Le vieux parti nationaliste affaibli peine face à la poussée des islamistes.

Le Hamas talonne le Fatah dans les urnes palestiniennes

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Sur la place des Lions, coeur de Ramallah, calicots et pancartes flottent à tout vent. Portraits géants, quadrichromies en pied, montages photographiques envahissent les façades des immeubles. Dans les territoires palestiniens, la campagne législative bat son plein. Les taxis ont été mis à contribution, sillonnant les rues, siglés d'autocollants. Des marchands ambulants qui n'entendent déplaire à aucun de leurs clients panachent allégrement posters nationalistes et tracts islamistes. «Pas de jaloux, c'est la démocratie», rigole Mohammed, triporteur couvert de drapeaux concurrents. Sur son étal, l'électeur hésitant peut, tout en avalant son sandwich, comparer à loisir le programme des divers prétendants à la députation.


Sang d'Arafat. Les partis palestiniens ont réquisitionné les armes ultimes du marketing moderne pour animer leur campagne. Dernier cri de ces méthodes de commercialisation, le message téléphonique vocal. Mieux qu'un texto, une voix souriante «t'appelle instamment à voter pour le sang de Yasser Arafat». Toujours orphelin du vieux chef décédé l'an passé, le Fatah mobilise ses mânes. «Vote pour le croissant vert, suggère l'annonceur du Hamas. Fais circuler ce message et tu seras béni de Dieu.»

La propagande à outrance révèle l'enjeu de la bataille. Le scrutin de mercredi prochain semble très loin d'être joué. Le Fatah, vieux mouvement nationaliste, qui jusqu'alors régnait en maître incontesté sur les institutions palestiniennes, sent le souffle du Hamas. Les islamistes se présentent pour la première fois à l'Assemblée législative, mais pourraient bien y faire une entrée fracassante. Ils ont déjà remporté les mairies des principales villes de Gaza et de Cisjordanie lors du scrutin municipal du mois dernier. Véritable électrochoc pour le parti du pouvoir qui régnait presque sans partage sur le dernier Conseil législatif palestinien, élu en 1996. À l'époque, le Hamas avait préféré boycotter la consultation, se refusant à cautionner une institution issue des accords de paix d'Oslo, dénoncés comme un leurre par les islamistes. Une stratégie payante.

Erosion constante. Au cours des dix dernières années, le Fatah a usé l'essentiel de son crédit dans des négociations souvent stériles avec Israël, pendant que le Hamas dénonçait ses reculades infructueuses et la corruption de l'Autorité palestinienne. Cette érosion constante fut tout juste ralentie par la deuxième Intifada. Le Hamas a certes pris en marche le train de la résistance, conduit discrètement par la jeune garde nationaliste issue de la première révolte des pierres. Mais une fois embarqué dans la lutte armée, le mouvement islamiste s'est montré déterminé et plus discipliné. Le Fatah, en revanche, s'est révélé un adepte du grand écart. Ses militants faisaient le coup de feu dans les diverses brigades clandestines. Sa direction, comptable de l'action diplomatique, tâchait de maintenir ouverts les canaux de négociations avec Israël. Au final, les nationalistes n'auront satisfait ni les partisans de la confrontation, ni les adeptes du compromis, et pourraient bien perdre sur les deux tableaux face à une organisation au programme plus cohérent.

Scission virtuelle. Ultime péripétie de cette absence de choix, le Fatah a entamé la course électorale avec deux listes nationales. La direction historique refusant de faire une place suffisante aux quadragénaires impatients avait bien placé leur plus éminent représentant, Marwan Barghouti, en tête de son ticket. Mais celui-ci, du fond de sa prison israélienne où il purge une peine à perpétuité, estimait ses amis trop peu servis. La garde montante décidait donc de présenter, derrière lui, ses propres candidats sur une liste dissidente baptisée Avenir. Barghouti avait beau se retrouver à la tête des deux listes concurrentes, aucun doute ne pouvait exister quant à ses inclinaisons politiques. Le président de l'Autorité palestinienne a dû jeter tout son poids dans les pourparlers pour arracher une fusion des candidatures sous le seul drapeau du Fatah officiel. Mais si l'intervention de Mahmoud Abbas aura permis de sauver la face, les plaies de cette scission virtuelle sont loin d'être fermées.

Le Fatah présente donc devant les électeurs une unité de façade qui ne trompe personne. Un lourd handicap. A Ramallah, au quartier général du Fatah, on ne trouve aucun portrait de Marwan Barghouti, tête de liste du Fatah. A contrario, au siège de campagne pour la libération du plus célèbre des prisonniers politiques palestiniens, on distribue partout son portrait, mais le numéro II, celui de la liste du Fatah, ne figurait pas sur ces affiches. En urgence, la direction locale a donc fait fabriquer des autocollants portant ce nombre et que les militants ajoutent à la hâte sur les panneaux du parti.

Dernier épisode de cette incroyable partie de crocs-en-jambe, les plus hauts responsables israéliens ont autorisé les deux grandes chaînes télévisées arabes à interviewer Barghouti dans sa geôle du Néguev. La tête de liste du Fatah a lancé un vibrant appel au civisme, plaidant pour une forte participation au vote ; il s'est prononcé pour la formation d'un gouvernement d'unité nationale ouvert au Hamas, mais a visiblement oublié de soutenir les candidats nationalistes qu'il est censé emmener à la victoire.

Didier FRANÇOIS, Libération, 24 janvier 2006