Au Liban,
dès l’arrêt des combats, une grande partie des quelque
900000 personnes
chassées de chez elles par les bombardements israéliens
ont commencé à
retourner vers leurs habitations ou vers ce qu’il en reste. Ceux qui
campaient depuis plusieurs semaines dans les écoles ou dans les
parcs,
hébergés par des proches ou bien ayant gagné la
Syrie voisine, sont
retournés vers la banlieue sud de Beyrouth détruite,
semble-t-il, à
près de 20%. D’autres ont, sans attendre, commencé
à regagner le sud du
pays, lui aussi dévasté et difficilement accessible, du
fait des routes
et des ponts systématiquement détruits par l’armée
israélienne.
UN SENTIMENT DE VICTOIRE? Malgré les
destructions, malgré les pertes humaines, malgré les
énormes problèmes auxquelles ils auront à faire
face, le soulagement
est visible. Bien sûr, il y a l’arrêt des combats; mais, de
plus,
beaucoup tenaient à afficher un sentiment de victoire, faisant
le V de
la victoire ou affichant les drapeaux du Hezbollah et les portraits de
son chef. Il est évident pour tous qu’Israël n’a pas
atteint ses
objectifs, et que cela est dû à la résistance que
son armée a
rencontrée de la part des combattants du Hezbollah.
Déjà fortement
implanté dans la population chiite du Liban-Sud
et de la banlieue sud de Beyrouth, le Hezbollah («Parti de
dieu») sort
visiblement de l’épreuve avec un prestige renforcé, y
compris au sein
des autres communautés, sunnite et même chrétienne.
Son dirigeant
Hassan Nasrallah ne se fait pas faute de proclamer qu’il a vaincu
Israël, et que celui-ci a dû reculer. Dès le 14
août au soir, parlant à
la télévision, il a déclaré que le
Hezbollah ne désarmerait pas.
Répondant aux autres partis libanais qui se joignent aux grandes
puissances et à Israël pour demander son
désarmement, Nasrallah a
répondu en substance: «Israël a essayé et n’a
pas réussi, si vous
voulez essayer à votre tour, allez-y!»
Mais le chef du Hezbollah a
aussi promis l’aide de son parti à
tous ceux qui ont souffert de la guerre, énumérant assez
précisément
les aides auxquelles chacun aurait droit pour sa maison
détruite, pour
ses meubles, etc. Face à un gouvernement libanais qui brille par
son
absence, non seulement quand il s’agit d’organiser la défense de
la
population, mais même pour l’aider à survivre, le
Hezbollah peut se
montrer efficace dans la prise en compte des besoins des petites gens
frappées par la guerre. Et de fait, durant toute la guerre dans
le sud
et à Beyrouth, bien plus que les services de l’État,
c’est
l’infrastructure du Hezbollah qui a apporté son aide à la
population, y
compris dans les écoles ou dans les parcs où celle-ci
s’était réfugiée.
Ainsi le principal
résultat politique de l’intervention
militaire israélienne est d’avoir renforcé le prestige du
Hezbollah
qu’elle voulait combattre. Tout comme en Palestine où la
politique
agressive d’Israël a fini par renforcer le Hamas, elle aboutit
à
renforcer un courant islamiste intégriste; non pas tant du fait
des
idées que celui-ci professe, mais parce que, tout comme le
Hamas, le
Hezbollah est le parti qui compte le plus de militants apparaissant au
service de la population. Non seulement ceux-ci se sont montrés
prêts à
sacrifier leur vie, mais le Hezbollah est aussi présent par le
biais
d’associations d’entraide, de services sociaux et médicaux, et
donne
une image de probité comparée à celle des
politiciens qui semblent
avant tout soucieux de leur carrière et de leurs affaires.
LE DISCRÉDIT D’UNE PARTIE DES DIRIGEANTS LIBANAIS De même que les
dirigeants d’un certain nombre d’États arabes,
de l’Arabie saoudite à la Jordanie et à l’Égypte,
une partie des
dirigeants libanais avaient visiblement espéré
qu’Israël vaincrait
rapidement le Hezbollah. C’est le cas en particulier du Courant du
Futur de Saad Hariri, le fils de l’affairiste et ancien Premier
ministre Rafic Hariri assassiné en février 2005. Le
Courant du Futur et
son allié Walid Joumblatt, dirigeant féodal de la
communauté druze qui
s’affirme «socialiste», s’étaient alliés pour
réclamer le départ des
troupes syriennes du Liban, avec l’appui des grandes puissances et
notamment de la France et des États-Unis.
Ces représentants
richissimes de la bourgeoisie libanaise
peuvent se plaindre aujourd’hui de ne pas avoir été
payés de retour.
Toutes leurs courbettes devant les dirigeants impérialistes ne
leur ont
même pas valu quelques gestes de ceux-ci pour stopper l’offensive
d’Israël et arrêter la destruction du pays. De plus, durant
un mois,
les Hariri et les Joumblatt, champions de l’indépendance
libanaise face
à la Syrie, n’ont rien su dire à la population en butte
à l’agression
d’Israël. Comment s’étonner si, face à eux, le
prestige du Hezbollah
augmente, au-delà de la population chiite, car chacun a
constaté que
«lui, au moins, il se bat!»
L’offensive d’Israël
était-elle concertée avec les États-Unis,
voire avec certains politiciens libanais, pour aider à fonder un
Liban
dominé par la bourgeoisie chrétienne et ses alliés
musulmans sunnites,
vassal d’Israël et de l’impérialisme? C’est possible car
c’est un vieux
projet d’Israël, poursuivi dans ses guerres successives et qui a
plusieurs fois échoué. Au moment où l’armée
américaine s’enferre dans
le bourbier irakien, ce coup de main donné à Bush et
à ses plans de
«nouveau Moyen-Orient» était bienvenu pour lui. Mais
c’est une fois de
plus raté, et Israël et les États-Unis risquent
plutôt de se retrouver
devant des difficultés supplémentaires. Même si
cela n’exclut pas que,
dans un futur plus ou moins proche, on les voie se livrer à une
nouvelle fuite en avant, au Liban ou même ailleurs: contre l’Iran
ou la
Syrie par exemple.
LE SUCCÈS DU HEZBOLLAH N’EST PAS CELUI DES MASSES PAUVRES Malheureusement le
succès politique du Hezbollah n’est pas non
plus une victoire du peuple libanais, ni du peuple palestinien et des
autres peuples arabes. Comme le Hamas en Palestine, et même s’il
est
capable de se montrer proche des masses pauvres, le Hezbollah est un
parti réactionnaire par ses références, mais aussi
par ses objectifs
sociaux et politiques. Le régime qu’il vise à instaurer
serait une
réédition de la dictature des mollahs iraniens et ne
profiterait qu’à
une bourgeoisie qui, pour être «islamiste», n’en
serait pas moins
féroce à l’égard de la population pauvre.
Au Liban il existe pourtant un
Parti Communiste fort d’une
certaine tradition, et disposant de militants dévoués.
Tout en
affirmant ses désaccords avec le Hezbollah quant à ses
objectifs
politiques, il a décidé de participer aux combats
à ses côtés, au nom
de la «résistance», et le Hezbollah lui a fourni des
armes. Des
militants communistes sont tombés aux côtés de ceux
du «Parti de dieu».
Malheureusement, si cela montre leur esprit de sacrifice, cela montre
aussi l’incapacité du Parti Communiste Libanais à
proposer une
politique défendant vraiment les intérêts des
classes exploitées,
indépendamment d’un parti religieux réactionnaire comme
le Hezbollah,
qui a d’ailleurs lui-même organisé, dans le passé,
l’assassinat de
militants communistes.
Défendre les
intérêts des travailleurs et de l’ensemble des
masses pauvres, contre l’impérialisme et ses agents mais aussi
contre
la bourgeoisie dans ses différentes variantes, chrétienne
ou musulmane
sunnite ou chiite ou druze, au Liban mais aussi en Palestine, en
Israël
et dans tout le Moyen-Orient, ce serait pourtant indispensable pour
que, à un moment ou à un autre, les peuples de la
région puissent
sortir de l’impasse des multiples conflits dans lesquels on les jette.
A. F., Lutte Ouvrière, 18 août 2006 |