Les milices prêtes à la guerre civile

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Retour "Vers la guerre civile ?"

LE CORTÈGE funéraire a pris des allures de parade militaire. Les activistes du Fatah, armés de lance-roquettes RPG et de kalachnikovs, s'entassent dans des taxis jaunes, ou par grappes sur des pick-up. Les militants encagoulés des Brigades des martyrs d'al-Aqsa, un mouvement armé lié au Fatah, ont pris la tête du défilé. Une voie, diffusée par des haut-parleurs, promet la vengeance pour laver le sang des deux hommes appartenant à la Sécurité préventive, une branche des forces palestiniennes fidèle au Fatah, tués la veille dans des affrontements avec les forces du Hamas.

«Vous n'échapperez pas au sang de nos martyrs, crachent les haut-parleurs à l'adresse du Hamas. La punition viendra, au nom de La Mecque.» Des enfants, suivant le cortège, jettent des pierres sur des maisons habitées par des supporters du Hamas, dès que les deux corps sont sortis des ambulances, pour être portés en terre dans le petit cimetière d'Abassane, un village du gouvernorat de Khan Younès, théâtre des affrontements de la veille. Les premières rafales tirées par des militants des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, claquent presque immédiatement. Les échanges de tirs opposent les deux camps pendant de longues minutes faisant au moins quatre blessés parmi les supporters du Fatah. Avant que les militants du Fatah ne prennent la fuite, promettant de revenir une fois la nuit tombée.

Pas d'accord sur le boycottage

Il s'agit du deuxième affrontement de la journée entre partisans du Hamas et du Fatah. A l'aube, un premier incident avait fait dix blessés, dont cinq enfants dans le centre de Gaza-Ville. La veille, deux activistes du Fatah et un du Hamas avaient trouvé la mort dans de violents heurts à Abassane, une localité du sud de la bande de Gaza. Ces affrontements sont intervenus après l'échec, samedi, d'une rencontre entre le président palestinien Mahmoud Abbas et le premier ministre Ismaïl Haniyeh. Les deux dirigeants palestiniens ne sont pas parvenus à trouver un accord, pour mettre un terme au boycottage financier menaçant de faillite l'Autorité palestinienne.

Le premier ministre a invité, hier, les dirigeants du Fatah comme du Hamas à contrôler leurs troupes et à mettre un terme à ce qu'il a présenté comme de «tristes événements».

Mais les tensions interpalestiniennes ne cessent de monter depuis la victoire du Hamas aux législatives du 25 janvier, mettant un terme à la longue domination du Fatah sur la vie politique palestinienne. Elles se cristallisent notamment sur les questions de sécurité, le président Mahmoud Abbas ayant décidé de conserver la mainmise sur l'essentiel des forces de sécurité palestiniennes.

Fin avril, le gouvernement formé par le Hamas avait annoncé la création d'une nouvelle force, intégrant des activistes des différents groupes armés, notamment des Brigades Ezzedine al-Qassam et des Comités de résistance populaires. Cette nouvelle force, fidèle au gouvernement du Hamas et qui doit compter quelque 3 000 hommes, a commencé à s'entraîner au maniement des armes dans la bande de Gaza et doit entrer en action dimanche, en dépit du veto du président Mahmoud Abbas. Durant sa campagne électorale, le Hamas s'était engagé à mettre un terme au chaos des armes et à lutter contre la corruption. Cette nouvelle force doit prêter main forte à la police «dans sa lutte contre l'anarchie sécuritaire et les agressions et les atteintes visant les biens publics et les administrations», selon le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khaled Abou Hilal.

 4 000 hommes pour le Fatah

De son côté, le Fatah vient d'annoncer la création d'une nouvelle milice pour se protéger contre les «attaques du Hamas». «Nous avons décidé d'unifier toutes les milices liées au Fatah dans la bande de Gaza, pour former le bras armé du parti», explique Bassam al-Guahouadji, un officier de la sécurité préventive se présentant comme le chef de cette nouvelle milice dans le sud de la bande de Gaza. Il assure avoir sous son commandement entre 3 500 et 4 000 hommes, qui auront pour mission de «protéger le président Abbas, les dirigeants du Fatah et les institutions de l'Autorité palestinienne».

«Nous avons compris clairement que le Fatah est la cible du Hamas après le discours de Khaled Mechaal» (NDLR : le chef de la branche extérieure du parti islamiste), accuse-t-il. Fin avril, Mechaal avait lancé une diatribe incendiaire, accusant Abbas, sans le nommer, de «comploter» contre le gouvernement Hamas avec l'aide des Etats-Unis et d'Israël, dans le but de «réintégrer le pouvoir». «Le Hamas dresse des barrages pour arrêter nos hommes et nous tire dessus à coups de lance-roquettes, ajoute Bassam al-Guahouadji. Nous n'avons pas cherché cette guerre. C'est le Hamas, qui tente de nous l'imposer.»

Les membres de la Sécurité préventive, qui avaient jeté en prison sans ménagement les militants islamistes en 1996, sous la direction de leur tout-puissant chef de l'époque, Mohammed Dahlan, redoutent la vengeance du Hamas. «Le Hamas n'a jamais pardonné au Fatah, estime le lieutenant-colonel Salah Abou Hamad de la Sécurité préventive. L'affrontement est inéluctable. Nous espérons que ça ne dégénérera pas en une guerre civile. Mais il y aura du sang et des morts.» Cet officier reconnaît que le rapport de force dans la bande de Gaza est favorable au Hamas. Les islamistes ont profité de l'intifada pour acquérir un armement plus moderne que celui des forces de sécurité. «Nous avons créé la branche armée du Fatah pour ne pas être pris au dépourvu et pour les contrer», prévient-il.

Le Figaro 10 mai 2006