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Les femmes palestiniennes amènent la sexualité dans l’agenda politique.

Tout a commencé en 2003 avec ce qui semblait être une pauvre liste e-mail : une poignée de femmes palestiniennes/arabes vivant en Israël tout comme dans les territoires occupés de Cisjordanie ont commencé à échanger sur internet, pour partager entre elles, dans un espace sécurisé, leurs questions et expériences concernant la sexualité. Pour une société tourmentée par un violent conflit politique et traumatisée par différents niveaux de tensions sociales et d’oppressions liées, cette petite étape était significative, elle signifiait parler pour la première fois d’une question qui est un tabou absolu. La liste s’est régulièrement développée, avec des femmes palestiniennes d’Israël et des Territoires Occupés Palestiniens. Il y avait de nombreux échanges et discussions qui allaient de la découverte de sa propre sexualité aux expériences de harcèlement sexuel et d’agressions par la famille ou par des étrangers, en passant par l’audace de sortir des normes hétérosexuelles obligatoires, l’invisibilité des femmes en général et en particulier des femmes qui interrogent leur rôle de genre donné par dieu et leurs identités sexuelles. Pour ces femmes, passer de la volonté d’élever la voix à la capacité actuelle de parler impliquait une grande lutte. Pour commencer, cela signifiait rechercher un langage approprié, puisque certaines des femmes vivant en Israël utilisent l’hébreux comme l’arabe, d’autres l’anglais, mais aussi, comme le pointe Rauda Morcos, une des initiatrices de la liste, parce que trouver une voix propre impliquait que le langage soit réapproprié : « J’ai oublié ma langue, je ne sais pas comment dire “faire l’amour” en arabe sans que cela sonne chauviniste, agressif et étranger à l’expérience ». La recherche de mots pour se définir soi-même, la recherche de voix différentes a mené à la fondation d’ASWAT (en arabe : voix), un groupe de femmes homosexuelles palestiniennes.

Etre une femme, être une Palestinienne, défier les normes de l’hétérosexualité : ASWAT a décidé de lier les liens entre ces différentes oppressions, qui, depuis longtemps, sont écrasées pour ne se confronter qu’à une seule. Elles cherchent aussi à créer une communauté qui peut soutenir la lutte contre différents formes d’oppression et de permettre un espace où les différentes identités n’ont pas à être constamment négociées, expliquées et à s’affronter. Conduire une organisation, arranger des réunions régulières et mener un travail concret n’est pas une mince affaire dans un pays qui, du moins pour celles qui ont des papiers palestiniens et qui vivent en Cisjordanie et à Gaza, est en fait une immense prison à ciel ouvert. D’un côté, le mur qui est construit par les forces de sécurité israéliennes et qui s’étend à travers la terre palestinienne, auquel s’ajoute les restrictions de déplacement toujours difficiles, fait de chaque réunion physique du groupe un défi en elle-même. Les actuelles différences de cultures et de classes entre les femmes palestiniennes ou entre celles vivant en Palestine occupée ou en Israël sont aussi d’autres types de barrières qu’il faut surmonter dans la recherche du soutien et de la solidarité pour une cause commune.

Pour politiser la question de la sexualité, pour illustrer les discriminations sur la base des préférences sexuelles, par la domination patriarcale en Palestine et par la vie sous occupation israélienne, tout cela signifie que les femmes d’ASWAT prennent d’immenses risques personnels. Comme le disent les femmes d’ASWAT dans leur déclaration : « Aussi longtemps que les femmes participent à la lutte pour la libération nationale, elles sont les bienvenues et leurs efforts sont encouragés. A partir du moment où les femmes veulent focaliser leurs énergies pour établir leur indépendance des structures et de l’occupation masculines, elles sont instantanément transformées en ennemies. ». Aujourd’hui, l’organisation féministe arabe Kayan offre un local à ASWAT jusqu’en 2005. De nombreuses femmes d’ASWAT sont aussi actives dans d’autres organisations politiques et dans le travail pacifiste et anti-occupation, et font actuellement de leur mieux pour amener la sexualité dans l’agenda du changement politique et social.

jerusalemRauda Morcos, écrivaine et éducatrice, habitante d’une petite ville du Nord d’Israël, relate sa propre expérience de haine et d’outrage subis pour ce qu’elle est. Un journaliste travaillant pour un important journal conservateur israélien (Yedeot Ahronot / Les Dernières Nouvelles) a interviewé Morcos et publié un article sur ses poèmes en juillet 2003. Même si elle n’a mentionné son identité lesbienne que rapidement lors de l’interview, ce mot commençant par L a donné son titre scandaleux à l’article, assez pour que les gens veuillent le lire. Et soudainement, la population arabe de sa ville, qui affirme généralement n’avoir aucun intérêt dans les suppléments littéraires des journaux hébreux, semblait avoir lu l’article et avoir quelque chose à dire à son propos. Les propriétaires de petits magasins locaux en ont fait des photocopies et l’ont distribué, parce que, avant tout, tout le monde savait qu’il s’agissait de la fille d’un tel de leur propre ville. Les conséquences de cet article sont allées plus loin que Rauda l’aurait imaginé : les vitres de sa voiture ont été cassées et ses pneus plusieurs fois crevés, elle a reçu un nombre innombrable de lettres de menaces et des coups de téléphone, et pire que tout, elle a, « coïncidence », perdu son travail d’enseignante, alors que les parents d’élèves se plaignaient qu’ils ne voulaient pas d’elle comme professeur. Qu’elle le veuille ou non, Rauda a été poussée hors de la clandestinité, avec le risque que cela comporte pour sa vie et celui d’être criminalisée pour cela. Elle utilise cependant cette expérience comme un moyen d’auto-émancipation. « Dans de telles situations », commente-t-elle au deuxième degré, « tu réalises enfin très vite qui sont tes vrais amis et qui es une perte de temps. Une fois le pas de la sortie de la clandestinité franchi, il devient bizarrement plus facile de faire le pas suivant ».

Rauda est une des rares femmes d’ASWAT qui n’est pas clandestine. Les femmes du groupe viennent de tous les milieux et de toutes les situations : certaines sont bisexuelles, certaines lesbiennes, queers, transexuelles et trans-genre, inter-sexuelles, et quelques unes, se définissent elles-mêmes, avec leurs propres mots, comme confuses. Maintenant, Aswat offre un forum ouvert sur ces questions au sein du groupe et trouve aussi l’arsenal pour lutter dans leur lutte commune. En même temps, cela permet aussi de chercher des modèles de rôle hors du mode de vie gay et lesbien occidental, pour une expression de la diversité des sexualités féminines depuis la diversité dans la société arabe.

 

Sruti Bala

4 Octobre 2005, publié sur Countercurrents.org


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