La victoire électorale du Hamas produit de la politique
des USA et d'Israël
comme de la faillite de l'OLP


Retour Page d'Accueil
Voir aussi : l'analyse de Lutte Ouvrière


Le revers électoral, le 25 janvier, lors des élections législatives, du Fatah, était annoncé par les résultats des élections municipales qui se sont étalées depuis décembre 2004 et qui marquaient le développement de l’influence du mouvement islamiste radical Hamas dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie.
En revanche, les sondages n’annonçaient nullement la déroute du parti d’Arafat qui domine l’Autorité palestinienne depuis sa création en 1994 : jusqu’à la veille du scrutin législatif, Fatah et Hamas était au coude à coude, avec un léger avantage donné à la formation de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne depuis la mort de Yasser Arafat. Partant, la victoire absolue du Hamas est un coup de semonce et en Palestine et dans les chancelleries occidentales.
Et la défaite de la composante historique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est d’autant plus nette que la participation des 1 340 673 électeurs inscrits (811 198 en Cisjordanie ; 529 475 dans la bande de Gaza) fut importante : plus des trois-quarts d’entre eux se sont rendus dans les bureaux de vote.
Le mouvement islamiste rafle 76 sièges sur les 132 que compte dorénavant le Conseil législatif palestinien. Le Fatah conserve 43 députés. Lors de la précédente élection législative palestinienne organisée il y a juste dix ans, le 20 janvier 1996, le parti d’Arafat s’assurait 62 élus sur les 88 alors possibles. À l’époque, le Hamas n’était pas en lice : il refusait alors de cautionner un scrutin dicté par les « accords de paix » d’Oslo chapeautés par les États-Unis en septembre 1993 et imposés au peuple palestinien par les puissances impérialistes.
En 1993, Yasser Arafat et les dignitaires de l’OLP sont revenus sur la revendication essentielle du peuple palestinien, en acceptant à Oslo un embryon d’État morcelé en plusieurs territoires isolés. La création de l’Autorité palestinienne n’impliquait nullement la création d’un État, ni même simplement l’arrêt de la politique d’annexion conduite par les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche d’ailleurs.
En reportant, il y a quelques semaines, leurs suffrages sur les candidats du Hamas, les Palestiniens ont d’abord sanctionné le Fatah au pouvoir depuis plus d’une décennie, un parti gangrené par la corruption et l’affairisme. Ils ont également témoigné leur hostilité à ce « processus de paix » qui n’a engendré que désolation côté palestinien. Les implantations israéliennes n’ont jamais été aussi importantes dans les territoires occupés que depuis les accords d’Oslo malgré le tintamarre organisé autour du retrait unilatéral de la bande de Gaza en août 2005 décidé par Ariel Sharon.
Et, en plébiscitant le Hamas, l’essentiel des électeurs et électrices de Palestine ont certainement voulu voter contre le Fatah et sa politique avant d’appuyer le programme des islamistes visant à l’instauration de la Charia. Mais sa victoire est un recul considérable, symétrique de la montée des intégrismes religieux au sein de l'Etat confessionnel d'Israël. L'un comme l'autre sont la dramatique illustration du piège dans lequel la politique de l'impérialisme a enfermé les peuples, eux mêmes prisonniers des préjugés religieux et nationalistes.
En refusant de s’inscrire dans un processus ne pouvant qu’amener un compromis avec Israël foulant au pieds les droits des palestiniens, le Hamas a pu trouver au yeux des habitants de la bande de Gaza et de Cisjordanie un crédit qu’il n’avait pas jusque là. La présence de nombreuses structures d’entraides gérées par les islamistes dans les quartiers pauvres doit beaucoup à cette adhésion massive alors que l’Autorité palestinienne démontrait son incurie, un phénomène sensible parmi les femmes dont les voix se seraient massivement portées sur les candidats islamistes.
Les chancelleries occidentales s’inquiètent aujourd’hui de la montée en puissance d’une organisation qui a revendiqué de nombreux attentats visant aveuglément la population israélienne depuis le début de la deuxième Intifada relancée après la parade d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem en septembre 2000. Mais les États-Unis comme Israël ont produit le Hamas, par leur refus évidemment de reconnaître le droit légitime des palestiniens à un État indépendant, mais par leur appui également à l’enracinement des islamistes dans les territoires occupés : ce sont ceux-là même qui vilipendent le résultat électoral du 25 janvier qui depuis trente ans ont directement financé, ou laissé faire, l’implantation des mosquées en Palestine ou d’écoles religieuses à l’instar de l’université islamique de Gaza, et ce afin d’affaiblir la lutte des palestiniens pour leur indépendance, de ruiner leur unité.
À Londres, 30 janvier, le Quartet pour le Proche-Orient — l’ONU, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne — dont la « feuille de route » prévoyait la création d’un État palestinien dans des frontières définitives pour la fin de l’année… 2005 a intimé au Hamas, qui doit former le nouveau gouvernement palestinien après la démission du Premier ministre Ahmed Qoreï, de se soumettre sinon à perdre l’aide financière des donateurs internationaux sans laquelle l’Autorité palestinienne serait en banqueroute — on compte un déficit de 69 millions de dollars pour le seul mois de janvier ; et sans versement rapide, les salaires des 135 000 fonctionnaires ne pourront être honorés… On mesure la pression !
« Tous les membres du futur gouvernement palestinien doivent s’engager en faveur de la non-violence, doivent reconnaître Israël et accepter les accords passés et leurs obligations — y compris la “feuille de route” », a martelé, au nom du Quartet, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Les impérialistes accordent un délai de deux à trois mois aux palestiniens pour accepter leurs exigences. On voit que le résultat des urnes contrôlées pourtant par 900 observateurs étrangers reconnaissant unanimement le bon déroulé du scrutin ne vaut rien aux yeux des possédants.
L’attitude du Hamas reste incertaine. Des tractations sont en cours sous le patronage du président égyptien, Hosni Moubarak. Selon les déclarations d’Omar Souleiman, le chef des renseignements égyptiens, Mahmoud Abbas ne chargera le Hamas de former le gouvernement que si la formation islamiste reconnaît Israël et renonce à la violence. « Le Hamas doit s’engager sur trois points, a déclaré Souleiman à l’issue de la rencontre entre les présidents Abbas et Moubarak. Un, stopper la violence. Deux, respecter tous les accords signés avec Israël. Trois, ils doivent reconnaître Israël. »
Visiblement, le mouvement islamiste serait prêt à des concessions. « Nous avons une Autorité créée sur la base des accords d’Oslo et nous allons adopter une approche très réaliste de cette réalité sans pour autant que cela soit en contradiction avec le droit de notre peuple », a affirmé Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, un des principaux dignitaires du mouvement. « Nous avons des divergences politiques sur les moyens de recouvrer nos droits, mais cela ne veut pas dire que le Hamas sera en conflit avec la présidence de l’Autorité palestinienne », a confirmé Ismaël Haniyeh, tête de liste du Hamas aux législatives et chef de file du courant « pragmatique » du mouvement islamiste.
Que le Hamas forme ou non un gouvernement d’union nationale incluant toutes ou parties des factions palestiniennes aura des conséquentes importantes sur l’évolution de la situation en Palestine comme dans l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient. Mais qu’Ismaël Haniyeh rallie ou pas son mouvement à l’idée d’une trêve de longue durée avec Israël en échange de la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 ne réglera rien pour les populations de la région. L’histoire depuis plusieurs décennies souligne qu’il n’y a rien à attendre ni des nationalistes ni des islamistes qui cherchent avant tout à négocier leur intérêt propre en lieu et place de ceux des hommes et femmes qu’ils prétendent représenter.
Les groupes islamistes qui se renforcent face au terrorisme d’État d’Israël et qui gangrènent l’Autorité palestinienne ne sont pas plus un recours que l’aile du Fatah qui entend rompre avec la corruption des années Arafat.
À échéance prévisible, aucune solution progressiste ne se dessine.
En porter la perspective est la tâche de l’heure pour les courants voulant résister et à l’impasse nationaliste du Fatah et à la régression réactionnaire de l’islamisme. L’impérialisme s’appuiera, lui, au besoin, sur les forces religieuses avec lesquelles les nationalistes ont toujours su s’allier contre les opprimés.
C’est une autre voie qu’il convient de tracer.
L’émergence d’une organisation ouvrière entièrement indépendante et affranchie du passé, laïque et démocratique, est la seule réponse à la folie intégriste pour le peuple palestinien comme pour le peuple israëlien. D’elle seule peut jaillir l’espoir d’une issue progressive pour l’ensemble des masses du Grand Moyen-Orient, une fédération socialiste des peuples du Proche et du Moyen-Orient !

Serge Godard, "Débat Militant", février 2006