« Crimes d’honneur » en Palestine

Synthèse de différents articles publiés sur le sujet

Comme dans de nombreux pays du Moyen-Orient[1], les femmes de Palestine sont elles-aussi victimes de ces « crimes d’honneur[2] ». Si en décembre 2004, l’ONU estimait lors de la conférence de Stockholm à 5.000 le nombre de femmes victimes de crimes d’honneur chaque année dans le monde, il est bien entendu difficile de chiffrer l’ampleur du phénomène en Palestine comme ailleurs. Quelques estimations, tirées de différentes sources, peuvent cependant donner une idée. Selon Suzanne Ruggi[3], qui se base sur différentes sources, on comptait officiellement vingt meurtres d’honneur dans la bande de Gaza et en Cisjordanie en 1996, tandis qu’un rapport « non-officiel » d’un groupe de femmes parlait d’une quarantaine de meurtres d’honneur « ces derniers temps » rien qu’à Gaza. Et pendant l’été 1997, Khaled Al-Qudra, procureur général de l’autorité palestinienne, indiquait qu’il estimait que 70% des assassinats en Palestine étaient en fait des meurtres d’honneur. En 1999, plus de deux tiers des meurtres commis dans la bande de Gaza et en Cisjordanie ont été des assassinats pour " l'honneur". Dans un article publié dans « Le Monde » en septembre 2004, on peut lire : « "Officiellement, trente-six jeunes femmes ont été tuées dans le cadre de crimes d'honneur, ces dix-huit derniers mois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Mais on peut penser qu'en réalité il y en a eu trois fois plus", assure Eskandar Andon, assistant social à l'hôpital de la Sainte-Famille à Bethléem. "Sur les cas avérés, poursuit-il, moins d'une dizaine étaient des prostituées. Les autres ont été tuées alors qu'elles avaient perdu leur virginité ou qu'elles s'étaient retrouvé enceintes à la suite d'incestes. " »

Et pour bien montrer que ces crimes d’honneur sont au cœur d’un système basé sur l’oppression des femmes et dépassent le cadre religieux, on peut rappeler que le 30 avril 2005, à Ramallah, c’est une jeune fille chrétienne qui a été exécutée par sa famille. Elle avait commis le « crime » d’être amoureuse d’un jeune musulman…

Le principe de cette tradition barbare est de légitimer l'assassinat, par un membre de la famille, d'une fille ou d’une jeune femme suspectée d'avoir enfreint le code d'honneur familial, c’est-à-dire le plus souvent une attitude remettant en cause la virginité de la fille (relation sexuelle consentie, viol, inceste, rumeurs), le fait d'avoir été vue avec un garçon, une tenue vestimentaire jugée indécente, rentrer chez soi tard le soir, parler au téléphone avec un ami peut éveiller les soupçons des proches et les conduire au crime d'honneur. Différents moyens sont utilisés pour assassiner ces jeunes filles, elles sont le plus souvent empoisonnées, égorgées, fusillées, étranglées, poignardées ou encore arrosées d'essence puis brûlées. Et bien souvent, la société reconnaît « qu’ils n’avaient pas le choix »... Ainsi, sur la chaîne de télévision iranienne Al Alam (diffusée en arabe et par satellite), dans une émission consacrée à la famille et au couple le 7 février 2005, Nayla Rachdane, ancienne députée jordanienne affirme : « Les ONG internationales développent des sujets jusque-là inconnus et étrangers à nos sociétés, dont le libertinage, la sexualité et le divorce… Leur objectif, celui de leur infiltration, est de peser sur nos sociétés afin d'obtenir des amendements législatifs qui aboutissent à la dislocation de la famille et de la société. Je prends l'exemple de l'abolition des crimes d'honneur. Ils veulent que l'homme, s'il surprend sa femme avec un amant, ne puisse pas réagir. Ils veulent faire réprimer ces crimes d'honneur, oubliant que l'homme aussi a sa dignité et son honneur… Je ne défends pas ces crimes, mais je reconnais qu'un homme qui tue sa femme dans des cas pareils doit bénéficier de circonstances atténuantes. » Et plus clairement encore, en août 2001, le ministre de la Justice jordanien, Abdul Karim Dughmi, déclarait : « Toutes ces femmes tuées au nom de l'honneur sont des prostituées. Je crois que les prostituées méritent la mort. »

Au niveau juridique, le meurtrier n’a que très peu de risque de se retrouver devant un tribunal, et quand bien il serait condamné, il ne risque pas une lourde peine. En Cisjordanie, c’est à ce sujet la loi jordanienne qui est appliquée, et d’après l'article 341, le meurtre est considéré comme un acte de légitime la défense quand "l'acte de tuer ou de nuire à des autres a été commis pour défendre sa vie, ou son honneur, ou la vie ou l'honneur d'un autre." En l’an 2000, la chambre basse du parlement jordanien (masculin à 100%) a, pour la deuxième fois, refusé l’abrogation de cet article. D’ailleurs, si l’article 341 apparaît comme une protection claire des « meurtriers d’honneur », l’article 98 du Code Pénal jordanien prévoir lui-aussi que lorsqu’un crime a été perpétré dans “un accès de rage” suscité par un acte illégal ou dangereux commis par la victime, son auteur doit pouvoir bénéficier de l’indulgence du tribunal[4]. Cela dit le crime d’honneur n’a rien à voir avec le crime passionnel, ce ne sont pas des meurtres perpétrés dans des « accès de rage », mais bien des peines capitales, décidées froidement par les hommes de la famille (frères, père, beaux-frères…) qui désignent eux-mêmes celui qui sera le bourreau.

En clair, le meurtrier « d’honneur » n’est pas poursuivi, comme le rappelle au printemps 2005 l’organisation palestinienne RWDS (Rural Women’s Development) dans un communiqué suite à l’assassinat de deux jeunes femmes, âgées de 17 et 18 ans, à Bethlehem et à Tulkamen par des membres de leur famille : « Ces meurtres ont été perpétrés pour des raisons d'honneur par des membres de la famille et s'inscrivent dans une longue série de tels crimes. Puisque la législation palestinienne est basée sur celle de la Jordanie, ce genre de parricide n'est pas poursuivi en justice, ce qui fait que l'Autorité Nationale Palestinienne et ses institutions ne prennent aucune mesure afin d'arrêter ces graves violations des droits de l'homme ».

Ces "crimes d'honneur", impunis le plus souvent, sont une véritable peine capitale reservée aux femmes, qui, par leur existence même visent à assurer la domination la plus violente des hommes sur les femmes et à interdire toute autonomie  pour les palestiniennes dans leur vie affective et sexuelle. 




[1] Ce qu’on appelle « crime d’honneur » n’est pas une spécificité du Moyen-Orient, ni même d’ailleurs des pays de tradition musulmane. En effet, parmi les pays où cette barbarie ancestrale perdure on trouve aussi des pays comme l’Inde, l’Argentine, le Venezuela ou le Brésil

[2] La notion même de « crime d’honneur » serait bien-sûr à discuter, puisque nous refusons de considérer qu’il y aurait un quelconque « honneur » à tuer une femme. Nous utiliserons malgré tout ce terme pour une meilleure compréhension du texte.

[3] Suzanne Ruggi, Commodifying Honor in Female Sexuality ;  Honor Killings in Palestine, Printemps 1999.

[4] Le rapport 2003 d’Amnesty International pour la Jordanie précise que dix hommes accusés de meurtres de femmes pour des « raisons d’honneur » ont bénéficié de cet article 98.