LA
PETITE LIBRAIRIE du foyer des étudiants, située au
sous-sol de l'université
islamique de Gaza, fournit tout ce dont l'élève
modèle palestinien a besoin :
des stylos, crayons et bloc-notes en passant par les livres
d'étude. Mais elle
se distingue d'une simple université en proposant aussi de quoi
compléter l'éducation
radicale de la jeunesse de Gaza : des DVD dédiés aux «martyrs»
du Hamas
tombés dans des opérations anti-israéliennes ou
aux Brigades Ezzedine
al-Qassam, la branche armée du mouvement, les discours
enflammés des dirigeants
islamistes, ou des livres retraçant le parcours de leur chef
spirituel, Cheikh
Ahmed Yassine. L'université
islamique de Gaza est l'épicentre du tremblement de terre
politique qui a
secoué l'Autorité palestinienne le 25 janvier dernier
avec la victoire surprise
du Hamas aux élections législatives. La plupart des
cadres du mouvement
islamiste, morts ou vivants, y ont étudié ou
enseigné. En 27 ans d'existence,
le campus rudimentaire de l'université islamique, où l'on
enseignait à
l'origine sous des tentes, s'est transformé en une école
respectable comptant
quelque 17.000 étudiants. Le
savant mélange de politique et de religion a fait de ce campus
le vivier du
Hamas. Ismail Haniyeh, le premier ministre désigné du
futur gouvernement Hamas,
y a étudié, ainsi que Mohammed Deif, le chef des Brigades
Ezzedine al-Qassam. «Culture
et discipline» Devenue
le fief du Hamas après la scission avec le Fatah,
l'université islamique a été
fondée par les Frères musulmans. Au départ elle
dispensait uniquement
l'apprentissage de la charia et du Coran. Puis, au fil des
années,
l'enseignement est devenu multidisciplinaire. Officiellement le cheikh
Ahmed
Yassine ne faisait pas partie des fondateurs de l'établissement.
«Mais il
avait ses hommes à l'intérieur. Il était le guide
spirituel de la faculté, explique
Salam Salamé, l'un des enseignants et fondateurs de
l'université et nouvel élu
du Hamas. L'université islamique fournit la matière
grise du Hamas. On y
apprend la culture et la discipline.» Israël
tolère la création de l'université. Mais les
services de renseignements l'ont
toujours considérée comme un foyer de l'islamisme radical
et de la résistance.
Et, en 1987, après le début de la première
intifada, les autorités israéliennes
ferment l'établissement, qui continuera de fonctionner
clandestinement. «On
enseignait en cachette dans les maisons, raconte Salam
Salamé, qui fut
recteur avant d'être expulsé au Liban avec 88
étudiants. Les étudiants
étaient le carburant de l'intifada, nous étions leurs
dirigeants.» Planté
sous un poster du «martyr» Adnan al-Goul, l'inventeur des
roquettes artisanales
Qassam, tué dans un raid israélien, un étudiant en
anglais tend son DVD
préféré, en vente au foyer. «Le film
raconte la vie de Khaled Abou Salmiyeh,
il était étudiant en religion ici, dit-il. Ensuite
il est devenu l'un
des chefs des Brigades Ezzedine Al-Qassam et il est mort dans une
opération
martyre.» Le film montre l'élève modèle
en train de tirer des roquettes sur
Israël ou sur des colonies. Le commentaire vante sa discipline
exemplaire, son «éducation
parfaite» fondée sur la connaissance du Coran. Un
autre «documentaire» retrace
les actions les plus «glorieuses» des Brigades Ezzedine
al-Qassam. On y montre
notamment les ateliers de fabrication de roquettes et de mortiers
artisanaux et
l'on y enseigne de façon détaillée comment
fabriquer ces armes. En
charge des relations extérieures de l'université, Rajaa
Abou Mezied s'empresse
d'indiquer que les DVD et autres posters de bombes humaines ne font pas
partie
du cursus officiel. «L'enseignement n'est pas politique, mais
chacun est
libre d'avoir ses idées, dit-elle. Notre
réputation est avant tout
fondée sur l'excellence de l'enseignement. Notre académie
est ouverte sur
toutes les cultures du monde. Il existe neuf instituts de recherche
spécialisés
et plus de 45 programmes scientifiques.» L'université
s'est développée
grâce à l'aide internationale, provenant essentiellement
du monde
arabo-musulman, mais aussi de pays européens et des Etats-Unis.
Le géant
américain du processeur Intel investit cette année un
million de dollars dans
l'enseignement de l'informatique dans l'université. L'US Aid
précise que
l'université a signé le certificat antiterrorisme avant
de recevoir des fonds
américains. Les
bâtiments aux couleurs blanc et vert et les cours
ombragées plantées de
palmiers sont un havre d'ordre et de tranquillité dans le chaos
de Gaza. Mais
l'université est aussi le reflet de l'islamisation fulgurante de
la bande de
Gaza, transformée en prison à ciel ouvert depuis le
début de la seconde
intifada en septembre 2000. La tenue
islamique correcte est de rigueur : habaya
traditionnelle et voile pour les filles, vêtements discrets et
barbe conseillée
pour les garçons. Hommes et femmes sont séparés
par des parois métalliques, qui
passent entre les bâtiments. Tous les cours sont dispensés
en double, pour
garantir une séparation totale. Cela
ne choque pas les étudiants. «Selon la charia, il faut séparer les
filles
des garçons dès l'âge de 7 ans, explique
Mohammed Sahouir, 20 ans, étudiant
en religion. Nos seuls contacts avec les
filles doivent avoir lieu par la
voie du mariage. J'espère que bientôt les règles en
vigueur ici s'appliqueront
dans toutes les universités palestiniennes. Car dans les
facultés de
Cisjordanie, on autorise les contacts avec les filles et tous les
autres
péchés.» Mohammed
dit avoir voté pour le Hamas avant tout pour «chasser
le Fatah et ses
dirigeants corrompus du pouvoir». Mais cet étudiant
à la barbe clairsemée,
qui affiche un grand sourire, espère aussi une instauration en
douceur de la
charia. «Le Prophète
Mohammed a mis 23 ans à interdire l'alcool et à couper
les mains des voleurs, dit-il. On sait qu'il faudra du temps pour
créer
une société islamique parfaite en Palestine. Mais une
fois que nous aurons
donné l'exemple, nous espérons aussi que le monde
occidental comprendra enfin
que nous ne sommes pas des terroristes et qu'il adoptera lui aussi la
charia.»
Le figaro,
2 mars 2006 |