Depuis la deuxième
Intifada et le blocus des frontières, au moins
150 000 Palestiniens qui allaient travailler en Israël sont au
chômage.
Et tandis que Tel Aviv importe des travailleurs d’autres pays, Gaza et
la Cisjordanie crèvent la faim. Il n’y a pas d’usines et les
terres sont
réquisitionnées par les Israéliens, avec le
paradoxe qu’on ne trouve
sur les marchés de fruits et de légumes que des produits
provenant de
Tel Aviv. L’unique fromagerie de Hébron importe le lait
d’Israël.
On saisit la dignité d’un peuple à de petits gestes. Comme quand, au terme d’une visite au Hisham’s palace, les ruines du palais consacré au calife Omeyyade à Jéricho, le guide, qui commente pour nous, avec abondance de détails, le site archéologique et qui ne touche plus son salaire depuis au moins deux mois, refuse même une petite contribution pour son précieux travail. Face au boycottage international, la frustration la plus grande des Palestiniens est de devoir dépendre en substance des aides extérieures. "Nous devons trouver le moyen de nous rendre indépendants, ce n’est qu’ainsi que nous pourrons nous sentir vraiment libres", soutient Fatima Botmeh, chargée de la formation auprès du Ministère des femmes. Son aspiration est partagée par de nombreux Palestiniens. Mais elle n’est pas simple à réaliser. "Il n’y aura pas de développement en Palestine tant qu’il y aura l’occupation", soutient Souhad Amiry, écrivaine et architecte qui dirige l’ONG Riwaq, engagée dans la récupération et la sauvegarde des biens architecturaux palestiniens. "Avec toute la production de légumes et de fruits que nous avons, quand je vais faire les courses au marché, je ne trouve que des produits israéliens et ce n’est pas facile de les boycotter et de les remplacer par des produits palestiniens. Qui, par ailleurs, ne peuvent pas être exportés parce qu’ils doivent passer par Israël, tout comme les importations. Nous sommes tous enfermés dans un grand camp de réfugiés", conclut Souhad Amiry. Du reste, c’est l’Israélien Benvenisti qui soutient que "Israël a besoin d’occuper les territoires palestiniens pour continuer à confisquer les terres", conclut Souhad. La Palestine est un marché israélien Ce n’est pas tout. "Les territoires palestiniens constituent pour Israël un marché acquis auquel elle ne renoncera pas facilement : l’unique fabrique de produits laitiers palestiniens de Hébron est obligée d’importer le lait d’Israël" affirme Suhil Kader responsable du Palestine general federation of trade unions, le syndicat palestinien. "Auparavant, au moins 150 000 travailleurs (50 000 de Gaza et 100 000 de la Cisjordanie) pouvaient aller travailler en Israël, mais depuis le début de la deuxième Intifada les frontières ont été fermées". "Hier, la radio a annoncé - ajoute Mohammed Barakat, ex syndicaliste et vieux camarade de lutte de Suhil - que le gouvernement israélien allait permettre l’entrée en Israël de 8 000 travailleurs palestiniens, mais ils devront appartenir à des tranches d’âge particulières et surtout subir un minutieux contrôle de leur passé". Le reste de la main d’œuvre est désormais importé d’autres pays (d’Europe de l’est, Roumanie surtout, et de Turquie pour le bâtiment, tandis que les ouvriers agricoles viennent de Thaïlande). Une solution qui n’est pas avantageuse pour Israël parce que, alors que les Palestiniens payaient beaucoup de taxes et ne profitaient pas des services étant donné qu’ils rentraient chez eux le soir, les nouveaux immigrés vivent en Israël et ont donc besoin de maisons et d’assistance. Et, surtout, que fera Israël quand elle n’en aura plus besoin? "Elle ne pourra certes pas fermer les check point comme elle le fait avec les Palestiniens", soutient Mohammed. Le chômage crève le plafond "Avec la fermeture d’Israël, le chômage à Gaza a atteint 75%, 47% en Cisjordanie", précise Suhil Khader. En Palestine, il n’y a pas d’usines et les rares qui existent (à Nablus et à Hébron) sont familiales. Les constructions sont pratiquement bloquées par manque d’argent - on voit les squelettes de grands édifices abandonnés - et les commerces sont presque tous fermés, ce sont des femmes qui, en grande partie, travaillent dans l’agriculture. Un travail, le travail agricole, abandonné par les hommes quand ils avaient la possibilité d’aller travailler en Israël ou ailleurs. Travailler la terre est peu rentable et de plus en plus difficile, avec les confiscations continuelles opérées par les Israéliens qui se sont annexés, avec la construction du mur, une autre tranche de la Cisjordanie (22% du territoire dont 80% étaient cultivables). Le mur a aussi souvent séparé les maisons des propriétaires de leurs terrains les contraignant ainsi à parcourir des kilomètres pour aller cultiver leur champ ou, s’ils n’y arrivent pas, à abandonner la terre. Toutefois, la situation de plus en plus dramatique, avec des familles crevant littéralement de faim, rend précieux tout mouchoir de terre. Et tout aussi précieux devient le travail mis en œuvre dés 2002, par la Rural women’s development society (Rwds), une ONG qui s’occupe des femmes qui vivent en zone rurale, dont les problèmes sont majorés par la détérioration de la situation causée par l’impossibilité de se déplacer à cause des check point, du mur, etc. Le siège principal de l’ONG se trouve à Ramallah, où elle est hébergée au sous-sol du grand bâtiment des Parc (Palestinian agricultural relief committees), auxquels elle est affiliée. Ces dernières années, l’organisation a fait tâche d’huile : 12 000 femmes font partie de clubs éparpillés dans toute la Palestine. Y compris Gaza. "Les femmes ont tout intérêt à s’organiser parce que, bien que représentant 60% des ouvrières agricoles, leur travail n’est pas reconnu, étant donné qu’outre la culture des champs, elles sont obligées de faire aussi les travaux domestiques et de s’occuper des enfants : un double travail invisible", soutient Wafa Abu Zaid, coordinatrice des projets. Les besoins de base Et comment les projets naissent-ils? "D’abord, nous repérons les nécessités et puis nous réalisons les projets", répond-elle. Si l’objectif est "d’améliorer la connaissance et l’habileté des femmes en zone rurale", les premières nécessités exprimées concernent les besoins de base, tels que l’alimentation, la création d’emplois et la possibilité de revenus pour les jeunes générations. C’est pourquoi, explique Wafa, "nous avons concentré les premiers fonds reçus des donateurs (coopération espagnole et française, ONG USA, etc.) sur des projets d’urgence (à commencer par la distribution de denrées alimentaires) et pour la culture des jardins particuliers, en fournissant des outils et des semences, en plus d’organiser des formes de micro crédit". Ce n’est pas l’unique objet de l’organisation : il convient de donner aux femmes la chance de jouer un rôle dans leur communauté. Et comme beaucoup de femmes n’ont pas eu la possibilité d’étudier ou ont dû interrompre leurs études, la Rwds organise des cours d’alphabétisation pour apprendre à lire et à écrire et des cours d’enseignement à un niveau plus élevé pour permettre l’accès à l’Université. A côté de cela, il y a un travail de développement qui a permis aux femmes qui vivent en milieu rural de participer aux élections et d’être élues dans les administrations locales. Deux femmes de l’association étaient même candidates aux législatives mais n’ont pas été élues. Il est surtout important, soutient Wafa, de donner aux femmes la conscience de leurs droits et de repérer les moyens pour qu’ils soient reconnus. Le club du micro crédit A Jéricho, nous avons rencontré quelques femmes d’un club de la Rwsd surtout engagées dans le domaine du micro crédit. L’une d’elles se plaignait de la masse de travail domestique surtout dû au nombre des enfants : "C’est le Fatah qui nous a imposé de faire autant d’enfants, c’est pour cela que j’ai voté pour le Hamas", dit-elle. Quand nous lui faisons remarquer qu’il n’y a peut-être pas de différences sur cette question entre les deux rivaux, elle coupe court : "cela veut dire que la prochaine fois, je changerai encore". Le travail de la Rural Women’s development society (et de beaucoup d’autres centres de femmes) est un travail en contact étroit avec les besoins des communautés, un engagement qui a été, au contraire, abandonné par les partis de gauche et c’est aussi la raison pour laquelle ils ont été pénalisés lors des dernières élections. "Ils n’ont plus de contact avec les communautés, ils ne font plus le travail que nous faisions, nous les communistes, dans les années ’80, quand nous étions encore clandestins", dit Mohammed Barakat. Nous avons transmis l’accusation à l’un des deux députés élus par la liste Badil, le communiste Bassam al Salhi. "Malheureusement, c’est vrai, beaucoup d’erreurs ont été commises par la gauche qui avait déjà subi le contrecoup de la chute de l’URSS. Puis, après les accords d’Oslo, elle s’est concentrée sur l’Anp et n’a plus travaillé de façon continue avec la base. En outre, la gauche n’a pas su contrer le système basé sur la corruption et le clientélisme. La gauche s’est plus consacrée à agiter des slogans qu’à travailler, en réalité, sur les questions sociales et de démocratie", admet le député. Estime de soi et espoir "Nous devons retrouver confiance en nous-mêmes, en nos moyens, en nos communautés et ne pas dépendre seulement de l’extérieur. Si l’on perd espoir, on s’en remet à Dieu et puis on vote pour le Hamas", soutient Fadwah Kader, candidate chrétienne de Jérusalem mais qui n’a pas été élue et qui est revenue, après les élections, diriger l’association des femmes des campagnes. Pour l’instant, les islamistes ne sont pas présents dans les campagnes, ils limitent leur activité aux mosquées et s’ils s’occupent de femmes ce n’est que pour leur apprendre à être de bonnes épouses. Profitant de la distraction de Fatah, occupée, pour montrer sa foi, à construire des mosquées au lieu d’écoles ou d’hôpitaux, les islamistes ont occupés un secteur stratégique pour faire du prosélytisme, celui de l’instruction. "La plupart des enseignants sont des militants du Hamas", soutient Um Qais qui travaille au Ministère de l’Education à Ramallah. Des enseignants très actifs qui, à travers les élèves, cherchent aussi à atteindre leurs familles. Et dans ce cas le discours devient agressif. Dans les écoles de Hébron, les enseignants ont commencé à menacer les élèves qui écoutent de la musique, regardent la télévision ou lisent des revues qui n’entrent pas dans le cadre de l’ordre islamique ; Et, pour être plus convaincants, ils ont distribué des CD, à montrer aussi aux parents, où l’on peut voir illustrées les peines de l’enfer pour ceux qui transgressent. "Mon petit-fils est terrorisé, il ne veut plus aller à l’école", nous raconte Sara, une syndicaliste que nous rencontrons dans un centre de femmes à Hébron où se tient une réunion pour décider de comment faire face aux menaces reçues des groupes islamistes. Le spectre algérien La
Palestine ne sera pas l’Algérie, comme disent de nombreux
Palestiniens,
mais les souvenirs des expériences vécues à Alger,
aux années ’90,
reviennent souvent à l’esprit. Um Qais est d’accord et ajoute
que le
Hamas, comme le Fis, utilise les mosquées pour la plus violente
des
propagandes : "Vendredi dernier,
j’ai entendu le sermon du président du
Parlement, le ’modéré’ Aziz Dweik, qui, de la
mosquée d’à côté,
promettait aux fidèles l’institution d’un califat en Palestine".
Les
prémisses ne sont certes pas de bon augure. Giuliana Sgrena, "Il Manifesto", version française publiée sur "Bella Ciao" le 28 mai 2006 |