La santé des
femmes palestiniennes pendant la seconde
Intifada :
Quelques faits
et chiffres, avril 2005
Ce tableau synthètique
sur la santé des femmes et le conflit a été
réalisé par la WCLAC pour la conférence
organisée à Ramallah du 25 au 27 avril sur la
santé des femmes.
En
conséquence des interventions militaires, des blocages et
couvre-feux, des
licenciements de palestiniens, des confiscations et expropriations de
terres,
des démolitions de maisons et de la construction du Mur, le
revenu moyen des
foyers palestiniens a baissé de plus de 33% et un quart de la
force de travail
est sans-emploi depuis le début de la seconde Intifada. 47% des
palestiniens
vivent en dessous du seuil de pauvreté officiel (2,1 $ par jour
et par
personne) et 16% des palestiniens vivent en dessous du seuil minimum de
subsistance[1].
A
cause du Mur, 83% des familles vivant dans les environ du Mur ont des
difficultés pour accéder aux marchés locaux et aux
marchandises et 47% des
familles considèrent que l’augmentation du prix des produits les
rendent
inabordables[2].
11%
des ménages touchés par la pauvreté sont des
ménages où le chef de famille est
une femme[3].
Les effets des difficultés économiques sur les
ménages avec une femme comme
chef de famille sont particulièrement graves, puisqu’on attend
des femmes
qu’elles prennent en charge leur famille, mais qu’elles ont, en raison
de
l’étau culturel et social, comme le fait de ne pas pouvoir
voyager seule, moins
de moyens que les hommes pour y faire face.
Les
restrictions du mouvement des marchandises ont un impact sur la
sécuritaire
alimentaire et la santé des femmes et des enfants. 4 foyers sur
10 sont en
insécurité chronique et il y a eu une baisse de 73% de la
quantité et de la
qualité de la nourriture en Cisjordanie et à Gaza[4].
Le manque d’accès à la nourriture rend le régime
pauvre en vitamines et en
minéraux ce qui crée un cercle vicieux quant à la
santé particulièrement pour
les femmes et les enfants. Une nutrition pauvre entraîne des
système
immunitaires plus faibles et les mères de condition fragile
donneront naissance
à des bébés de santé fragile. Ces
bébés grandissent jusqu’à ce qu’elles
deviennent elles-mêmes des mères et les maladies se
renforcent[5].
Conséquence
de la malnutrition, entre octobre 2003 et septembre 2004,
l’Organisation
Mondiale de la Santé a constaté que 67,7% des 1.768
femmes qui sont venues
consulter en un mois souffraient d’anémie. En tout, 31% des
femmes enceintes
sont anémiques[6].
Le
prix des soins rendent difficile l’accès à des services
de santé de qualité ou
de payer pour la médecine. Il y a des cas où des patients
ont été obligé de
prendre des ambulances israéliennes pour passer des check-points
que les
ambulances cisjordaniennes ne peuvent pas passer, or une ambulance
privée coûte
environ 80$ pour une course de cinq minutes en direction de
l’hôpital alors que
les services Magen David peut coûter jusqu’à 150$[7]. Les patients sont obligés de choisir
entre
ce qui semble nécessaire pour les soins et ce qui ne l’est pas
à cause du
manque d’argent[8].
Selon une
estimation, 30% des ménages n’ont pas d’assurance sociale[9].
Les
mariages jeunes sont en hausse parce que les familles ne peuvent pas
prendre en
charge leurs enfants et parce que les familles que leurs filles partent
pour
faire des études et cherchent à les en empêcher.
Les mariages jeunes sont la
raison pour laquelle 46,9% des étudiantes arrêtent leurs
études,
essentiellement dans le secondaire[10].
Dans les villages touchés par la construction du mur, 49,4% des
filles sont
mariées à 18 ans et 46,9% épousent leur cousin au
premier ou au deuxième
degrés. La création d’enclaves à cause du mur va
renforcer les mariages
consanguins, qui sont la cause principale des
dégénérescences génétiques chez
les nouveaux nés. Les maladies génétiques sont la
principale cause des décès
des nouveaux nés. En plus, à cause de leur localisation,
ces femmes sont
éloignées des institutions qui travaillent pour les
accompagner[11].
L’accès
restreint aux services de soin met en danger la santé des gens
qui ont besoin
d’une aide d’urgence, décourage les gens de se préoccuper
de leur santé et
encourage l’automédication, dégradant ainsi leur
santé et rendant les soins
plus longs et plus coûteux[12].
Depuis
2002, le nombre d’accouchements à domicile est passé de
5,2% en 2000 à plus de
30% en 2003. Cela est plus dû aux check-points,
couvre-feux, blocages et au Mur que d’un choix[13].
Entre
septembre 2000 et octobre 2004, 61 femmes ont accouché aux
check-points et on y
a compté 36 bébés morts-nés[14].
Le
nombre de femmes bénéficiant de soins postnataux a
baissé de 95,6% à 82,4%.
37,9% des femmes interrogées considèrent
qu’accéder aux services de soins est
devenu difficile. 44% de ces femmes considèrent que c’est l’occupation qui est responsable de cela et
27% que c’est à cause de leur situation financière[15].
A
cause des restrictions de mouvement, le nombre d’accouchement à
domicile, en
absence de sages-femmes professionnelles, ou avec des sages-femmes qui
ont des
années d’expérience mais aucune formation
médicale, est en augmentation. A
Gaza, le nombre d’accouchements à domicile sans sages-femmes est
estimé à 10 ou
12 par jour[16].
Il
est difficile pour les femmes de trouver les produits d’hygiène
ou de santé
comme des serviettes hygiéniques ou des pilules contraceptives
puisque
l’approvisionnement de ces produits n’est pas assuré[17].
Il
y a un manque en Palestine de femmes-sages qui ont une
expérience et une
formation suffisante pour les accouchements à domicile. Le
personnel de santé
appelé en urgence pour des accouchements à domicile n’a
aucune expérience dans
les techniques d’accouchements sans matériel ou ne connaît
rien à
l’accouchement à domicile[18].
Les
femmes préfèrent rencontrer des médecins
femmes ; cependant, selon le
Registre de l’Association Médicale, seuls 22 (16%) des 137
obstétriciens
enregistrés étaient des femmes en 2003. Même si ces
obstétriciens sont bien
disséminés en Cisjordanie, les femmes ne peuvent pas
forcément y avoir accès,
car la plupart d’entre eux sont dans des zones urbaines
séparées des villages
et bourgs[19].
Il
y a un manque de sages-femmes qui travaillent comme
référents principaux dans
les soins périnataux pour limiter les risques chez la
mère et les nouveaux nés
pendant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale.
En Palestine, il
y a 436 sages-femmes, soit approximativement 13 pour 100.000 personnes,
un taux
peu élevé en comparaison avec celui de la plupart des
pays européens et
développés. Le taux d’infirmières et de
sages-femmes par rapport à la
population est approximativement de 120 pour 100.000, que l’on peut
comparer
aux taux de 250 / 100.000 en Jordanie, 550 /100.000 en Israël et
de 669 /
100.000 en Europe[20].
Le
personnel de santé est soumis aux mêmes restrictions de
mouvement. En 2003,
l’absence de possibilités d’accès aux cliniques rurales
pour le personnel était
la raison principale des suspensions des services de soin. Dans
certaines
zones, le taux de suspension des services était de 35% à
45%[21].
La Croix Rouge et d’autres équipes médicales mobiles ont
du mal à délivrer des
soins dans les zones rurales. Selon les ordres de l’administration
israélienne
civile, les ambulances ne peuvent pas passer de plein droit aux
check-points,
mais le soldat peut autoriser ou non le passage selon l’état du
patient.
Depuis
la construction du Mur en juin 2002, l’accès direct aux
hôpitaux, spécialistes,
laboratoires, et autres services sanitaires ou paramédicaux a
été perturbé pour
200.000 Palestiniens. Lorsque le Mur sera fini, 32,7% des villages de
Cisjordanie n’auront plus d’accès libre et ouvert pour leurs
centres de soin.
80,7% des gens vivant dans ces zones et enclaves ne pourront plus
accéder aux
cliniques de premier secours, aux centres médicaux et aux
hôpitaux lorsqu’ils
en auront besoin[22].
En
2002, lors de la première phase de construction du Mur, le
ministère de la
santé estimait que 117.600 femmes enceintes n’auront plus
accès aux soins
prénataux, à l’accouchement en hôpital et aux soins
postnataux[23].
Les
femmes enceintes, en particulier celles qui ont une grossesse à
risque, sont
particulièrement touchées par les restrictions de
mouvements dus au Mur. Par
exemple, à l’est de Bethlehem, les patientes des villages de
Battir, Husan,
Wadi Fukin, Jabaha et d’Al Walaja ne seront pas seulement dans des
enclaves
isolés, mais n’auront pas la possibilité d’aller à
Bethlehem à cause du Mur
entourant la ville. Il sera impossible pour les femmes enceintes lors
d’un
accouchement difficile d’arriver à temps à un
hôpital depuis ces villages[24].
Yakin
Ertürk, Rapporteuse Spéciale sur la violence contre les
femmes, ses causes et
ses conséquences, affirme que « l’occupation a
perverti tous les aspects
de la vie et renforcé la violation des droits
économiques, sociaux et
culturels, tout comme les droits civils et politiques » et
que
« l’inégalité en général et
l’inégalité entre les sexes en particulier
sont plus prononcées en situation de conflit et de
crise ». Son rapport
montre aussi que « la violence de l’environnement exacerbe
la violence
domestique, considérant que l’exposition des parents et des
enfants à la
violence politique renforce la violence au sein de la
famille »[25].
Toutes
les conséquences de l’occupation (hausse de la pauvreté,
chômage, destruction
de maisons, etc.) ont comme résultat la légitimation et
l’augmentation de la
violence domestique comme moyen pour résoudre les conflits.
Selon un sondage de
2002, 53,7% des personnes interrogées pensent que la police n’a
pas à
intervenir lorsqu’un homme est violent avec sa femme, car il s’agit
d’une
affaire de famille. 86% des personnes interrogées pensent que la
situation
sociale, économique et politique a fait augmenter la violence
contre les
femmes. 52,5% des personnes interrogées pensent que les coutumes
et traditions
constituent une barrière à l’émancipation des
femmes[26].
En
1998, il y avait huit cas de fémicides ou « crimes
d’honneur » à Gaza
et en Cisjordanie. En 2002, on comptait 31 cas[27].
Entre 2000 et 2004, on comptabilise 21 cas de fémicides ou
« crimes
d’honneur » dans la seule Bande de Gaza[28].
Peu
d’incidents sont rapportés en raison du manque de confiance et
de foi dans la
police palestinienne et dans l’Autorité Nationale Palestinienne,
dont les
possibilités pour faire appliquer la loi sont minées par
l’occupation. La
police est immobilisée par les blocages et les couvre-feux et
n’a pas le droit
de porter d’armes. Aucune législation portant sur la protection
des femmes n’a
été prise, à cause des affaires urgentes,
« plus importantes » de
l’Autorité Palestinienne qui ne prennent pas en compte les
questions sociales.
En conséquence, l’utilisation de systèmes tribaux, qui ne
s’intéressent et se
documentent que rarement sur les cas de violences basées sur le
genre, pour
résoudre les disputes devient de plus en plus commun.
Les
restrictions de mouvement ont brisé la structuration des liens
sociaux de la
famille palestinienne. En conséquence, les femmes dans le besoin
sont séparées
du soutien de leur famille. Le Bureau Central Palestinien des
Statistiques
indique que 30,6% des foyers palestiniens ou individus vivant dans les
localités affectées par le Mur sont séparés
de membres de leurs familles. 2,6%
des foyers palestiniens dans les localités affectées par
le Mur sont séparées
du père[29].
Les ruptures familiales sont fréquentes, surtout dans les zones
autour de
Jérusalem où on trouve différentes cartes
d’identité. Souvent, les couples
doivent louer deux habitations, en Cisjordanie et à
Jérusalem, ce qui renforce
encore les difficultés et la pression économiques sur la
famille.
C’est
avant tout aux femmes que revient la responsabilité d’assurer
l’approvisionnement en nourriture de la famille. Aussi, leurs
responsabilités
incluent d’assurer le bien-être de leur mari et de leurs enfants.
Les femmes
dont le mari a été tué ou est en prison doivent
assumer seules ce fardeau. Les
démolitions de maisons, les restrictions de mouvement, la
pauvreté, le chômage,
tout comme les soins aux membres de la famille blessés et les
problèmes des
enfants et adolescents exacerbent cette pression.
Les
femmes palestiniennes subissent cette pression avec peu de moyens et de
soutien, et les femmes palestiniennes et leurs enfants sont souvent
atteintes
de troubles psychologiques comme la dépression et
l’anxiété. Dans un rapport de
2001 du Bureau Central Palestinien des Statistiques, on peut voir que
plus de
la moitié des femmes interrogées ont des crises de
larmes, qu’un tiers d’entre
elles disent penser « trop souvent » à la
mort, que 46% parlent d’un
sentiment de désespoir et de frustration, et 29% disent qu’elles
se sentent
tristes et souffrent de troubles nerveux[30].
Les
femmes de Cisjordanie ont tendance à associer leur
qualité de vie à leur place
de soutien dans la famille, alors que les hommes ont tendance à
l’associer
principalement à l’occupation[31].
Selon
une étude, 50% des foyers étudiés sont
touchés par la maladie mentale ou
physique dans la famille à cause du conflit. Les femmes sont les
plus touchées
par les maladies mentales[32].
[1] Banque Mondiale (2004) Quatre ans
d’Intifada, de
fermetures et la crise de l’économie palestinienne : une
étude.
[2] UNISPAL (2005), Communiqué de
Presse, Journée Mondiale de la
Santé 2005
[3] UNISPAL (2005), Communiqué de
Presse, Journée Internationale des
Femmes 2005.
[4] Service d’Information de l’ONU,
« L’expérience
de la pauvreté extrême des femmes palestiniennes due
à l’absence du
mari », 15 février 2005.
[5] Médecins du Monde (2005) : La
barrière
finale : impact du Mur sur le système de santé
palestinien, février.
[6] Voir note 2.
[7] Voir note 5.
[8] Voir note 5. Une requête typique
des patients est
que le pharmacien ne donne que la moitié ou le quart des
médicaments prescrits
par le médecins.
[9] Etude basée sur 1.897 foyer
à Naplouse, Ramallah,
Hébron, Gaza-ville et Rafah. Ministère de la Santé
Palestinien, Université d’Al
Quds, OMC (2003), « Accès aux services de
santé en Cisjordanie et à
Gaza : faits et chiffres ».
[10] Voir note 2.
[11] Voir note 5.
[12] Voir note 5.
[13] Si le taux d’accouchements à
domicile n’est pas
nécessairement un indicateur de la pauvreté du
système de soin à la naissance,
il est important de noter le changement alors que la majorité
des femmes
avaient choisi d’accoucher à l’hôpital ces deux
dernières décennies (depuis
1967 lorsque Israël avait fait la promotion de l’hospitalisation
des naissances
et sous le ministre de la santé de l’Autorité
Palestinienne depuis 194).
Voir : Wick, L. et Mikki, N. (2004) « Naissances
en Palestine :
Rapport sur les pratiques ». Institut de Santé
Communautaire et Publique,
Université de Birzeit, Birzeit, Palestine.
[14] Voir note 2.
[15] Ertürk, Y (2005),
« Intégration des droits
humains des femmes et perspective de genre : la violence contre
les
femmes », rapport sur la violence contre les femmes, ses
causes et
conséquences », commission de l’ONU sur les droits
humains, 2 février.
[16] Cité par Kuttab E. (2002).
« L’impact du
conflit armé sur les femmes palestiniennes » (avril).
[17] Ibid.
[18] Voir note 13.
[19] Voir note 13.
[20] Voir note 13.
[21] Voir note 13.
[22] Voir note 5.
[23] Voir note 5.
[24] Voir note 5. Les grossesses à
risque peuvent amener
des maladies graves ou la mort. La grossesse elle-même peut
créer des
complications en cas de risques comme les diabètes et
hémophilies. De
nombreuses femmes souffrant de maladies chroniques ont besoin d’une
attention
particulière pendant leur grossesse.
[25] Voir note 15.
[26] Société pour le
développement des Femmes
Travailleuses (2002), « La violence contre les femmes en
Palestine, étude
de l’opinion publique ». Cité par Ertürk Y.
(2005).
[27] UNIFEM, « Profit de genre du
conflit dans les
territoires occupés ». Le fémicide y est
défini comme « tout acte
violents conduisant à la mort d’une femme ou d’une fille pour
des raisons
« d’honneur » ». Shalhoub-Kervorkian
(2004) « Carte et
analyse du fémicide dans la société de
Palestine », WCALC, Jérusalem.
[28] E-mail envoyé par la direction de
la police de Gaza.
[29] Rapport des ONG alternatives sur
l’implantation
israélienne à la convention de l’ONU sur
l’élimination de toutes les formes de
discriminations contre les femmes dans les territoires occupés.
25 janvier
2005, WCLAC, Al-Haq, et Centre Palestinien pour les Droits Humains.
[30] WAFA, Agence de Presse Palestinienne
(2004)
« BCPS : le Mur de l’Apartheid sépare 80,7% de
la population des services
médicaux » (24 août).
[31] Giacama, R et Al (2004) :
« Qualité de vie
dans les territoires palestiniens occupés, institutions
communautaire et santé
publique », Université de Birzeit.
[32] Voir note 27