Hébron sous domination islamiste

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hebronPar certains aspects, Hébron n’a pas changé… Cette ville reste ce qu’elle était, à la fois un immense chantier et un bidonville, avec ici ou là des maisons luxueuses au milieu des taudis. Depuis la route qui vient de Jérusalem, toujours ce même magasin de meubles qui ferait passer les Emmaüs pour un rayon d’articles de luxe, toujours ces mêmes marchands qui vendent, parfois à même le sol, des légumes, des fruits et de la viande parfumés aux pots d’échappement de ces routes bruyantes, toujours ce même chaos de la circulation, toujours ces mêmes immeubles à l’américaine, comme celui de la Banque Islamique, qui côtoient des terrains vagues, où, au milieu des ordures, quelques chèvres ou moutons cherchent de quoi manger. En cela, bien sûr, Hébron n’a pas beaucoup changé. Mais au milieu de la grisaille habituelle de cette ville, il y a une couleur qui domine, oppressive et totalitaire : le vert. Là aussi, la présence de drapeaux verts n’est pas nouvelle à Hébron, mais là, c’est maintenant une véritable overdose de fanions du Hamas. Sur les mosquées, ces échoppes des dealers d’opium du peuple, bien sûr, d’immenses drapeaux verts. Sur les nombreux chantiers des immeubles en construction : des drapeaux verts ! Sur presque tous les lampadaires des axes principaux : des fanions verts ! Même dans les cafés, où on chercherait à se reposer, des drapeaux verts… Enfin, sur le bâtiment de la municipalité, où flotte toujours le drapeau palestinien, un peu plus haut que le drapeau national, un petit fanion vert. Les drapeaux verts sont partout, le Hamas est partout !

Bien sûr, Hébron a toujours été une ville conservatrice, mais depuis les élections législatives, où le Hamas a été élu dans tous les districts de la ville, les islamistes se sentent encore plus forts. Cette ville, c’est leur ville, une ville où ils cherchent à imposer leur ordre moral réactionnaire. Comme avant, la quasi-totalité des femmes sont voilées, mais on voit de plus en plus, dans les rues, ces ombres, véritables fantômes, enfermées dans leur linceul noir, où ne sortent que les yeux, et encore, même les yeux sont parfois recouverts d’un bout de tissu à peine plus fin pour leur permettre de voir un peu ce monde où elles n’ont plus de place. Les rares femmes, courageuses, qui continuent de refuser de porter le hidjab, sont soumises à des pressions quotidiennes. Pas de violences, pour l’instant, on en reste au stade des interpellations, des prises de têtes, des « conseils amicaux » : « tu dois porter le hidjab, tu dois être décente, tu dois te couvrir la tête… ». Et même sans menaces physiques, il faut énormément de courage et de volonté pour tenir, malgré tout, pour résister, malgré les pressions, et continuer à marcher sans voile dans les rues, surtout lorsque ce n’est plus qu’une poignée de femmes qui continuent à se promener les cheveux flottant au vent, comme des drapeaux défiant les islamistes. Si, en Europe, certains prennent pour argent comptant les déclarations du Hamas du style « nous ne forcerons aucune femme à se voiler », il est clair qu’une loi votée au parlement n’est pas forcément nécessaire pour imposer le hidjab. Il y a quelques mois, ce n’était que dans la vieille-ville que les femmes subissaient de telles pressions pour se couvrir les cheveux. Aujourd’hui c’est dans toute la ville. Et demain ?? Comme une boutade de désespoir et de tristesse, une femme murmure « dans six mois, le voile sera obligatoire ici ». Pour l’instant, pas d’acide jetée sur le visage de celles qui refusent le hidjab… pour l’instant…

Il y a un an, encore, il pouvait être possible, bien que rare, qu’une femme aille boire un café avec un homme qui n’est pas de sa famille… C’est maintenant impossible, le Hamas veille à la « bonne moralité », c’est à dire à la séparation des sexes dans l’espace public. Depuis toujours, aller à Jérusalem était, pour les habitant(e)s d’Hébron, un véritable parcours du combattant : il fallait obtenir le laisser-passer des autorités israéliennes qui permet de traverser les check-points. Après de multiples démarches, après une attente plus ou moins longue, enfin, on apprend que l’on a obtenu le fameux laisser-passer ! Il suffit d’aller le chercher dans les locaux de l’administration israélienne d’occupation… sauf que, c’est impossible : le Hamas a décidé d’empêcher l’accès à ces locaux !

Ce ne sont que quelques exemples, le plus difficile à décrire n’est pas tant dans ce qui permis ou interdit, mais cette atmosphère d’oppression qui flotte sur la ville comme ces drapeaux verts. Faire attention à ce que l’on dit ou à ce que l’on fait, faire attention à ne pas exprimer ou laisser exprimer ses sentiments, vivre dans la peur et ne faire confiance à personne ou presque. Pour les femmes, si la vie n’a jamais été simple à Hébron, c’est désormais, plus que jamais, une prison à ciel ouvert. Une prison dont on a du mal à trouver comment s’évader. Et cette atmosphère réactionnaire que les islamistes imposent renforce, bien sûr, l’oppression traditionnelle pour les femmes, y compris dans des familles qui ne sont pas très religieuses.

4 avril… veille des élections universitaires à l’université d’Hébron. Officiellement, l’université est mixte. Mais, malheur à la fille qui se retrouve, seule, dans une filière dite « masculine ». Les islamistes lui feront comprendre qu’elle n’est pas « à sa place ». Elle n’est pas menacée, simplement boycottée, ignorée, niée. Personne pour lui parler, personne pour lui dire simplement « bonjour », être seule, complètement seule, comme morte socialement. Le Hamas fait campagne, aux portes de l’université, d’où sortent des dizaines de jeunes filles voilées, des barbus avec des casquettes ou des bandeaux verts. On entend aussi résonner les slogans du meeting qu’ils tiennent à l’intérieur… « Dieu est grand, l’islam est la solution ». A un siège près, le Hamas perd ces élections, une lueur d’espoir ? L’oppression imposée par les islamistes est-elle telle que la population va crier son ras-le-bol ? Se révolter ??

Loin d’Hébron, on peut lire ou entendre des messages d’espoir. « Le peuple palestinien a desheb traditions démocratiques qui empêcheront la mise en place d’une dictature islamiste ». Messages d’espoir qui en rappelle d’autres, plus anciens : « la classe ouvrière d’Allemagne, la classe ouvrière la mieux organisée d’Europe, n’acceptera jamais une dictature fasciste ». A l’époque, en effet, on disait et on démontrait que « l’Allemagne ce n’est pas l’Italie ». Aujourd’hui, on cherche à se rassurer en démontrant que « la Palestine ce n’est ni l’Iran ni l’Afghanistan ».

A Hébron même, il est difficile de trouver une lueur d’espoir. Tout semble aussi gris que les nuages qui recouvrent la ville, une ville où on étouffe, et où, entre les check-points de l’armée d’occupation, les milices islamistes et les traditions patriarcales, prisonnières des prisonniers enfermés derrières les murs des territoires occupés, des femmes meurent à petit feu. Comme l’écrit Taslima Nasreen, « La religion est comme un cancer incurable, une fois qu’elle est en vous, elle détruit inexorablement tous vos organes, l’un après l’autre sans rémission ».

 

Yasmina, avril 2006