Le prix qu’une femme doit payer pour défier le code d’honneur


Cet article, sur l'assassinat de Faten Habash, comporte quelques différences avec le reportage de la BBC sur le même sujet. En effet, si le reportage de la BBC laisse supposer que le gouverneur local de Ramallah a tenté de protéger Faten, cet article-là, au contraire, le présente comme ayant poussé Faten à rentrer au domicile familial. Il est probable que la réalité se situe entre les deux versions.
 

Une loi palestinienne permet des peines réduites dans le cas des « crimes d’honneur » commis par un père, un frère ou un mari.

Ramallah, Cisjordanie : L’heure de route qui sépare la Jordanie de la frontière israélienne est supposée être la journée qui a changé la vie de Faten Habash.


La jeune chrétienne palestinienne, amoureuse d’un jeune musulman, défiait les traditions qui l’obligeaient à avoir l’accord de son père pour se marier. Avec sa robe de mariée et son maquillage précieusement emballé, Mademoiselle Habash allait vers le pont Allenby avec Samer, l’amour de sa vie, pour fuir avec lui en Jordanie.

 
Mais il fallait déjà traversé les check-points, et le passeport de Samer, selon les douaniers, n’étaient pas en règle.

 
Ils ont fait demi-tour. La famille Habash, accompagné du gouverneur local, l’a attrapée et ramenée en colère jusqu’à Ramallah. Elle a été réprimandée et battue, on lui a dit qu’elle ne pourrait plus revoir Samer, qu’elle devrait épouser son cousin ou aller à Rome pour se faire nonne. Désespérée, elle a sauté du balcon du quatrième étage de la maison familiale (d’autres rapport indiquent qu’elle a été poussée) et a été hospitalisée suite à une fracture du bassin et d’autres blesures.

 
« Faten était audacieuse. Elle était courageuse. Elle était très ambitieuse et ne craignait personne. Elle était convaincue par ses actions » affirme son amie Roulla Faraj, 20 ans, dont les jeans et le haut turquoise sans manche contraste avec ce que portent d’autres musulmanes du voisinage. « Pendant tout le temps où elle était à l’hôpital, elle disait : « je ne veux pas entrer chez moi, parce que j’ai le sentiment qu’il va m’arriver quelque chose ». » Pendant les six semaines passées à l’hôpital, Faten refusait de voir son père et passait des messages à Samer par le biais d’amis.

 
« Je l’ai interrogée sur lui, je lui disais « tu es en train de rompre avec toute ta famille pour lui, tu es chrétienne, il est musulman. Et si tu pars en Jordanie et qu’il ne se marie pas avec toi ? »  témoigne une de ses compagnes d’hospitalisation. Elle répondait « je l’aime tellement qu’être avec lui une heure est pour moi aussi important que toute la durée de ma vie ». Lorsqu’elle était assez guérie pour marcher, l’hôpital l’a renvoyée chez elle. Et après quelques jours d’enfermement, elle était morte, victime d’un des sept meurtres d’honneur commis dans les territoires palestiniens depuis le début de l’année, des cinq qui ont eut lieu en un mois.

 
Le père, qui l’a tuée d’un coup de barre en fer à la tête, devrait faire six mois de prison pour ce crime, grâce à une loi jordanienne de 1960, toujours en vigueur en Cisjordanie, qui offre une punition plus clémente pour le meurtre d’une femme commis par son père, son frère ou son mari au nom de l’honneur de la famille. Une condamnation pour meurtre équivaut dans d’autres cas à la prison à vie, mais peut être réduite à une peine de trois à dix ans, et même moins s’il s’agit d’une femme adultère.

 
« Malheureusement, nous avons des lois très traditionnelles qui légitiment le fait de tuer une femme » explique Amal Khreisheh, directrice de la Société pour le Développement des Femmes Travailleuses.

 
Les statistiques officielles montrent qu’il y a eu en 2004, 33 cas de crimes d’honneur, définis comme l’assassinat, par un homme de la famille, d’une femme perçue comme ayant fait honte à la famille en ayant des contacts avec un homme. Mais les militants des droits humains disent que le nombre véritable doit être plus élevé, puisque de nombreux cas de violences domestiques ne sont pas comptabilisés comme crimes d’honneur.

 
La mort de Faten a provoqué de la colère à Ramallah, où, plus tard, plusieurs centaines de femmes se sont rassemblées près du siège du parlement pour réclamer le changement de la loi sur les crimes d’honneur.

 
Certains observateurs pensent que le renouveau soudain des crimes d’honneur est une conséquence de l’augmentation de la violence en Cisjordanie, reflétant la psychologie de la population touchée par cinq ans d’intifada et d’incursions israéliennes.

 
Les crimes d’honneur « ne sont pas un phénomène nouveau, c’est triste à dire. Ce qui est nouveau c’est cette vague de meurtres en 2005 », dit Soraida Hussein, responsable de la WCLAC de Jérusalem. (…)

 
Moins d’une semaine après la mort de Faten Habash, un père et une mère ont été arrêtés à Jérusalem-Est pour le meurtre de deux de leurs filles et tentative d’assassinat sur la troisième. Le frère des sœurs, qui est le principal suspect de ces meurtres, est en fuite. (…)


Les groupes pour les droits des femmes disent que la montée de l’influence du Hamas, qui soutien une interprétation fondamentaliste de la loi islamique et comptent accroître son audience lors des élections parlementaires de l’été prochain, est une des causes principales. Le conflit entre les laïques et les dirigeants religieux traditionalistes ont empêché toute modification des lois sur la famille, faisant en sorte que les politiciens soient très prudents sur cette question.


« Je ne sais pas si les actuels députés apporteront de véritables amendements. Le tribalisme est toujours très fort ici » dit Hussein Sholi, conseiller dans un comité juridique désigné par le président palestinien Mahmoud Abbas. « Il y a des principes que nous ne pouvons pas violer. Aucun argument ne nous permet de légaliser des meurtres, les meurtres d’honneur, bien que pour beaucoup de gens cela contredirait la loi de la Charria » ajoute-t-il, tout en précisant « mais nous devons déjà contenir les crimes les plus dangereux, et ceux-ci ne doivent pas être considérés comme tels ».

Carolynne Wheeler, Globeandmails.com, 16 mai 2005