Le prix qu’une femme doit payer pour défier le code d’honneur
Une loi palestinienne permet des peines réduites dans le cas des « crimes d’honneur » commis par un père, un frère ou un mari.
Ramallah, Cisjordanie : L’heure de route qui sépare la Jordanie de la frontière israélienne est supposée être la journée qui a changé la vie de Faten Habash.
La jeune chrétienne palestinienne, amoureuse d’un jeune
musulman, défiait les traditions qui l’obligeaient à
avoir l’accord de son père
pour se marier. Avec sa robe de mariée et son maquillage
précieusement emballé,
Mademoiselle Habash allait vers le pont Allenby avec Samer, l’amour de
sa vie,
pour fuir avec lui en Jordanie.
Mais il fallait déjà traversé les check-points, et
le
passeport de Samer, selon les douaniers, n’étaient pas en
règle.
Ils ont fait demi-tour. La famille Habash, accompagné du
gouverneur local, l’a attrapée et ramenée en
colère jusqu’à Ramallah. Elle a
été réprimandée et battue, on lui a dit
qu’elle ne pourrait plus revoir Samer,
qu’elle devrait épouser son cousin ou aller à Rome pour
se faire nonne.
Désespérée, elle a sauté du balcon du
quatrième étage de la maison familiale
(d’autres rapport indiquent qu’elle a été poussée)
et a été hospitalisée suite
à une fracture du bassin et d’autres blesures.
« Faten était
audacieuse. Elle était courageuse. Elle
était très ambitieuse et ne craignait personne. Elle
était convaincue par ses
actions » affirme son amie Roulla Faraj, 20 ans, dont
les jeans et le haut
turquoise sans manche contraste avec ce que portent d’autres musulmanes
du
voisinage. « Pendant tout
le temps où elle était à l’hôpital, elle
disait : « je ne veux pas entrer chez moi, parce que
j’ai le
sentiment qu’il va m’arriver quelque chose ». »
Pendant les six semaines
passées à l’hôpital, Faten refusait de voir son
père et passait des messages à
Samer par le biais d’amis.
« Je l’ai
interrogée sur lui, je lui disais « tu
es en train de rompre avec toute ta famille pour lui, tu es
chrétienne, il est
musulman. Et si tu pars en Jordanie et qu’il ne se marie pas avec
toi ? » témoigne une de ses
compagnes d’hospitalisation. Elle
répondait « je
l’aime tellement qu’être avec lui une heure est pour moi
aussi important que toute la durée de ma vie ».
Lorsqu’elle était assez
guérie pour marcher, l’hôpital l’a renvoyée chez
elle. Et après quelques jours
d’enfermement, elle était morte, victime d’un des sept meurtres
d’honneur
commis dans les territoires palestiniens depuis le début de
l’année, des cinq
qui ont eut lieu en un mois.
Le père, qui l’a tuée d’un coup de barre en fer à
la tête,
devrait faire six mois de prison pour ce crime, grâce à
une loi jordanienne de
1960, toujours en vigueur en Cisjordanie, qui offre une punition plus
clémente
pour le meurtre d’une femme commis par son père, son
frère ou son mari au nom
de l’honneur de la famille. Une condamnation pour meurtre
équivaut dans
d’autres cas à la prison à vie, mais peut être
réduite à une peine de trois à
dix ans, et même moins s’il s’agit d’une femme adultère.
« Malheureusement, nous
avons des lois très
traditionnelles qui légitiment le fait de tuer une femme »
explique Amal
Khreisheh, directrice de la Société pour le
Développement des Femmes
Travailleuses.
Les statistiques officielles montrent qu’il y a eu en
2004, 33 cas de crimes d’honneur, définis comme l’assassinat,
par un homme de
la famille, d’une femme perçue comme ayant fait honte à
la famille en ayant des
contacts avec un homme. Mais les militants des droits humains disent
que le
nombre véritable doit être plus élevé,
puisque de nombreux cas de violences
domestiques ne sont pas comptabilisés comme crimes d’honneur.
La mort de Faten a provoqué de la colère à
Ramallah, où,
plus tard, plusieurs centaines de femmes se sont rassemblées
près du siège du
parlement pour réclamer le changement de la loi sur les crimes
d’honneur.
Certains observateurs pensent que le renouveau soudain des
crimes d’honneur est une conséquence de l’augmentation de la
violence en
Cisjordanie, reflétant la psychologie de la population
touchée par cinq ans
d’intifada et d’incursions israéliennes.
Les crimes d’honneur « ne
sont pas un phénomène
nouveau, c’est triste à dire. Ce qui est nouveau c’est cette
vague de meurtres
en 2005 », dit Soraida Hussein, responsable de la
WCLAC de Jérusalem. (…)
Moins d’une semaine après la mort de Faten Habash, un
père
et une mère ont été arrêtés à
Jérusalem-Est pour le meurtre de deux de leurs
filles et tentative d’assassinat sur la troisième. Le
frère des sœurs, qui est
le principal suspect de ces meurtres, est en fuite. (…)
Les groupes pour les droits des femmes disent que la
montée de l’influence du Hamas, qui soutien une
interprétation fondamentaliste
de la loi islamique et comptent accroître son audience lors des
élections
parlementaires de l’été prochain, est une des causes
principales. Le conflit
entre les laïques et les dirigeants religieux traditionalistes ont
empêché
toute modification des lois sur la famille, faisant en sorte que les
politiciens soient très prudents sur cette question.
« Je ne sais pas si les
actuels députés apporteront
de véritables amendements. Le tribalisme est toujours
très fort ici » dit
Hussein Sholi, conseiller dans un comité juridique
désigné par le président
palestinien Mahmoud Abbas. « Il y a des principes que nous ne pouvons
pas
violer. Aucun argument ne nous permet de légaliser des meurtres,
les meurtres d’honneur,
bien que pour beaucoup de gens cela contredirait la loi de la
Charria »
ajoute-t-il, tout en précisant « mais nous devons déjà
contenir les crimes
les plus dangereux, et ceux-ci ne doivent pas être
considérés comme tels ».
Carolynne Wheeler,
Globeandmails.com, 16 mai 2005