Les
élections législatives palestiniennes du 26 janvier ont
donné la
victoire au mouvement islamiste radical Hamas qui, pour sa
première
participation à un scrutin législatif, remporte la
majorité absolue,
soit 76 sièges sur les 132 qui composent le Conseil
législatif
palestinien. Le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, président de
l'Autorité palestinienne depuis la mort de Yasser Arafat en
novembre
2004, ne disposera désormais que de 43 sièges. C'est donc
maintenant le
Hamas qui devrait former le prochain gouvernement palestinien.
Un "processus de paix" qui n'en est pas un Le gouvernement
israélien, les gouvernements occidentaux se
désolent de cette victoire d'une organisation islamiste qui a
été aussi
l'organisatrice de nombreux attentats visant aveuglément la
population
israélienne. Mais si, dans les territoires occupés, des
centaines de
milliers de voix se sont portées sur les candidats du mouvement
islamiste, la responsabilité en revient à la politique
des
gouvernements israéliens successifs couverts par leurs
alliés
occidentaux. Ils ont organisé, approuvé,
intensifié l'occupation et la
colonisation de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem-Est.
Pendant des
années, notamment avec Sharon à la tête du
gouvernement, l'oppression
de la population palestinienne par Israël s'est même
traduite par un
véritable terrorisme d'État, qui lui-même a fourni
sans cesse de
nouvelles recrues aux organisations palestiniennes pratiquant les
attentats suicide. Un fossé de sang a été
creusé entre les populations
palestinienne et israélienne. Les accords d'Oslo signés
en 1993 n'ont
pas été appliqués. Ensuite c'est la mise en
scène de la "feuille de
route" qui a fait long feu dans l'interminable "processus de paix" que
les Nations unies ont prétendu avoir défini pour
régler la question
israélo-palestinienne. Le prétendu "processus" s'est
révélé sans espoir
pour les presque quatre millions d'habitants des territoires qui
doivent supporter les conditions de vie d'un camp de concentration, en
sus des humiliations quotidiennes, du chômage, de la
misère.
L'évacuation même
de Gaza, en août 2005, présentée partout
comme un geste positif d'Ariel Sharon, n'a été qu'une
concession
calculée, pour permettre en parallèle un renforcement de
la
colonisation de la Cisjordanie et des quartiers est de Jerusalem et la
poursuite de la construction du mur de béton haut de huit
mètres,
symbole et réalité de l'enfermement insupportable des
Palestiniens dans
des territoires de plus en plus morcelés et grignotés.
Les dirigeants nationalistes
palestiniens, derrière Yasser
Arafat et son parti le Fatah, ont accepté en 1993 les
concessions
qu'Israël leur demandait, et signé les accords d'Oslo.
Israël n'a pour
autant ni stoppé la colonisation ni laissé aux
territoires palestiniens
la possibilité de connaître un minimum de
développement économique. En
revanche il a sommé les dirigeants palestiniens de faire cesser
toute
action armée contre l'occupation israélienne.
C'était créer toutes les
conditions pour que les dirigeants palestiniens se
déconsidèrent.
Les dirigeants de l'OLP comme
du Fatah se sont pourtant
trouvés à gérer un petit mais réel appareil
d'État, avec ses forces de
sécurité, ses fonctionnaires, son administration et
même sa corruption,
d'autant plus choquante dans cette situation. Les électeurs
palestiniens ont donc sans doute voté non seulement contre une
politique qui semble mener à l'impasse, mais aussi contre le
clientélisme et les passe-droits que s'octroient des
personnalités.
Les raisons du succès islamiste Beaucoup ont certainement
voté aussi non seulement contre
l'attitude du Fatah, mais pour les hommes du Hamas. Cela ne signifie
pas pour autant qu'ils sont des partisans de l'intégrisme
islamiste et,
par exemple, de l'application de la charia, mais les militants du
Hamas, loin du pouvoir qu'ils étaient, semblent avoir
gagné une
réputation d'honnêteté. Au quotidien, les
organisations islamistes ont
une présence dans la population, à qui elles fournissent
un appui dans
l'état de détresse où elle se trouve: aide aux
soins, à l'éducation, à
la simple survie parfois. Les municipalités récemment
gagnées par le
Hamas ont permis de faire à plus large échelle cette
démonstration et
les subsides reçus de pays et d'organisations amis y ont sans
doute
aidé.
Les candidats du Hamas avaient
aussi évidemment l'aura d'un
parti dont les militants se sont sacrifiés dans la lutte contre
l'occupation israélienne. Les attentats que le parti a pu
revendiquer
ont sans doute servi cette image.
Il faut d'ailleurs rappeler
que l'existence du mouvement
islamiste en Palestine doit beaucoup, au départ, aux dirigeants
israéliens eux-mêmes. Dans les années soixante-dix,
ses premiers pas
ont été encouragés par Golda Meir, alors Premier
ministre travailliste,
et par les autorités militaires en charge de Gaza et de la
Cisjordanie.
Le gouvernement qui les autorisait à tisser leur toile à
l'aide de
subventions étrangères escomptait que son
développement affaiblirait
l'OLP et les partis nationalistes laïques. C'est ainsi qu'avec les
encouragements des autorités israéliennes, le fondateur
du Hamas, Ahmed
Yassine, fut à l'origine d'une université islamique
à Gaza où se
développèrent également, en un peu plus de dix
ans, jusqu'à six cents
mosquées. Parallèlement, sur ses bases propres
-théologiques- et sans
être aucunement inquiété, le Hamas se créa
en tant que parti en 1988,
au moment de la première Intifada, la "guerre des pierres". Il
proposa
lui aussi un drapeau à celle-ci, même s'il n'offrait pas
un réel espoir
à ces jeunes combattants d'obtenir une terre, un État
souverain, une
liberté longuement attendue.
Après son succès
électoral, le Hamas ne peut guère développer
d'illusions sur les solutions à la crise économique et au
chômage que
subit la population palestinienne, car même la solution à
la crise
israélo-palestinienne ne dépend pas de lui ni même
vraiment des
positions qu'il prendra. De plus en plus spoliés, sans travail
et sans
possibilités de circuler, les habitants des villes et des
villages
espèrent peut-être quelques améliorations de leur
vie quotidienne. Mais
rien dans le programme social du Hamas, se référant au
"libéralisme" le
plus conservateur, ne peut représenter les intérêts
de la population
pauvre. Sur le plan des mœurs, même s'il affirme qu'il n'obligera
personne à se plier à ses positions réactionnaires
comme par exemple à
porter le voile, on comprend l'inquiétude de bien des
Palestiniennes.
Malheureusement, c'est peut-être seulement sur ce plan qu'il
pourra
appliquer vraiment sa politique, instaurant l'ordre moral à
leurs
dépens.
La victoire du Hamas en
Palestine n'est au fond que le retour
du bâton de la politique d'Israël. À la politique
agressive d'Israël,
où les tendances les plus jusqu'au-boutistes se sont
renforcées, répond
désormais le renforcement du parti islamiste en Palestine. Les
dirigeants israéliens, dans la période qui vient, se
serviront
peut-être du prétexte de sa victoire pour se refuser
à toute concession
supplémentaire. Mais il y a à peine plus d'un an, le
prétexte était
Yasser Arafat, qui selon eux, n'était pas un interlocuteur. Puis
quand
celui-ci est mort, ils n'ont pas changé de politique sur le
fond.
Alors il continuera à
n'y avoir aucune solution au problème
israélo-palestinien tant que les gouvernants d'Israël
poursuivront leur
politique de négation des droits des Palestiniens. Et cela que
les
Palestiniens soient dirigés par le Hamas, par le Fatah ou par
qui que
ce soit d'autre.
Viviane LAFONT, Lutte Ouvrière,
3 février 2006
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