« Hamas d'abord, femme ensuite »


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Le mouvement islamiste présente aux législatives une douzaine de candidates, qui restent fidèlement dans la ligne politique du parti.

VOILE NOIR serré autour du visage, Oum Abdallah attend ses collaboratrices dans une Mercedes blanche, aux côtés de trois gros bras du Hamas. Numéro trois sur la liste nationale du mouvement islamiste, Jamila Shanti, de son vrai nom, termine sa campagne, la sacoche à la main. Hamas d'abord, femme ensuite : c'est ainsi que se définit cette enseignante en pédagogie à l'Université islamique de Gaza. La cinquantaine, enjouée sous son hijab, Jamila Shanti a pour «modèle», tout de même, Khadija, la première épouse du prophète Mahomet. «Au Hamas, hommes et femmes ont le même programme», dit cette célibataire, qui avoue cependant un désir de s'occuper en urgence des prisonnières palestiniennes en Israël et des handicapées.

Treize femmes, le quota autorisé à siéger au Conseil législatif, figurent parmi les candidates islamistes. En participant pour la première fois aux élections, le Hamas a saisi l'occasion de se mettre au goût du jour. Ses candidates sont plus nombreuses que celles du Fatah, le parti pourtant laïc du président de l'Autorité, Mahmoud Abbas. A Gaza, le Hamas est parti en campagne plus tôt que le Fatah. Ses postulantes en ont tiré parti. «Les femmes du Hamas ont fait du porte-à-porte», raconte un observateur. Protégée par ses mâles centurions, Oum Abdallah a sillonné le territoire, tenant quatre à cinq réunions publiques par jour depuis deux semaines. «Avec ma directrice de cabinet et mes collaboratrices, nous nous sommes partagé la tâche afin de voir le maximum de gens, et pas uniquement ceux qui pouvaient nous être proches», dit-elle.

 
«Pas de contacts directs» avec Israël

L'irruption des femmes participe d'un aggiornamento plus large du Hamas, qui veut s'imposer sur la scène politique en profitant du rejet de l'Autorité dans l'opinion. Avec un discours bien rôdé, les intégristes se donneraient presque des allures de modernistes face aux «machistes» du Fatah, parti miné par les divisions et le népotisme. «Nous devons convaincre le monde extérieur que l'islam ne soumet pas la femme palestinienne à des conditions de vie misérables», explique Oum Abdallah, qui soigne sa publicité. A l'intérieur de sa propre société, elle se bat contre les mariages forcés. «Certaines habitudes, dit-elle, sont considérées à tort comme des préceptes de l'islam. Par exemple, le fait que de nombreux parents ne demandent pas l'avis de leurs filles pour les marier, ou encore que les femmes ne puissent pas travailler. Beaucoup de Palestiniens confondent tradition et islam», regrette-t-elle.

Même si elle risque de se heurter à ses collègues masculins, Oum Abdallah profite de l'islamisation de la société palestinienne, qui n'a fait que progresser depuis la naissance du Hamas à Gaza en 1987, au début de la première révolte contre l'occupant israélien. «Nous n'avons pas besoin de demander la séparation des garçons et des filles dans les écoles, cette mesure est déjà en place», se félicite-t-elle. Le Hamas, bien que durement frappé par Israël, donne l'image d'une force tranquille, attachée à la discipline et la respectabilité. Pragmatique, la formation ne se contente pas de présenter des femmes. Elle soutient aussi des candidats chrétiens ou indépendants, et fait taire ses va-t-en-guerre qui veulent en découdre avec des policiers de l'Autorité. Au sein de son conseil dirigeant, les radicaux, comme Nizar Rayan, ont été marginalisés au profit de la tendance conduite par Ismaïl Haniyeh. C'est elle qui a imposé la participation aux élections et, très vraisemblablement, au prochain gouvernement. «Pourquoi n'y participerait-on pas ? se demande Oum Abdallah. Nous voulons des réformes, et si nous ne partageons pas le pouvoir au sein du gouvernement, nous ne réaliserons pas nos objectifs.»

Le point le plus litigieux concerne les relations que le Hamas pourrait avoir avec l'Etat hébreu. «Pas de contacts directs», dit Jamila, en écho à la rhétorique du moment. «Les Israéliens sont un ennemi, jure cette réfugiée. Mais pour régler des problèmes liés à l'intérêt général, nous sommes prêts à passer par un intermédiaire.» C'est là une astuce qui évite au Hamas d'abattre sa dernière carte – la reconnaissance d'Israël – tout en lui permettant, une fois installé au gouvernement, de se défausser sur d'autres en cas d'échec.


Georges Malbrunot, Le Figaro, 25 janvier 2006