Hamas : de la lutte armée au gouvernement ?

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L’organisation islamiste qui pourrait réaliser une percée dans le scrutin d’aujourd’hui, serait tentée par une « normalisation » dans le paysage politique palestinien. Notre reportage dans la ville de Ramallah.

Ramallah, envoyée spéciale.

Au quatrième étage d’un bel immeuble en pierres de taille, au centre de Ramallah, les bureaux où le Hamas (1) a établi son état major de campagne pour la Cisjordanie ne désemplissent pas : s’y succèdent représentants des médias du monde entier, jeunes militants excités brandissant le drapeau vert du mouvement et - chose nouvelle - délégations d’observateurs internationaux venus faire plus ample connaissance avec cette organisation qui sent le souffre : Hamas a été classé sur la liste des « organisations terroristes » par les États-Unis et l’Union européenne. Pourtant, des députés européens et français ont franchi le pas. « Puisque le Hamas se présente aux élections, autant écouter ce qu’il à dire » disait hier le député communiste Jacques Bruhnes, membre de la délégation de l’Assemblée croisée chez celle qui défend les couleurs du mouvement islamique à Ramallah, Mariam Saleh.

La participation du Hamas est l’événement de ces élections et son score l’objet de toutes les spéculations. Va-t-il où non dépasser le Fatah ? Participera-t-il au gouvernement ? Va-t-il ou non accepter des négociations avec Israël, que sa Chartre prévoit de détruire - mais ce point a disparu de son programme électoral.

Les réponses des différents responsables ne sont pas exactement les mêmes. Mariam Saleh, l’une des treize femmes candidates du Hamas, n’exclut pas de participer au gouvernement : « Si on me le demande, pourquoi pas ? » dit cette mère de sept enfants, islamologue à l’Université Al Qods.

Farat Asaad, directeur de campagne, la cinquantaine barbue, est plus réservé : « Nous n’envisageons pas de participer au gouvernement, dit-il, à moins que son programme coïncide avec le nôtre ». Il rejette l’appel lancé, depuis sa prison, par le chef de la liste du Fatah, Marwan Barghouti, à un « gouvernement d’union nationale et de salut public » qui réunirait « toutes les organisations palestiniennes » avec comme programme de mettre fin à l’occupation israélienne. « Je respecte Marwan, dit-il. Nous avons lutté main dans la main, mais sa position de leader de l’Intifada ne colle pas avec celle de tête de liste du Fatah. Il a raison de dire qu’il faut s’unir contre l’occupation, mais nous ne pouvons pas nous unir avec les gens qui se cachent derrière lui sur la liste du Fatah ».

Abduljaber Fukaha, jeune membre de la Commission électorale, est plus souple : « Hamas, dit-il, est un mouvement pragmatique qui accepte la réalité telle qu’elle est et les lois internationales. En ce qui concerne la sécurité, nous ne sommes pas prêts à négocier avec Israël, mais nous sommes prêts à prolonger la " hudna " (trêve des attentats, observée depuis un an) pour une très longue période - quinze, vingt, trente ans. À condition qu’Israël la respecte aussi, ce qu’il ne fait pas. » Pour lui, plus question de détruire Israël : « La coopération est possible avec les Israéliens s’ils nous laissent avoir un état indépendant dans les frontières de 1967. »

Car Hamas arrive à ces élections fort de son succès aux municipales, remportées dans plusieurs villes. À Naplouse ou el Bireh, l’expérience est trop courte pour que l’on puisse en juger. Mais Qalkilia est détenue par Hamas depuis mai dernier. Si les habitants lui savent gré d’avoir amélioré certains services municipaux - « ils ont remplacé les copains par des gens compétents et qui travaillent » dit une femme -, ils s’inquiètent de décisions qui visent à imposer une vision islamique de la société. « Ils essaient, dit Mouhanab Abdlehamid, éditorialiste à Al Hayam, d’imposer la séparation entre les sexes. Ils font pression en ce sens sur le président de l’Université. Ils ont interdit, en juillet, le concert du jeune chanteur Amar Assad. Ils ont fait la même chose à Naplouse où ils ont aussi fermé le cinéma ». Une censure qui a rendu furieux Mahmoud Darwish qui a, aussitôt, écrit un poème intitulé Nous n’avons pas besoin de talibans.

Nul doute que cet aspect des choses ne détourne pas certains électeurs - et électrices - de mettre dans l’urne le bulletin du Hamas. Mais pour beaucoup d’autres, et notamment les plus pauvres, la tentation est grande d’exprimer ainsi leur désespoir. « Les électeurs du Hamas, explique Ilan Alevi, se divisent en trois contingents à peu près égaux : ceux qui veulent vraiment une société islamique, ceux qui approuvent leur manière de résister, et ceux qui veulent punir le Fatah, assimilé à l’Autorité palestinienne, pour avoir laissé la situation empirer et n’avoir pas combattu la corruption ».

(1) Hamas : Mouvement de la résistance islamique, fondé en 1987 au début de la première Intifada, par Cheikh Yassine, assassiné il y a un an par un missile israélien à Gaza.

Françoise Germain-Robin, L'Humanité, 25 janvier 2005