Jours d’angoisse à Bethléem

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Les femmes de Gaza inquiètes pour leurs libertés
L'inquiétude des communistes palestiniens
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Hier, jour de messe dominicale, les Palestiniens chrétiens de Bethléem dissimulaient mal, derrière les sourires et les propos conciliants, l’angoisse qu’ils ressentent depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes du Hamas.
Dimanche matin : les fidèles se pressent, sous un soleil printanier, dans la basilique de la Nativité pour la messe dominicale. Le curé, le père franciscain Amjad Sabbara, accueille chacun d’un petit mot gentil. Mais un sujet est dans tous les esprits : la victoire électorale du parti de la résistance islamique.
« C’est le résultat de la démocratie. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Nous attendons de voir quels sont leurs projets », plaide-t-il d’une voix grave. « Nous sommes en contact avec le Hamas : ils nous assurent qu’ils vont respecter toutes les religions. » « Les chrétiens représentent la moitié de la population de Bethléem, nous avons un statut spécial, le Christ est né ici. Je suis sûr qu’ils vont respecter cela. » Peu après leur élection, des nouveaux élus du Hamas ont pourtant évoqué publiquement, avant d’être interdits de parole par leur hiérarchie, des projets de lois basés sur la charia, une obligation généralisée de porter le voile ou la séparation des sexes dans les écoles. Abir Hawaz, étudiante de 19 ans aux longues boucles brunes, s’est toutefois longuement maquillée avant de sortir. « Nous sommes chrétiennes, pas question pour nous de porter le voile. Et Abou Mazen (le président Mahmoud Abbas) ne les laissera pas faire. » Près d’elle Roula, 40 ans, tient sa petite fille par la main. « Ils forceront peut-être les musulmanes à se voiler, pas nous. Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils sont tellement loin des positions israéliennes. Le Fateh était plus proche. Je crains qu’ils ne puissent parvenir à un accord avec Israël. La vie pour nous va devenir plus difficile encore... »
Les douze églises chrétiennes présentes en Terre Sainte ont récemment proposé de coopérer avec le Hamas, « pour le bien du peuple palestinien ». Et dans leurs discours, les chefs du Hamas multiplient assurances et bonnes paroles.
Il en faudra davantage pour rassurer Walid Andonia et ses copains. Cheveux fixés au gel, croix d’or sur la poitrine et chaussures à bouts carrés, ils prennent le soleil près de l’église, assis sur une colonne de granit couchée contre un mur. « Sûr, le Hamas dit des tas de choses gentilles, mais dans cinq ans ? Ils ne dévoilent pas tout ce qu’ils veulent faire », soupire ce grand gaillard aux mains larges comme des battoirs, qui gagne 50 shekels (9 euros) par jour comme tailleur de pierres. « Les chrétiens de Bethléem partent à l’étranger les uns après les autres. Ils vendent leurs maisons, leurs terres aux musulmans et filent. Moi, je partirais dans la minute si je pouvais. Nous sommes comme en cage, ici. Nous aimons notre pays, mais détestons notre vie. » « Ceux qui vous disent qu’ils n’ont pas peur du Hamas vous mentent ! Donnez des visas pour l’Amérique ou l’Europe et vous verrez à quelle vitesse Bethléem se videra de ses chrétiens ! » ajoute-t-il. « Je vous assure que mes amis musulmans sont aussi inquiets que moi. Ils boivent plus d’alcool que nous ! Ils ne veulent pas que leurs femmes soient forcées de se voiler... Mais ils n’auront pas le choix. »
Dans la bande de Gaza, bien avant d’arriver au pouvoir, les islamistes ont interdit l’alcool. Le dernier bar à en vendre a sauté le soir du Nouvel An. Derrière le comptoir du Jacaman Supermarket, dans la Vieille Ville, Georges, 40 ans, a affiché une gravure de la Vierge Marie et rangé les flasques de whisky. « Hamas n’a pour l’instant rien dit à propos de l’alcool. Croyez-moi, ils ont des choses plus urgentes à régler. Ils sont dans la grande politique, cela va les occuper un moment ! » Il y a quelques jours, la brasserie Taybeh, la seule de Cisjordanie, a annoncé la création d’une bière sans alcool. Couleur de l’étiquette : verte.

L'Orient le Jour, 6 février 2006