels. Le dernier argument brandi a été
le plus honnête - porter un hijab protégera les femmes des
attaques des jeunes religieux. Il
devenait dès lors évident que ce «hijab de
l'Intifada» ne concernait pas la pudeur, le respect, le
nationalisme ou encore les impératifs de l'activisme mais
plutôt le pouvoir des groupes religieux de s'imposer en attaquant
la laïcité et le nationalisme dans ce qu'ils ont de plus
vulnérable : les questions de la libération des femmes.
Beaucoup de femmes considèrent décembre 1988 comme un
tournant dans la campagne du hijab. Pour les femmes, ne pas porter le
foulard devenait dès lors une question d'engagement total.
Marcher dans la rue revenait à affronter un groupe de
garçons criant «tahajjabi» (voile-toi !), suivi
souvent d'une pluies de pierres. Une femme du camp de Shati racontait : «J'étais toujours harcelée
quand je sortais sans foulard. Je me suis battue une fois avec
des garçons du quartier (bourgeois) de Rimal (dans la ville de
Gaza) qui me demandaient de le porter et qui disaient que je
n'étais pas pudique. A mon tour, je les ai traités de
poltrons qui passaient leur temps à parler de pudeur aux femmes
mais qui ne jetaient jamais la moindre pierre à un militaire et
n'approchaient jamais non plus une manifestation. Je leur ai dit que
les femmes de Rimali qui portaient le hijab étaient beaucoup
moins pudiques que moi - avec leurs robes longues en soie
colorées et le visage maquillé. Ils m'ont répondu
: «mets un kilo de maquillage mais portes un mandil (foulard)». Dès
l'été 89, un certain nombre de femmes qui
s'étaient activement opposées au port du foulard
commencèrent à en mettre un dans certains contextes, par
peur. Avec d'autres femmes qui refusaient également de
porter le hijab, elles comprirent que la campagne concernait le type
d'avenir politique et social que visait l'Intifada. «Les petits
faits peuvent avoir de grandes conséquences à
l'avenir», fit remarquer une femme du quartier de Nasr de la
ville de Gaza. «Je ne porte pas de hijab parce je ne veux pas
vivre dans un Etat islamique». Une action a été entreprise sur
le plan politique national en août 1989, après qu'une
série d'incidents placèrent le problème au premier
plan. Il y avait d'abord des indications que la campagne
commençait à gagner la Cisjordanie. Pour la première fois des œufs et
des injures furent lancés aux femmes sans foulard à
certains endroits de la vieille cité de Jérusalem et
à Hebron. Cet incident a été aggravé
par un autre qui fait désormais partie de l'histoire nationale
des femmes de Gaza. Deux femmes activistes portant des foulards
marchaient dans un des principaux marchés de la ville de Gaza.
Un groupe de Shabab qui les avait reconnues leur dit sur un ton
menaçant que le foulard ne couvrait pas complètement la
tête. (Les femmes en questions étaient connues pour
s'être activement opposées au port du foulard
jusqu'à une date récente). L'une d'elles rétorqua
d'un air de défi qu'elle se protégerait s'ils essayaient
de faire quoi que ce soit. Les hommes s'énervèrent et
elle commença à ouvrir la fermeture éclair de son
sac, prétendant qu'elle était armée d'un couteau.
C'est alors que les hommes crièrent à la foule que les
femmes étaient des collaborateurs et qu'elles avaient un
magnétophone dans le sac. La foule se mit à les
poursuivre et les mena dans une boutique où le sac a
été fouillé pour ne trouver aucun
magnétophone. Les hommes et la foule se dispersèrent. Les
deux femmes, à l'aide du téléphone de la boutique,
appelèrent le Shabab de leur comité local qui localisa un
des trois hommes qui avaient menacé les femmes. Celui-ci fut
interrogé et ses complices retrouvés. Ils furent
«jugés» par un comité populaire et
condamnés à présenter des excuses plus une amende
de 3.000 JD (4 500 $) à payer aux femmes et à leurs
familles. Le
hijab et la Direction Unifiée Le bayan (n° 43) suivant de la Direction
Unifiée fit en fin de compte une déclaration sur la
question des femmes et le hijab : «Oublions le passé. Toute dispute
sert l'ennemi et ses collaborateurs. L'UNLU condamne les agressions des
Palestiennes à Jérusalem, Hébron et Gaza, par les
groupes radicaux». L'UNLU fit également une
déclaration plus détaillée en annexe au bayan
n° 43 à Gaza : Dans la présente annexe nous voudrions
soulever la question qui a été au centre de bien des
débats passionnés... Les questions portant sur les femmes
et leur rôle. La femme, dans notre entendement, outre le fait
d'être mère, fille, sœur ou épouse, est un
être humain efficace et une citoyenne à part
entière avec tous les droits et devoirs. Nous voudrions préciser les point
ci-après : 1) Nous sommes contre la futilité
excessive dans l'habillement et l'application de produits comestiques
en ces temps. Ceci est valable autant pour les femmes que les hommes. 2) Nous estimons que toute querelle en
dehors de l'occupation et de ses différentes fonctions devrait
trouver une solution de manière démocratique par des
suggestions dans le cadre d'une discussion constructive normale ou de
conseils. 3) Nous devrions faire grand cas du
rôle joué par les femmes dans notre société
en ces temps concernant la réalisation de nos objectifs
nationaux et l'opposition à l'occupation. Elles ne devraient pas
être punies sans raison. 4) Le phénomène qui consiste
à harceler les femmes est en contradiction aussi bien avec les
normes et traditions de nos sociétés qu'avec nos
attitudes admises envers les femmes, tout en discréditant le
patriotisme et l'humanité de chaque citoyenne. 5) Nul n'a le droit d'aborder les femmes
ou les filles dans la rue en se fondant sur leur habillement ou sur le
fait qu'elles ne portent pas de foulards. 6) La Direction Nationale Unifiée
fera la chasse à ces voyous et mettra fin à ces actions
immatures et peu patriotiques, surtout lorsqu'il est
avéré que bon nombre de ces voyoux s'adonnent
régulièrement à des activités suspectes. Peu après, les murs de Gaza furent
recouverts de graffiti proclamant que «ceux pris en train de
jeter des pierres aux femmes seront traités comme
collaborateurs» et que «les femmes jouent un grand
rôle dans l'Intifada et que nous devons les respecter». Le
manifeste n° 43 fut suivi d'une déclaration du Conseil
Supérieur des Femmes, forum regroupant les quatre comités
de femmes, qui a également condamné les autorités
israéliennes et les collaborateurs pour les attaques dont les
femmes font l'objet. L'incident spécifique de Gaza a
influé sur les mécanismes de règlement des
conflits aussi bien «traditionnels» que ceux relevant de
l'Intifada. En raison de l'absence d'une police ou d'une magistrature
indépendante, la plupart des conflits internes à Gaza ont
été résolus par le biais d'une forme de sulha
(médiation) entre familles par une personnalité politique
ou religieuse respectée. Avec la création de
comités populaires depuis l'Intifada, l'essentiel de ce travail
a été effectué par Shabab. Le recours à la
sulha dans ce contexte comporte des implications aussi bien positives
que négatives pour les femmes. Côté positif, la
sulha, en tête de la déclaration de la UNLU,
définit les attaques contre les femmes comme un crime aussi bien
social que politique. Dans ce sens, elle constituait également
une déclaration politique sur les relations sociales (en
même temps qu'un moyen de dissuasion financière).
Cependant, certaines femmes pensent simplement que la sulha entre dans
le cadre des conceptions traditionnelles des femmes en faisant
intervenir les familles de ces dernières et en traitant le
problème comme une question d'honneur et les femmes non comme
individues politiques mais comme propriété familiale. La déclaration de la Direction
Unifiée a eu un impact immédiat. L'atmosphère dans
les rues a changé de manière spectaculaire en quelques
jours et les femmes sans foulards ne se sentaient plus si
menacées. Peu d'hommes osaient enjoindre à une femme de
se couvrir la tête, et ceux qui le faisaient couraient le risque
d'être accusés de se considérer supérieurs
à la Direction Unifiée6. Les femmes avaient le pouvoir de
l'Intifada à leur côté. Bien que la déclaration de la UNLU ait
considérablement aidé à arrêter les attaques
verbales et physiques par les jeunes gens contre les femmes ; elle n'a
pas été en mesure d'inverser l'effet global de la
campagne. Beaucoup de femmes se sont posées la question de
savoir pourquoi la Direction Unifiée a mis si longtemps à
prendre une position et pourquoi le Conseil Supérieur des Femmes
n'a agit qu'une fois publié le bayan n° 43. «Quand le bayan n° 43 est sorti je
n'étais pas contente», déclara une femme de
Beach Camp. «J'étais
fâchée parce que c'était si tard. Si ils l'avaient
fait des mois auparavant, nous n'en serions pas là
aujourd'hui... Une fois que tu mets le hijab, il est très
difficile de l'enlever». En réalité certaines femmes ont
pensé que la Direction Unifiée soutenait tacitement le
hijab, compte tenu du fait qu'elle a mis si longtemps à
réagir. «Je me souviens de certaines femmes du
comité qui disaient qu'elles le portaient parce que la UNLU ne
l'avait pas condamné et que par conséquent elle devait
être pour», expliqua une autre femme de Beach Camp. Pourquoi la Direction Unifiée a mis si
longtemps pour publier une déclaration ? Des militants ont
déclaré aux femmes de Gaza que soit la UNLU percevait la
question comme un grand facteur de division ou, pire, comme secondaire.
Un certain nombre de militantes défendaient une troisième
hypothèse qui, en quelque sorte, motivait leur refus de porter
le hijab. Elles pensaient que certains éléments au sein
de la Direction Unifiée supportaient effectivement la campagne
du hijab et que le Fatah, en particulier essayait de nouer une alliance
avec les groupes religieux7. Le Fatah, déclarent-elles, a un
bilan négatif des droits de la femme et c'est la seule faction
à n'avoir pas de comité de femmes impliquées dans
autre chose que les activités caritatives classiques8. Le Fatah
pouvait à la fois saper le mouvement des femmes de gauche et
commencer à établir un pont avec les groupes religieux en
soutenant la campagne du port du hijab. Les militantes ont donné
des preuves concrètes sous forme de graffiti pro-hijab à
Gaza signés par le Fatah, parmi lesquels on pouvait lire :
«c'est le devoir de nos femmes
que d'observer l'opinion de l'Islam». Cependant, cette dispute n'altère pas le
fait que les hommes gauchistes et laïcistes n'aient pas
estimé importante et prioritaire la lutte contre le hijab.
Même les considérations sécuritaires
entraînant la discrétion absolue et la menace
d'emprisonnement ne sauraient justifier la longueur du temps - toute
une année - mis à étudier un bayan sur le
problème. L'incapacité (ou la répugnance) des
hommes activistes à aborder la campagne du hijab
représente tant la faiblesse de la gauche que celle des
programmes féministes de la Cisjordanie et de Gaza. Il se peut
également que les hommes n'aient pas compris les implications
à long terme et qui sous-tendent ladite campagne parce qu'ils
n'en étaient pas les victimes directes. Une lecture de l'annexe au bayan n° 43,
jetterait davantage de lumière à la fois sur le temps
qu'il lui a fallu pour aborder la question et sur la répugnance
de la gauche et des laïcistes à régler la question
sur le terrain. La priorité absolue du manifeste n'est pas de
reculer devant la répression des femmes mais de mettre un terme
au risque de désunion causé par les attaques dont elles
sont victimes. Qui plus est, au lieu de contenir une auto critique
active, les manifestes de la UNLU et du Conseil Supérieur des
Femmes tiennent l'ennemi - force d'occupation et collaborateurs - pour
responsable des attaques contre les femmes. Les seules observations
relatives aux normes sociales traditionnelles sont
dénudées d'auto-critique ou de responsabilité.
Pire, les deux déclarations soutiennent que les actes
«sont étrangers à notre tradition et à la
religion islamique» ou «sont contraires aux normes et
traditions de notre société». Finalement, les deux
manifestes désignent positivement la religion au sein de la
société - soit de manière explicite sous le nom
d'Islam, ou de manière plus générale sous celui de
valeurs religieuses. Tout ceci dénote une position
défensive et d'excuse vis-à-vis du mouvement religieux
et, de manière plus précise, vis-à-vis du Hamas. L'ampleur avec laquelle la
responsabilité de la campagne du hijab (tout au moins dans ses
aspects les plus violents) a été simplement
rejetée sur les forces d'occupation et leurs collaborateurs
demeure problématique. Bien que le service de renseignement
israélien ait une vielle tradition qui consiste à
recourir à la «modération» pour manipuler les
prisonnières et leurs familles - surtout pour leur arracher des
aveux - ni la Direction Unifiée ni le Conseil Supérieur
des Femmes n'ont reconnu l'importance avec laquelle les forces
nationalistes ont infiltré la campagne du hijab. Le fait que les
groupes religieux l'aient promulguée et que les
éléments conservateurs de la culture palestienne se
soient opposés à l'indépendance politique des
femmes n'a jamais été suffisamment abordé. Le
bayan n° 43 a été une gifle pour les processus
anti-démocratiques et a consigné par écrit le
droit des femmes de choisir à un moment critique, mais, son
titre, «Appel à l'Unité», explique l'absence
d'une réelle auto-critique. Maintenir les groupes religieux dans
la mêlée et garder le consensus national intact est
jugé plus important que de lutter contre le sexisme et les
éléments réactionnaires. En fin de compte, non
seulement les femmes seront victimes mais aussi la gauche et les forces
laïques en souffriront. Post-scriptum Bien que le bayan n° 43 ait eu au
début un grand impact à Gaza, on assiste, depuis février 1990,
à un regain de la «campagne du hijab» avec plus de
vigueur qu'avant. A présent que l'imposition du foulard est
effective, un nouvel objectif semble avoir été
fixé : l'imposition du jilbab (robe ou veste longue). Depuis
mars 1990, des graffitis à Rafah et Khan Yunis (signés
par le Hamas ou le Fatah) ne cessent d'inviter les femmes à
porter le jilbab. Une femme de Khan
Yunis a été attaquée (d'aucuns disent
poignardée) pour avoir porté une jupe qui lui arrivait
aux genoux. Deux militantes de Rafah ont été
attaquées de façon manifeste pour la même raison. Les craintes qu'avaient les femmes au
début, quant à l'orientation que prendrait «la
campagne du hijab» semblent déjà se confirmer. Un incident survenu en avril en constitue
un signe avant-coureur, lorsque les militants du Hamas ont violemment
attaqué à coup de pierres un projet de production d'un
comité de femmes à Rafah et ont harcelé ses
membres. Les femmes décidèrent de suspendre le projet
jusqu'après le ramadan, moment où, elles
l'espéraient, les choses se calmeraient. En mars, des militants
du Hamas firent des déclarations à partir d'une
mosquée de Beit Hanoun selon lesquelles les femmes ne devraient
pas être autorisées à sortir sans un homme membre
de la famille. Jusqu'ici, la population ignore cet appel. Un graffiti de la UNLU à Rafah a
été l'unique tentative locale visant à
régler cette situation : «Qui est-ce qui profite des
attaques dirigées contre les militantes ?», y lit-on. Notes : 1. Eric Hobsbawm and Ranger, The Invention of Tradition (Cambridge : Cambridge University Press, 1983). 2. Consulter Tawfiq Canaan, Mohammedan Saints and Sanctuaries in Palestine (Jérusalem, 1927) et Shelagh Weir, Palestinian Costume (London, 1989). 3. Consulter Ze'ev Schiff et Ehud Ya'ari, Intifada ; The Palestinian Uprising-Israel's Third Front (New York : Simon and Schuster, 1990), pp. 55-7. 4. Sara Roy, The Gaza Strip Survey (Jerusalem : The West Bank Database Project, 1986), p. 32. 5. Un instructeur en sciences politiques de l'Université Islamique décrit la mutation des Mujama en Hamas à titre d'exemple des rangs inférieurs du mouvement «faisant fi du cercle» pour entrainer leur direction dans l'Intifada. 6. Le problème a continué d'exister, bien qu'à un degré moindre, chez les jeunes garçons. En septembre 1989, les comités de femmes et autres partis intéressés ont tenu une conférence interne à Jérusalem au sujet des enfants dans l'intifada ; conférence au cours de laquelle il a essentiellement été question de la manière dont il faut éduquer et réétablir l'autorité sur ce groupe d'âge. 7. Les écrivains ont fait allusion à cette relation au cours des années, mais peu d'entre eux ont été en mesure de fournir des preuves concrètes. La preuve la plus citée en exemple est que le Fatah et les groupes islamiques ont constitué un bloc lors des élections à l'université al-Najah et à l'université d'Hebron en 1981. 8. Consulter Islah Gad, «Des dames de
salon aux comités populaires : Les femmes dans le
Soulèvement», Readings in Contemporary Palestinian
Society, Vol II, (Birzeit University, 1989), Gad écrit :
«L'absence de critique sociale dans le mouvement national,
surtout de la part du Fatah qui constitue le pilier central, s'ajoute
au danger auquel le mouvement des femmes se trouve
confronté» (p. 23).
Reproduit de : Middle East Report, mai-août 1990, N° 164-165, pp. 24-28. Dept A, Suite 119, 1500 Massachusetts Avenue NW, Washington, DC 20005, États Unis. |