A en croire certains commentateurs, le Hamas ne serait finalement pas si islamiste que cela, et si il est beaucoup question de savoir si, au gouvernement, le Hamas acceptera ou non de reconnaître Israël, on ne trouve par contre que très peu d’informations sur le programme du Hamas pour la société palestinienne. Pourtant, le « programme
pré-électoral du bloc Pour le Changement et les
Réformes » (nom de la
liste du Hamas pour les élections parlementaires de janvier
2006) est très
clair sur cette question et a été publié le 24
janvier sur un site lié aux
islamistes palestiniens[1]. Laissons tomber la longue introduction
qui commence comme un prêche (« Au nom de Dieu, le
Clément, le
Miséricordieux ») et comporte de longues
citations du coran, pour en
arriver sur ce qui est appelé les principes de la liste. Et le
premier de ces principes
c’est : « Le véritable Islam et la
réalisation de la civilisation
islamique, voilà la base de notre identité et la base de
la construction de la
vie dans tous ses éléments, à la fois politiques,
économiques, sociaux et
juridiques ». Et on peut préciser que dans tous
les paragraphes, ou
presque, concernant la libération nationale, le Hamas ajoute que
la Palestine
est « une part intégrale de l’oumma islamique ».
Plus loin, dans ce programme, on peut
lire : « A propos de la politique législative
et la refondation du
système judiciaire nous proposons : de faire de la Charria
le point de
départ de la législation de l’Autonomie
Palestinienne. » Bien sûr, le
Hamas s’affirme presque démocrate en affirmant par exemple dans
le quatrième
point de son programme concernant la législation :
« Développer
une culture du dialogue, où toutes les opinions seront
respectées »,
mais en ajoutant aussitôt cette restriction, « seulement
si elles ne
s’éloignent pas de l’héritage culturel et religieux du
peuple palestinien ».
Et on sait ce que cela signifie pour le Hamas : les revendications
féministes, par exemple, sont considérées par les
islamistes comme des valeurs
étrangères à cet « héritage
culturel et religieux ». On peut y voir
aussi, de façon très claire, l’interdiction des propos
jugés
« blasphématoires » et de tout regard
critique sur le coran, la sunna
ou la charria. D’ailleurs, dans la partie du programme
électoral concernant la formation, le premier point
indique : « Les
principes pédagogiques, qui dirigent la philosophie de la
pédagogie en
Palestine, sont en premier lieu l’Islam, comme système universel
de formation,
qui enseigne le bien à l’homme et assure ses droits individuels
et publics. »
Est-il besoin de commenter ce point ? Est-il besoin de rappeler
que depuis
le 7ème siècle, date à laquelle l’islam
a été inventé, bien des
avancées dans la connaissance scientifique, dans la culture et
dans les arts
ont été réalisées ? Et comme tous les partis réactionnaires de par le monde, le premier point du volet « politique sociale » de ce programme électoral indique : « Soutien à la base saine de la famille palestinienne. Nous devons adhérer à ce soutien afin de préserver nos valeurs et nos principes moraux. » Cette « base saine » est-elle cette vieille tradition, toujours en vigueur en Palestine, qui permet à un homme de la famille d’assassiner une femme parce qu’il la soupçonne d’avoir eu des relations sexuelles hors du mariage ? Cette base saine est-elle celle qui fait des femmes des éternelles mineures sous la tutelle du père, des frères, puis du mari ? A chaque fois que des réactionnaires brandissent le drapeau de la « saine base familiale », ce qu’ils défendent c’est la famille patriarcale où la femme doit courber l’échine face à son mari, ignorer ses aspirations et ses désirs, bref se sacrifier pour son homme. C’est au nom de cette « base saine » que, partout dans le monde, on cherche à refuser aux femmes le droit de choisir leur sexualité, c’est au nom de cette base que, partout, on condamne et persécute les homosexuel(le)s… D’ailleurs, ce « volet
social » du programme électoral du Hamas
précise sans son point
5 : « Concernant la législation sur le statut
civil et les voies
de la Charria : il est nécessaire d’accepter la loi, sur la
base des
textes du droit musulman (Charria) et ses livres
théologico-juridiques ;
de sélectionner parmi eux tous ce qui correspond au
développement de la société
palestinienne islamique ; de publier des décision
législative sur l’application
de la charria en Palestine qui doit dans toute sa variété
être l’unique modèle
à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza (…) ». Bref, la base et la source de tout ce
qui concerne la famille et donc les femmes, c’est la Charria, encore la
Charria
et toujours la Charria ! Comme si rien n’avait
évolué depuis le 7ème
siècle ! Et si, en ce qui concerne déjà de
nombreux points législatifs en
Palestine, la Charria est déjà une des sources du droit,
on sait que pour le
Hamas c’est l’interprétation la plus stricte et la plus
rétrograde de ce texte
qui lui sert de base. Et comme si ce n’était pas assez
clair,
le point 6 de ce même « volet social »
ajoute : « Protection
de la structure sociale unie, acceptable pour le peuple palestinien, et
protection de la morale publique, garantie de la protection des
principes
moraux pour empêcher tous les processus qui la piétinent ».
On peut
rappeler que c’est justement au nom de cette « protection
des principes
moraux » que le Hamas s’était fermement opposé
à toute revendication
féministe[2] !
Que c’est au nom de ces principes « moraux »
rétrogrades que la
municipalité de Qualqilya
a interdit un
festival de musique, entre autre pour s’opposer à la
mixité[3] !
Que
c’est pour défendre cette « morale
publique » que des assassins fondamentalistes
avaient exécuté Yousra en pleine rue à Gaza[4] !
Que déjà des factions armées se définissant
comme « milices de la
vertu » sèment la terreur en Cisjordanie et dans la
Bande de Gaza ! Et le point 13, toujours dans ce
même
volet, précise : « Combattre la
drogue, l’alcool, la
dégradation morale sous toutes ses formes par les
méthodes cultivées d’un
éclaircissement selon l’esprit et la lettre de la Loi ».
Précisons que
la « Loi », surtout avec un grand L, c’est, pour
le Hamas, la
charria. Et si ce n’est pas la peine de revenir sur la conception
islamiste du
« respect de l’esprit et de la lettre de la Loi »
concernant
le droit des femmes et la sexualité, on peut noter, pour ce qui
est de
l’alcool, qu’au début de ce mois de janvier, le dernier endroit
où l’on pouvait
acheter des boissons alcoolisées à Gaza a
été détruit par une explosion. Le volet suivant concerne
l’information, et on trouve de nombreux articles défendant la
liberté de la
presse, mais une « liberté »
réalisée selon les principes de l’islam
politique, c’est à dire limitée et
contrôlée. Ainsi, le premier point du volet
concernant les médias indique : « La
politique de l’information
doit être basée sur les principes de la liberté de
pensée, la liberté des
opinions, l’ouverture et l’honnêteté »,
pour limiter immédiatement
cette liberté dans le point 2 : « Il est
nécessaire de protéger
les citoyens, et en particulier les jeunes gens, de
l’immoralité, de la
banalité, de l’imitation de l’Ouest et de l’assimilation
culturelle ».
A noter que lorsque des femmes revendiquent leurs droits, c’est, pour
le Hamas,
une « imitation de l’Ouest » ! Et ce point 2
montre bien la
conception de la liberté de la presse et des médias pour
le Hamas, une liberté
à l’iranienne ou à la saoudienne ! A se demander si
des chansons d’amour,
ou même des femmes sans hidjab, pourront passer à la
télévision ou à la
radio ! Le volet suivant concerne « Les
problèmes des femmes, des enfants et de la famille ».
Et le point 4 de
ce volet résume bien toute la philosophie réactionnaire
du Hamas concernant les
femmes : « Renforcer l’éducation islamique
des femmes, la garantie
de leurs droits, le moulage d’une personnalité
indépendante de la
Palestinienne, où sont inhérentes à la fois la
modestie, la décence et le
sentiment de la dette nationale. » On voit mal de quels
droits il
s’agit, si ce n’est celui de se taire « avec
modestie ». Quant à la
« décence », on ne sait malheureusement
que trop bien ce que ce mot
signifie pour les militants de l’islam politique. Meriem
Farhat, candidate élue dans la Bande de Gaza, avait d’ailleurs
indiqué lors de
la campagne qu’une des première loi qu’elle proposerait au
parlement serait de
rendre le voile obligatoire[5]. Imposer le voile aux femmes fut d’ailleurs une
des
première campagne du Hamas d’abord dans la Bande de Gaza, puis
dans différentes
régions de Cisjordanie[6]. Et un peu plus
loin, dans le point 7 de ce volet, il est écrit :
« Protéger la
femme palestinienne de ce qui nie son rôle spécifique, se
moque de son essence
féminine, insulte son mérite et contre d’autres actions
contraires au droit ».
On sait que pour le Hamas, le droit c’est la Charria. On sait que leur
protection de la femme justifie pour les islamiste d’assassiner une
jeune fille
dans les rues. Et on sait surtout que lorsque les réactionnaires
parlent de
« rôle spécifique » et
« d’essence féminine », c’est
toujours un moyen pour justifier l’oppression des femmes, pour lui nier
son
statut d’être humain à part entière. Et enfin, pour
finir ce tissu de mesures rétrogrades, notons que pour le volet
concernant les
jeunes, le Hamas indique dans le point 4 : « Protection
des jeunes
gens de toute manifestation de défaut et de dégradation
morale »…
Comme protéger une jeune fille en l’assassinant ? Comme
interdire un
festival de musique ? Ces quelques
extraits du programme électoral du bloc « Pour le
Changement et les Réformes » rappellent bien le caractère
profondément réactionnaire, anti-féministe, et
liberticide du Hamas. Bien sûr, si les militants du Hamas
adhèrent à ce programme, bien des électeurs ont
surtout voulu sanctionner le
Fatah, sa corruption, et le chaos qui règne dans la Bande de
Gaza lors des
affrontements entre différentes fractions armés. Bien des
électeurs ont voulu,
aussi, protester contre la misère, le chômage et la
pauvreté, sans parler de la
lassitude face à un « processus de paix »
qui n’est, pour la
population palestinienne qu’une continuation de l’occupation, de la
colonisation, des incursions militaires, des contrôles aux
check-points, sans
même parler du Mur de l’apartheid… Pour ce qui est de l’occupation, ce
n’est pas dans le parlement de Ramallah que se prendront les
décisions
importantes. Le Hamas le sait : sur cette question, que ce soit
lui, le
Fatah ou un autre parti, rien de changera concernant l’occupation.
C’est d’ailleurs
pour cela que le Hamas insiste pour former un gouvernement de
coalition,
espérant laisser au Fatah l’échec du
« processus de paix », pour se
consacrer à l’islamisation de la société
palestinienne. Le Hamas, d’ailleurs,
avait avant même les élections demandait des postes comme
l’éducation, le
social ou la santé. Pour ce qui est de la misère et du
chômage, là non plus,
malgré des propositions démagogiques, le Hamas ne
changera rien dans la vie
quotidienne des travailleurs de Palestine. Et il faut rappeler que le
Hamas
est, du point de vue économique, libéral, qu’il
défend un ordre social
capitaliste, lui ajoutant simplement la charité, cette
« valeurs »
des cléricaux de tous les pays, qui consiste à donner
quelques miettes aux
pauvres. Le seul point de son programme que le
Hamas pourra chercher à appliquer, c’est son programme
fondamentaliste,
anti-féministe et liberticide, c’est la Charria la plus stricte
dans toute son
horreur, c’est le renforcement de l’oppression contre les femmes et
au-delà la
réaction pour toute la société palestinienne. Plus que
jamais les féministes de
Palestine ont besoin de toute notre solidarité[7]. Yasmina, 28
janvier 2006. [1] Voir aussi sur la Charte du Hamas : http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/programme_hamas.html [2] Voir entre autre « Les Palestiniennes face aux mouvements islamistes » : [4] Sur l’assassinat de Yousra, voir : http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/milices_de_la_vertu.html http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/police_des_moeurs_gaza.html http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/Le_hamas_reconnait.html [5] Voir : Gaza à l’heure « H » [6] Voir : « Les femmes, le hidjab et l’Intifada » http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/femmes_hidjab.html [7] ASWAT, organisation féministe lesbienne de Palestine, a, par exemple, besoin de toute notre solidarité : http://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/ASWAT_soutien.html |