Fuyant les persécutions au
sein de leur propre société et rejetés en
Israël, les Palestiniens gays se
retrouvent errants et sans foyer. Lors d’un voyage récent au
Moyen-Orient j’ai rencontré Rami, un Palestinien
âgé de 23 ans et originaire
des environs de Gaza. Son histoire est incroyable de courage et de
conviction,
face à la véritable barbarie que subissent les gays et
lesbiennes par
l’Autorité Palestinienne. Mais c’est aussi une histoire d’espoir. Rami a su qu’il était gay
à l’âge de 13 ans. Avec des habits occidentaux, l’oreille
gauche percée et son
téléphone portable qui pend à son jean, ses
racines musulmanes ne peuvent pas
être suspectées au premier regard. Il est beau, la peau
olive avec des yeux qui
brillent lorsqu’un grand sourire s’ouvre sur son visage. Ce n’est que
lorsqu’il
commence à parler que l’on note un accent arabe. Ma rencontre
avec lui n’a pu
être réalisée qu’après deux rendez-vous avec
le responsable d’Agouda,
l’association israélienne des gays, lesbiennes, bisexuels et
transexuels.
Agouda est la principale association de militants pour la
défense des droits
des différentes minorités sexuelles en Terre Sainte. Une
partie de leur travail
comporte une question particulière, tenter de sauver la vie de
gays persécutés
dans les régions sous contrôle de l’Autorité
Palestinienne. Il commence à me
parler un peu de sa vie : « A Gaza, tu vas à
la mosquée pour les prières quotidiennes à partir
de l’âge de trois ans, si
bien que s’éloigner ne cette pratique est inacceptable et
être gay ou avoir une
identité gay n’est pas envisageable ». « Lorsque j’avais 11
ans, je me souviens que le Fatah ou d’autres groupes militants
sortaient de
leurs maisons des gens suspectés d’être gays. Ils leur
cassaient les jambes et
les os et en exécutaient certains en public. Puis la police
venait et écrivait
sur les murs la raison de ces passages à tabac ou
assassinat : coupable
d’être contre la moralité de l’islam. Le mot gay
n’était pas utilisé, mais tout
le monde savait que c’était là la raison ». Je
l’interroge sur cette
question. Est-ce que personne, parmi la population, ne s’opposait
à ces actes
terribles et contre ce qui se passait ? Rami s’ouvrait lentement
à moi,
plus à l’aise pour parler. « Personne
ne pouvait
s’opposer à ce qui se passait. Si quelqu’un l’aurait fait, il
aurait subi les
mêmes brutalités. Nous n’avions pas le choix ». (…)
Toute personne
suspectée d’être gay dans les territoire est accusé
de travailler pour Israël.
Des gens qui n’ont jamais eu aucun contact avec Israël sont battus
simplement à
cause de leur sexualité et accusés d’être des
collaborateurs. A
l’âge de 16 ans, Rami
s’est lié d’amitié avec un homme compatissant de Gaza
avec qui il se sentait
bien. Ils pouvaient parler ouvertement ensemble. Un mois après,
Rami a été
conduit de sa maison au commissariat où cet homme se tenait, en
uniforme de
police, et voulait lui faire signer une déclaration sur ce qu’il
avait dit (…).
Rami refusait et a été torturé. Il m’a
parlé de ce qui lui est arrivé lorsqu’il
a été jeté en prison. «
Tel Elawa est une
prison célèbre à Gaza. Ils y avaient de nombreuses
cellules où des gens étaient
torturés. On enfermait des gens dans certaines pièces,
complètement noires,
remplies de rats et de cafards. Certaines personnes recevaient des
décharges
électriques, d’autres avaient les cheveux immergés dans
des sacs remplis de
merde. » Rami
parle lentement des
tortures qu’il a rencontré à la prison d’El Elawa. J’ai
pu détecté sa
souffrance lorsqu’il en parlait, voyant la mémoire de sa propre
expérience se
reflétant dans ses yeux. « Tu
étais forcé de
t’asseoir sur une bouteille en verre, puis ils tapaient dessus
jusqu’à ce
qu’elle se casse à l’intérieur de toi ». Je ne
pouvais rien faire,
juste accepter que Rami avait dû vivre de telles choses. Je ne
voulais pas lui
demander ce qu’il avait lui-même subi, mais je lui ai
demandé s’il avait pensé
mettre fin à ses jours. « Je
n’ai jamais
tenté de me tuer, même si j’ai eu des pensées
suicidaires m’ont traversées.
J’ai un instinct de survie (…) » Avec un
large sourire
éclaire son visage. Il a laissé cette période de
sa vie derrière lui. «
J’avais été arrêté
juste parce que j’étais gay, mais quand enfin je suis
entré chez moi, j’ai dû
dire à ma famille que j’avais été témoin
d’une bagarre et qu’on avait dû
m’interroger ». Il
n’était pas le seul à
avoir été persécuté parce qu’il
était gay Certains n’y ont pas survécus. En
1995, deux policiers de Gaza ont été
exécutés parce qu’ils avaient des
relations sexuelles. Rami a également entendu parler de six cas
de Palestiniens
assassinés par leurs propres familles juste parce qu’ils
étaient gays. Lorsque son
frère a trouvé Rami, alors âgé de 17 ans,
avec un autre garçon, il ne lui avait
laissé aucune chance. « Mon
frère a
commencé à me battre et à battre mon copain,
Abdoul,, mais le bout de bambou
s’est cassé et ils nous a enfermés pour aller chercher
une barre en fer ». Par
chance, leurs cris ont
été entendus par sa mère qui les a
libérés avant le retour du frère. « Ma
mère nous a mis
en garde et nous a dit de fuir ou mon père me tuerait. Nous nous
sommes enfuit
à Gaza un moment. J’ai travaillé dans restaurant quelques
mois, mais mes frères
étaient à ma recherche. J’ai entendu qu’ils
n’étaient pas loin de là où je
travaillais avec Abdoul, et nous sommes partis en Cisjordanie,
changeant de
ville tous les deux mois pour éviter d’être
trouvés. Nous avons finalement été
arrêté à Tulkarmen. » L’employeur de Rami a
versé un pot de vin à la police pour le laisser partir.
Le copain de Rami n’a
pas eu cette chance. Je lui demande ce qui est arrivé à
Abdoul : « Je
n’ai plus jamais
entendu parler de lui depuis. Je ne sais pas ce qui lui est
arrivé. Il est
peut-être mort ». Bien qu’il soit un
rescapé, Rami a eut son propre moment de désespoir. Ne
nuit après être sorti du
commissariat, il s’est accroupi et s’est mis à pleurer. Un vieil
Arabe s’est
approché de lui et lui a demandé ce qui se passait. Rami
a aconté son histoire
et qu’il ne pouvait plus retourner dans sa famille. Le vieil homme lui
a dit
d’aller retrouver un de ses vieux amis juifs à Netanya, sur les
bords de mer
d’Israël, où il pourrait se réfugier. Après
avoir traversé illégalement la
frontière, il a trouvé son contact inconnu. Ici, en
Israël, il a travaillé dans
un restaurant, sans subir les persécutions et la torture. Et
c’est de là qu’il
fut mis en contact avec Agouda. (…) J’ai
d’abord voulu
savoir comment Rami se voyait, comme Palestinien ? Comme
Israélien ?
Ou comme gay ? « Je
suis un être
humain, comme toi. Le reste n’a pas d’importance ». Et
comment il voit le
conflit entre la Palestine et Israël ? « Si
tout le monde
était gay, ce serait mieux car nous pourrions nous comprendre.
Mais les
extrémistes des deux côtés rendent cela impossible.
(…) » Et sa
vision de la société
palestinienne : « Il
n’y pas de
démocratie, ni de presse libre. Tu ne peux parler de rien. Tu
n’as pas le droit
d’utiliser le mot gay, même si le mot existe en
arabe ». Lorsqu’il
fut interrogé
sur des cas comme celui de Rami, Freikh Abou Meday, Ministre de la
Justice de
l’Autorité Palestinienne a répondu : « Nous
n’avons pas de
problème avec cette question puisqu’il n’y a pas d’homosexuels
qui vivent en
Palestine ». (…)
QX Magazine, 10 décembre
2003 |