L'amour
est fait de sacrifices, croit Samira Halayka. Et son sacrifice à
elle, c'est de
partager son mari avec une femme qui pourrait être sa fille. À
42 ans, Samira Halayka vient d'être élue
députée aux élections législatives
palestiniennes. Son nom figurait sur la liste des candidats du Hamas.
Et
conformément aux préceptes prônés par ce
groupe intégriste, elle ne sort pas
sans son hidjab, refuse de serrer la main d'un homme et défend
avec conviction
le droit à la polygamie. "
Je suis une femme simple, élevée dans une famille
très religieuse ",
confie la nouvelle députée, rencontrée le mois
dernier à Ramallah. Originaire
de Hébron, une ville de Cisjordanie où quelques centaines
de colons juifs
vivent au milieu de 100 000 Palestiniens, Samira Halayka détient
un
baccalauréat en droit islamique. Pendant plusieurs
années, elle a travaillé
dans un centre d'information où elle était chargée
de recenser les
confrontations entre la population palestinienne et les colons juifs. À
21 ans, elle a épousé un voisin, Mohammed. Au fil des
ans, le couple a eu six
enfants. Puis, Mohammed a eu un coup de coeur pour une adolescente de
18 ans,
qu'il a épousée et qui lui a rapidement donné un
nouvel enfant. Trois
ans plus tard, les deux femmes partagent la même maison. Samira a
ses
appartements à l'étage, la jeune épouse au
rez-de-chaussée. " Elle est
comme une fille pour moi, et son fils, comme un frère pour mes
enfants ",
dit Samira, assurant que cette coexistence se passe dans la plus grande
harmonie. "
L'islam permet aux hommes d'avoir jusqu'à quatre épouses
et je ne pouvais pas
empêcher mon mari de réaliser son désir ", dit
Samira. De toute façon,
selon elle, mieux vaut que l'homme soit lié officiellement
à sa nouvelle femme,
plutôt que de la jeter à la rue avec un enfant
illégitime. Pour
Samira, il est naturel qu'un homme désire plus d'une femme
à la fois et l'islam
" constitue la meilleure manière de régler ce
problème ". Mais pour que la
polygamie fonctionne bien, il y a des
règles à respecter. " Le mari ne peut pas favoriser une
épouse au
détriment de l'autre. Il doit être juste. S'il dort une
nuit avec l'une, il
doit dormir l'autre nuit avec l'autre. Et il doit veiller
équitablement à notre
bien-être matériel. " En ce moment, cette
exigence d'équité ne pose pas trop de
problèmes: le mari de Samira dort tout seul dans la cellule de
la prison
israélienne où il est incarcéré depuis
plusieurs mois. Depuis
sa prison,
Mohammed peut suivre les séances du conseil législatif
à la télévision et voir
sa femme évoluer dans son nouveau milieu de travail. Samira est
l'une des six
femmes élues sous la bannière du Hamas aux
législatives de janvier. Et l'une
des 17 femmes dans une assemblée de 132 élus. Même si elle est
autorisée, la polygamie demeure peu
populaire chez les Palestiniens, ne serait-ce que pour des raisons
financières.
À peine trois des nouveaux élus du Hamas ont plus d'une
épouse. Mais ce
phénomène est aussi loin de faire l'unanimité. Le
8
mars dernier, des féministes palestiniennes avaient
manifesté contre cette
pratique encouragée par le Hamas. Samira Halayka
était scandalisée. " Ces féministes
contestent l'une des doctrines fondamentales de l'islam. Elles ne se
soucient
pas de la protection de la deuxième femme ", dit-elle, ajoutant
qu'il est
dans la nature d'une femme de se sacrifier pour son mari. Ne voudrait-elle pas
elle-même multiplier les conjoints?
" L'islam ne le permet pas, mais je peux divorcer et épouser un
nouvel
homme. " Mais pour l'instant, son
principal souci, c'est que son mari
soit libéré. "Je serais honorée de pouvoir
cirer ses chaussures ",
clame-t-elle. En fait, Samira aime tant
son mari qu'elle est prête à le
partager une fois de plus. " Si vous voulez l'épouser, ça
me ferait
plaisir de le partager avec vous. Regardez comme il est beau , dit-elle
en
brandissant le médaillon qu'elle porte accroché au cou. La Presse, 13 avril 2006 |