Imane aime son mari, ses enfants et Oum Kalsoum. La musique habite sa vie et chacune de ses émotions. Tout au long de la journée, elle fredonne et reprend des chansons d’Oum Kalsoum pour le plus grand bonheur des siens. Seulement, elle est une femme syrienne et aux yeux des hommes, elle n’est respectable que dans le silence. Plutôt que de vivre le déshonneur, sa famille décide de l’assassiner |
La belle
d’Alep a une voix de velours Article paru dans "L'Humanité" du 10 août
2005
Témoignage. Avec courage et bravoure, Mohamed Malas dénonce les dérives idéologiques de la société syrienne rongée par le machisme. Passion, de Mohamed Malas. Syrie. 1 h 38. C’est un couple enlacé et une voix féminine, au début du film : « Tu sais Adnane, quand j’écoute Oum Kalsoum, mon coeur s’emplit de joie, je ressens une vague de chaleur déferler en moi et le désir de chanter m’envahit. » Souvenir de la femme dans sa robe de mariée. Ainsi s’ouvre l’oeuvre, sous le signe de la sensualité, qui embrasse aussitôt le lieu, Alep, ville amoureusement caressée par la caméra dans un panoramique à 360 degrés. Soit donc Alep, connue pour son goût de la musique, et une évocation, celle de la chanson arabe tout emplie de volupté dont l’Égyptienne Oum Kalsoum fut la plus célèbre représentante. Soit aussi un temps, septembre 2000, alors que meurt le président Hafiz Al Asad et que vont se dérouler des élections « dans un climat de libre compétition » (la radio). Le fils du défunt sera élu, comme on sait. Dehors, deux hommes écoutent la nuit au volet de la belle, tels des voyeurs de l’ouïe : « Elle chante, que Dieu lui pardonne. » On sait, depuis les Rêves de la ville, Mohamed Malas fin politique. Il suffit de voir le linge qui sèche à la fenêtre, aussi intime que peut le permettre la censure, alors qu’elle chante. L’oncle arrive pour emmener la fillette dont la femme avait la garde. Un recadrage fait que le linge vu n’est plus le même : « Nous l’élèverons à notre manière, pas à la tienne. » Alors qu’ils partent, un voile sur les cheveux tombe sous l’effet de la pluie. Cela s’appelle faire du cinéma. Obtenir que du sens passe malgré et au-delà du discours, unique référent de censeurs heureusement obtus. Au départ, il y a un fait divers. Un entrefilet dans un journal apprend au réalisateur qu’un frère, deux de ses cousins et son oncle ont assassiné une femme qui ne pouvait qu’être infidèle à son mari puisqu’elle chantait. À l’arrivée, il y a un film, courageux, qui fouille là où ça fait mal dans une société rongée par le machisme, où l’insécurité des hommes tente de trouver une compensation dans la soumission obligée de la femme. Malas refuse les faux-semblants. La faute n’est à chercher ni du côté de la pauvreté (la famille qui tient un petit restaurant de volaille n’est pas mal lotie), ni dans l’ignorance des campagnes (nous sommes dans la deu- xième ville du pays), ni dans l’état juif voisin, ni même du côté des forces américaines massées dans le Golfe. Face à son miroir, la belle chante et Malas regarde la Syrie. Les nouvelles du cinéma de ce pays sont trop rares pour se passer de celles-ci. Jean Roy |