Droit des femmes en Palestine

(Autorité Palestinienne et Territoires Occupés par Israël)

Par Suheir Azzouni



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Sommaire :

Introduction          
Autorité, sécurité et liberté de la personne
Droits économiques et égalité réelle
Droits politiques et voix civile
Droits culturels et sociaux

Non-discrimination et accès à la justice

Le troisième chapitre de la constitution[i] (La loi de base) de Palestine, publiée dans la Gazette Officielle en mars 2003, affirme que les Palestiniens sont égaux devant la loi. L’Article 9 de la constitution affirme que les Palestiniens ne subiront « aucune discrimination en fonction de leur race, de leur sexe, de leur couleur, de leur religion, de leur conviction politique ou de leur handicap ». Le chapitre affirme aussi que les principes de la Charria islamique sont la principale source de la législation.

L’article 23 de la constitution affirme que toute violation des libertés personnelles ou la privation de liberté personnelle ou de n’importe quel droit civil sont considérés comme des crimes. Un décret présidentiel de 1993 a établit une Commission Indépendante Palestinienne pour les Droits des Citoyens (PICCR), avec pour mandat la protection des droits des citoyens en Palestine[ii].

Même si la constitution affirme que les droits et libertés de tous doivent être protégés et que les citoyens (hommes et femmes) seront traités de façon égalitaire et sans discrimination, de nombreuses lois ne punissent pas les discriminations de sexe. Quelques unes des lois récemment publiées sont plus sensibles à la question du genre, cependant, elles se réfèrent au citoyen, à l’employé ou à la personne, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, et quelques unes rendent la discrimination clairement illégale[iii].

Le mouvement des femmes palestiniennes a activement engagé le dialogue avec le Conseil Législatif Palestinien pour défendre le droit des femmes de transmettre la citoyenneté à leurs époux et enfants. Cependant, le droit à la citoyenneté reste couvert par les lois et réglementations valides avant 1967 dans les territoires palestiniens[iv] ; le code de la nationalité jordanien n°6 de 1945 et ses amendements en Cisjordanie[v] et le code égyptien à Gaza. Ces deux codes nient à la femme le droit de transmettre sa nationalité à son mari ou à ses enfants. De plus, une femme ne peut pas conserver la nationalité palestinienne si elle se marie avec un non-palestinien, à moins qu’elle en fasse la demande écrite au Ministère de l’Intérieur dans l’année qui suit son mariage. Dans la pratique, les femmes mariées avec des non-palestiniens ne demandent pas toujours de conserver leur nationalité palestinienne.

Les Palestiniens vivant à Jérusalem sous loi israélienne dispose d’une carte d’identité de Jérusalem. Cette carte leur sert de permis de résidence et autorise ces Palestiniens à vivre, voyager, travailler et aller à l’école. La plupart des femmes (et quelques hommes) disposant de carte d’identité de Jérusalem et mariées avec des Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza ne peuvent pas obtenir de carte d’identité de Jérusalem pour leurs époux, et leurs époux ne sont donc pas autorisés à vivre à Jérusalem[vi]. Pour les enfants également, il est difficile de vivre ou d’aller à l’école à Jérusalem si seule leur mère et pas leur père possède une carte d’identité de Jérusalem[vii].

Selon la loi islamique (les lois jordaniennes et égyptiennes étaient en application avant l’occupation de 1967), une femme musulmane a le droit de conserver son nom de jeune fille après son mariage si elle le souhaite. Dans les territoires de l’Autorité Palestinienne et ceux sous occupation israélienne, cependant, il n’y a pas de stipulation légale qui permettrait à la femme de conserver son nom de jeune fille ou qui l’obligerait à prendre le nom de son mari. Dans la pratique, le nom de famille de la femme est automatiquement changé après le mariage, parce que les passeports palestiniens tout comme les cartes d’identité israéliennes changent automatiquement le nom de famille de la femme pour celui de son mari[viii]. Le nom des femmes palestiniennes possédant une carte d’identité de Jérusalem sont automatiquement changés par le nom de famille de leurs maris.

Les femmes sont discriminées par les lois régissant le mariage, le divorce, la garde des enfants, l’héritage et la violence contre les femmes. Les hommes et les femmes de Palestine n’ont pas d’accès égal à la justice, et les femmes sont particulièrement discriminées par le code pénal, qui provient des législations jordaniennes et égyptiennes[ix]. Les structures de défense de la loi sont dominées par les hommes et ont parfois des préjugés contre les femmes. Les femmes ont une représentation marginale parmi les juges et la police, ce qui fait que les femmes hésitent à se tourner vers les tribunaux ou les forces de l’ordre pour demander de l’aide. L’accès à la justice est aussi devenu difficile à la fois pour les hommes et les femmes avec la deuxième Intifada (de l’an 2000 à aujourd’hui). La situation politique existante, avec en plus les incursions israéliennes et l’incapacité de l’Autorité Palestinienne a faire régner la loi, rendent les mécanismes judiciaires et légaux plus faibles que jamais. On assiste donc à un renforcement des lois tribales et coutumières.

Le système judiciaire en Palestine est composé d’une hiérarchie de tribunaux[x]. Les femmes ne sont pas reconnues comme des personnes à part entières comme témoins par les tribunaux ni pour les questions du mariage, du divorce et de la garde des enfants. Un rapport du Centre des Femmes pour l’Aide et le Conseil Juridiques (WCLAC) en 2000 démontre que le système judiciaire palestinien voit les femmes comme « inférieure [xi]» et que les femmes sont en général « regardées de bas en haut et traitées avec mépris ». Il montre aussi qu’une « femme divorcée est considérée comme si elle était "inculpée" pour avoir échouer dans ses tentatives pour conserver son mariage ».

Les femmes souffrent des différentes législations en vigueur qui proviennent des quatre différents systèmes légaux en Palestine (israélien, jordanien, égyptien et palestinien) et du fait qu’il n’y a aucun accord légal entre les différentes autorités. Par exemple, un père avec un passeport israélien ou une carte d’identité de Jérusalem peut kidnapper ses enfants et aller en zone israélienne, où l’Autorité Palestinienne ne peut pas faire appliquer la loi. Même chose dans les cas où des maris vivant en Israël arrivent à échapper à toutes les obligations qu’ils ont vis-à-vis de leurs anciennes épouses.

Un grand nombre de femmes palestiniennes ont été assassinées par des membres de leurs familles pour avoir « ternis le nom et l’honneur de la famille », même si les statistiques sont difficiles à obtenir puisque la police considère souvent ces crimes, ou « meurtres d’honneur », comme des suicides ou d’autres causes de décès. On estime qu’il y a environ 20 cas documentés de crimes d’honneur en Palestine chaque année. Le WCLAC à Jérusalem affirme dans son rapport sur la situation des femmes palestiniennes en 2001 qu’il y a eut des informations sur 38 cas de féminicides entre 1996 et 1999, 12 en Cisjordanie et 26 à Gaza ; les assassinats ont été commis par des proches, comme des pères, des frères ou des oncles.

L’article 340 du code pénal jordanien est toujours en application en Cisjordanie, et permet aux parents masculins de bénéficier d’une peine réduite en cas de « crime d’honneur[xii] » et l’assassinat d’une femme de sa famille au cas où elle aurait une sexualité jugée illicite. Dans le même temps, il y a plusieurs exemple de policiers palestiniens fournissant un refuge à des femmes menacées de mort. Malgré la modification du code pénal jordanien en 2001 afin de donner un traitement identique aux hommes et aux femmes, c’est toujours la vieille version du code qui est en application en Cisjordanie. En cas d’adultère, en Cisjordanie, le code indique que « celui qui surprend sa femme ou une de ces mahrams (parentes) commettant l’adultère avec quelqu’un (en flagrant délit), et qui tue ou blesse l’un d’entre eux ou les deux, doit être exempté de peine ». Il indique aussi que « celui qui surprend sa femme, ou une de ses ascendantes, descendantes ou sœurs avec un autre dans un lit illicite, et qu’il tue ou blesse l’un d’entre eux ou les deux, doit avoir une peine réduite »[xiii].

Dans la Bande de Gaza, c’est le code pénal égyptien qui s’applique en cas d’adultère. Il précise « celui qui surprend sa femme commettant l’adultère (en flagrant délit) et la tue immédiatement avec la personne commettant l’adultère avec elle, doit être soumis aux peines de prison et non pas aux peines prévues par les articles 234,236 ». La même peine allégée ne s’applique par contre pas aux femmes qui surprendraient leur mari commettant l’adultère. Le code criminel préparé le 14 avril 2003, et qui circule depuis 2003, mais n’est pas encore en application, devrait traité de façon identique les hommes et les femmes en matière civile, s’il est adopté comme loi palestiniennes[xiv].

Les Palestiniens, hommes et femmes, sont soumis aux arrestations, détentions et exils arbitraires par les Autorités Israéliennes d’Occupation. Il y a de nombreux cas de « détentions administratives[xv] », où les autorités israéliennes enferment des Palestiniens en prison pour des périodes de 6 mois, périodes qui peuvent être renouvelées tous les six mois sans procès[xvi]. Selon le rapport du PICCR du 31 décembre 2003, les Israéliens détiennent dans leurs prisons et centres de détention 6.206 Palestiniens[xvii]. Parmi ces détenus, on trouvait 275 enfants et 77 femmes. Les femmes prisonnières dans des prisons israéliennes sont soumises aux traitements humiliants et sévères, traitements qui ne respectent pas les standards internationaux sur les droits des prisonniers. Dans quelques cas, des prisonnières ont été interdites de contact avec leurs familles.

Le gouvernement palestinien n’a pas ratifié la convention des Nations Unies sur l’Elimination de Toutes les Formes de Discriminations Contre les Femmes (CEDAW), puisque la Palestine n’est pas un Etat indépendant et ne peut donc pas signer de traités ou de conventions internationales.

Les organisations de femmes palestiniennes et les corps officiels, comme l’importante coalition des femmes, le Comité Technique aux Affaires Féminines, ont été très actifs pour s’assurer que les questions des femmes soient prises en compte par la nouvelle entité palestinienne. Il y a eut un travail commun pour gagner et permettre le changement de quelques lois et pour s’assurer que les nouvelles législations discutées par le Conseil Législatif Palestinien ne soient pas discriminatoires envers les femmes. Grâce à ce travail collectif, le code palestinien du travail et la loi sur le statut social sont maintenant plus sensibles à la question des femmes. Cependant, alors que les organisations de femmes étaient plus visibles et mieux entendues pendant la période de paix relative qui a suivi les accords d’Oslo, elles sont moins visibles et moins entendues depuis la deuxième Intifada, et ce pour différentes raisons, dont la nécessité de vivre au jour le jour sa vie sous occupation.

La liberté dont jouissent les organisations de femmes palestiniennes dépend fortement de la situation politique dans la région. Lorsque la situation est plus stable, les groupes de femmes ont plus de liberté pour agir pour les intérêts et les questions des femmes. Un autre facteur est la nature de la question qu’elles soulèvent. Alors que les femmes se sentaient plus soutenues et capables de soulever des questions concernant les passeports, le droit à la citoyenneté et l’augmentation de l’âge minimum du mariage[xviii], elles sont plus brutalement attaquée par les groupes islamistes extrémistes lorsqu’elles essayent de soulever des questions concernant la famille et l’héritage. Par exemple, lors du projet « Parlement Modèle » en 1998, les groupes islamistes ont attaqué des organisations de femmes et quelques militantes, proclamant qu’elles sabotaient la culture et les traditions en introduisant des concepts contraires à la Charria islamique.

 

Recommandations :

  1. La future loi palestinienne sur la nationalité doit garantir aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs maris et enfants sans aucune discrimination et d’autoriser les femmes à conserver leur nom de jeune fille sur leurs passeports.
  2. L’Autorité Palestinienne doit s’assurer que les femmes divorcées reçoivent une pension alimentaire.
  3. L’Autorité Palestinienne doit punir tous les coupables de « crimes d’honneur ».
  4. L’Autorité Palestinienne doit embaucher plus de femmes dans la justice, et assurer une formation sur les droits des femmes aux fonctionnaires des tribunaux et de la police.



[i] La constitution voit le peuple palestinien comme partie de la nation arabe et islamique, avec l’unité arabe comme but (Article 1). Elle considère l’Islam comme religion officielle du pays et l’arabe comme la langue officielle avec égalité et respect pour le christianisme et les autres religions. L’article 2 précise clairement que « les principes de la Charria islamique sont la source principale de la législation ».

[ii] The Palestinian Independent Commission for Citizens’ Rights (PICCR) (Ramallah, Palestine), http://www.piccr.org/about/about.html.

[iii] Par exemple la loi du travail N°7 pour l’an 2000.

[iv] Rapport Gouvernemental sur le statut de la femme palestinienne – Cinq ans après Beijing. Ramallah, Autorité Nationale Palestinienne, Comité Inter-ministériel pour l’avancement des femmes, 2002.

[v] « Rapport sur la situation des droits humains des femmes pendant la seconde Intifada ». Rapport présenté à la commission des droits humains de l’ONU, WCLAC, Jérusalem, 16 février 2001.

[vi] Le 31 juillet 2003, Israël a rendu plus compliqué la procédure en passant une loi interdisant l’unification familiale pour les couples mariés dont un membre dispose d’une carte d’identité israélienne et l’autre est résident des territoires occupés. Cette nouvelle loi est rétroactive, ce qui signifie que des milliers de couples qui vivaient en Israël, dans l’attente d’une décision concernant leur statut, doivent ou se séparer ou quitter Israël. En janvier 2004, un rapport de B’Tselem et HaMoked examine cette question.

[vii] Une carte d’identité israélienne est le document remis à tous les Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza lors de l’occupation israélienne des Territoires Occupés en 1967. Comme Israël voulait annexer Jérusalem, on remit aux Palestiniens de Jérusalem des cartes d’identité différentes les classifiant comme des résidents et non comme des citoyens. Les Cisjordaniens ont eut différents types de cartes d’identité qui ne leur permettent pas d’entrer à Jérusalem ou en Israël.

[viii] Le Comité Technique pour les Affaires des Femmes a fait un travail de lobby en 1998 face à cette discrimination, et quelques femmes ont eu l’autorisation de retrouver leurs noms de jeunes filles. Cependant, conserver son nom sur son passeport après le mariage nécessite une longue procédure bureaucratique puisqu’il faut aussi l’accord des Israéliens. Aussi, même si le ministère palestinien de l’intérieur a reconnu ce droit aux femmes, il n’y a que peu de femmes qui se lancent dans cette procédure pour conserver leurs noms.

[ix] Les textes basés sur les lois jordaniennes et égyptiennes n’ont, de plus, jamais été amendés ou modifiés pour correspondre aux changements progressifs qui ont été effectués dans les législations actuelles de Jordanie et d’Egypte.

[x] L’article 99 de la loi fondamentale met en place une Cour Suprême composé de la Haute Cour Constitutionnelle, de la Cour de Cassation pour les affaires civiles, criminelles et commerciales, et la Haute Cour de Justice pour les litiges administratifs. La Haute Cour Constitutionnelle a l’autorité pour juger si les lois et règlement sont constitutionnel. La Cour de Cassation et la Haute Cour de Justice sont au sommet des structures judiciaires ordinaires et servent de cours d’appel finales dans leurs domaines respectifs.

[xi] « Rapport sur la situation… » (WCLAC).

[xii] Un « crime d’honneur » est un crime où une femme est assassinée pour des relations sexuelles hors du cadre du mariage. Il est habituellement puni par six mois de prison, voire moins.

[xiii] Lynn Welchman, « Extraits de textes issus des codes pénaux des Etats arabes relevant des crimes d’honneur » (Londres, Ecole des Etudes Orientales et asiatiques), http://www.soas.ac.uk/honourcrimes/mat_ArabLaws.htm.

[xiv] Le chapitre 27 de cette proposition de loi punit les crimes de viol par la prison, et si le coupable est un proche ou un gardien, la punition sera la prison à perpétuité. Cependant, les relations sexuelles avec une fille âgée de plus de 18 ans est également considéré comme un crime à la fois pour l’homme et la femme même si la relation sexuelle est faite avec le consentement de la femme (Article 258). Si le coupable est un proche ou un gardien, il sera emprisonné pour une période minimum de cinq ans. L’homosexualité reste un crime puni par la loi. L’agression sexuelle, y compris par le harcèlement psychologique, est punissable selon la proposition de loi (Article 264-1). La prostitution et l’adultère sont aussi punissable, et hommes et femmes pourraient être condamnés.

[xv] La détention administrative est la détention sans condamnation ni procès autorisé par un décret administratif ou moins souvent judiciaire. Depuis le début de mars 2003, Israël a enfermé plus de 1000 Palestiniens en détention administrative selon B’tselem, un centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés (http//:www.btselem.org/English/Administrative_Detention/Index.asp.).

[xvi] Selon les sources du porte-parole des Forces de Défense Israéliennes, l’armée détenait, le 7 juillet 2004, 737 Palestiniens en détention administrative.

[xvii] Rapport Annuel (Ramallah, Palestine : Commission Indépendante Palestinienne pour les Droits des Citoyens – PICCR – 2003), http://www.piccr.org/report/annual03jan/summary.pdf.

[xviii] En 1995, les organisations de femmes ont été capable de changer la réglementation discriminatoire qui obligeait à la femme d’avoir l’accord de ses gardiens pour obtenir un passeport.