Hiyam Ajaj avait 32 ans. Elle
vivait dans le village de Deir Jrir en Palestine. Elle était
enceinte de six mois. Elle a été assassinée par
ses
frères le 31 août ou le 1er septembre 2005.
Empoisonnée, elle a ensuite
été enterrée rapidement, comme on enterre un chien. Le corps d'une femme de 40 ans a été retrouvé le 15 septembre dans la zone industrielle d'Holon, en Israël. Le corps de la victime était tellement marqué par les coups qu'il a fallu plusieurs heures à la police pour l'identifier. Cette femme se prostituait et l'assassin serait, selon les dépèches, un client. Pourquoi Hiyam a-t-elle
été condamnée à mort par sa famille ? Parce
qu'elle avait couché avec un chrétien du village voisin ?
Pour "laver l'honneur de la famille" diront ses assassins ; "à
cause des coutûmes et des traditions" diront des sociologues. Non ! Si Hiyam a
été tuée cet été, comme l'ont
été Faten Habash ou Rudaina et Amany Shurikat en mai
dernier, comme l'ont été tant d'autres avant, dont
certaines dont on ne connait même pas le nom, c'est parce qu'elle
été une femme ! Personne ne s'inquiète qu'un
garçon soit vierge avant le mariage ! Jamais un garçon
n'a à se soumettre à un test de virginité ! Jamais
un garçon n'est tué par sa soeur pour avoir eu une
histoire d'amour hors du cadre du mariage ! A-t-on déjà
entendu parler d'une soeur qui assassine son frère parce qu'il
n'est plus vierge ? Pourquoi une femme,
déjà condamnée à la prostitution, a-t-elle
été tuée dans la zone industrielle d'Holon, comme
tant d'autres avant elle ? Parce qu'elle avait refusé une passe
? Parce qu'elle ne voulait pas accepter un fantasme d'homme ? Non ! Si cette femme a
été tuée, c'est aussi parce qu'elle est une femme,
tout comme c'est parce qu'elle est une femme qu'elle a
été condamnée à la prostitution. On n'a
jamais vu une femme devenir proxénète et mettre un homme
sur le trottoir ! De même, il n'y a pas de femmes qui, pour
satisfaire un désir de domination, vont acheter un homme pour
une passe rapide, une relation sans amour ni tendresse, vont aller
jusqu'à cette abomination qui consiste à transformer ce
qui devrait être un moment de tendresse et de plaisir
partagés en une sordide transaction marchande. Que l'on cesse de chercher des
justifications sociologiques ou religieuses pour "comprendre" le
meurtre de Hiyam, la raison de ce meurtre et de tous ces meurtres
similaires, c'est la dictature patriarcale que subissent les femmes,
cette dictature qui donne le droit aux hommes de disposer des corps et
de la vie de leurs épouses, de leurs soeurs et de leurs filles,
cette dictature qui sévit en Palestine comme partout dans le
monde. Hiyam a été tuée parce qu'elle avait eu des
relations sexuelles hors du cadre du mariage, deux semaine plus tard,
le 15 septembre, c'est en Israël, dans la zone industrielle
d'Holon, que la police découvre le corps d'une femme,
prostituée, assassinée, peut-être parce qu'elle
refusait une relation sexuelle. Quoique fasse une femme, elle peut
être tuée, seulement parce qu'elle est née femme. Virginité ou
sexualité imposées sont les deux faces d'une même
pièce. Que l'on contrôle sa virginité ou qu'on la
prostitue, la logique est la même : la femme n'a pas le droit de
disposer de son corps. Ce corps, son corps, est accaparé par
d'autres, par des hommes, par le père et les frères, ou
par le proxénète et les clients. Ce corps, son corps, ne lui appartient pas.
Interdiction formelle d'aimer qui on veut ou obligation de se soumettre
aux caprices d'un homme, on nie même à la femme le droit
d'avoir ses sentiments propres. Dans les familles musulmanes, on
sacrifie un mouton pour fêter la naissance d'un garçon,
mais pour une fille, on n'offrira un mouton que bien des années
plus tard, lorsqu'elle sera enfin mariée, casée, passant
de l'autorité de son père et de ses frères
à celle de son mari. Chez les juifs, les hommes remercient
chaque jour leur dieu de ne pas les avoir fait femmes. Dans les
églises chrétiennes aussi, on enseigne la soumission de
la femme et la domination de l'homme. Méprisée par toutes
les religions, les femmes sont assassinées dans les
sociétés patriarcales traditionnelles au nom de
"l'honneur" de la famille, soumises à un pouvoir qui leur nie
toute autonomie dans leur vie affective et sexuelle ; dans les pays
impérialistes modernes, elles sont exhibées comme objets
sexuels, vendues comme prostituées, transformées en
marchandises pour l'industrie pornographique. Enterrées vivantes dans
l'Arabie pré-islamique, brûlées comme
sorcières dans l'Europe chrétienne, enfermées dans
les harems des aristocrates ottomans, déportées à
Ravensbrück pour des baisers volés à un amant "pas
assez allemand", ou tondues à la libération pour les
mêmes baisers mais donnés, cette fois, à un amant
"trop allemand", mutilées en Afrique de l'Est,
assassinées pour "l'honneur" au Moyen-Orient ou "par passion" en
Occident, mariées de force au Maghreb ou répudiées
à Méa Shéarim, vendues comme prostituées
d'Amsterdam à Johannesburg, emprisonnées dans des bordels
ou au domicile conjugal, transformées en butin pour soldats,
violées et massacrées à Sebrenica ou dans les
maquis d'Algérie, lapidées en Iran, au Pakistan ou en
Afghanistan, insultées, sifflées comme des chiens,
agressées, violées et battues aux quatres coins du monde,
massacrées dans tous les pays, ... on ne produira jamais
assez de papier pour décrire toutes les violences, toutes les
souffrances, toutes les atrocités qu'ont subit et que continuent
de subir des êtres humains uniquement parce qu'elles sont des
femmes. Hiyam, la Palestinienne, ne
connaissait pas la prostituée israélienne.
Et pourtant, elles sont comme deux soeurs, assassinées par un
même
ordre patriarcal, tuées pour la même raison,
massacrées parce qu'elles
sont des femmes. Ni nos larmes, ni notre haine ne les feront revenir
à
la vie. Mais que leur souvenir reste dans nos coeurs, comme un drapeau,
comme le souvenir de ces milliards de femmes méprisées,
exploitées, opprimées, assassinées, uniquement
parce qu'elles sont des
femmes. Yasmina
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